OURS D’HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DES S IEN ES ET TE HNOLOGIE
Licence III Dr Mickaël ETIRI
UNIVERSITÉ DENIS SASSOU N’GUESSO
………………………….
FACULTÉ DES SCIENCES APPLIQUÉES
…………………..
Année académique 2022-2023
3
Introduction
La plus grande invention de l’homme est bien la science. Car elle est le socle du progrès de l’humanité. Le monde
évolue au rythme de la science, et
l’homme
se définit par
et à travers l’
influence de la science sur son existence. Tout le monde voit dans la science la fierté du temps actuel et se définit comme scientifique.
Cependant, lorsque l’on demande ou l’on se demande ce qu’est réellement la
science, ses différentes figures, son histoire et son ancrag
e dans la société, l’
on reste étonnamment
perplexe. C’est la philosophie des sciences qui s’est donné
la complexe mission de lever le voile autour de ces mystères. Ce cours se propose, justement, de mettre de la lumière su
r l’origine, le parcours et la valeur
de la science, et de dégager les mesures de la technologie dans le monde
d’aujourd’hui.
I. La définition de la science
Le concept science vient du latin «
scientia
», savoir, et peut se définir comme toute connaissance rationnelle relative à un objet et vérifiée par des méthodes quelquefois expérimentales. Dans le sens large, la science renvoie à une
connaissance systématisée, c’est
-à-dire organisée en un ensemble cohérent,
suivant une méthode bien déterminée. Il s’agit
de toute connaissance fondée sur la raison, attachée à un fait ou à un phénomène et établie selon une méthode
déterminée. La science s’oppose ainsi au mythe et la religion dans l’explication
des faits ou des phénomènes.
II. La classification des sciences
Il existe plusieurs sciences, mais la philosophie des sciences les catégorise en trois ordres : - les sciences formelles (pures) : ce sont des sciences qui étudient les lois de la
pensée et s’appuient sur la déduction. Il s’agit des mathématiques, de l
a logique,
de l’analyse, etc.
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- les sciences naturelles : ce sont des sciences qui ont la nature pour objet
d’étude. Elles rassemblent plusieurs disciplines, notamment la biologie (la
botanique, la zoologie, la neuroscience, la génétique, etc.), les sciences de la terre (la géographie, la minéralogie, etc.), la chimie, la physique, etc. Rudolf Carnap (1891-1970) en a extrait quelques-unes pour créer la catégorie des sciences expérimentales. - Les sciences humaines et/ou sociales : Ce sont des sciences de l
’homme et de la société. On y note la psychologie, la sociologie, l’histoire, la philosophie, l’éthique, l’économie, etc.
Cette classification des sciences n’est guère exhaustive du fait de la relativité de
toutes les sciences, de la transversalité de certaines sciences et de la naissance de
nouvelles sciences. En travaillant sur la science dans le cadre de l’épistémologie,
Bachelard rencontre cette difficulté et affirme : « puisque tout savoir scientifique doit être à tout moment reconstruit, nos démonstrations épistémologiques auront tout à gagner à se développer au niveau des problèmes particuliers, sans souci de
garder l’ordre historique
»
1
.
Par ailleurs, cet éclatement n’annule pas l’idée de la science en générale, à partir
de laquelle on détermine toutes les sciences particulières. La science comme
héritage de l’humanité renvoie, justement, au concept de science, c’est
-à-dire à
la science comme type de connaissance. L’histoire des sciences n’est pas l’histoire de chaque science particulière, mais celle
de la science en général,
c’est
-à-
dire l’histoire de la connaissance scientifique.
III. Le sens et
l’utilité de l’histoire des sciences
L’histoire des sciences ne représente nullement le récit ou la narration d’une
quelconque science particulière, elle est
l’étude des contours et de l’évolution progressive et objective de la connaissance scientifique. C’est dire que l’histoire
1
G. Bachelard,
La Formation de l’esprit scientifique
, p. 10.
5
des sciences décrit l’évolution de la connaissance humaine, tenant objectivement
compte de différentes séquences de cette connaissance, examinant avec un regard épistémique les progrès, les tâtonnements, les difficultés, les bifurcations
et différentes avancées significatives réalisées par la science. L’histoire des
sciences est ainsi un examen de la courbe évolutive de la connaissance objective
de l’homme. Aussi montre
-t-elle, chemin faisant avec son évolution, les mérites et les faiblesses de la science.
L’histoire des sciences n’est pas l’histoire des techniques. Elles sont liées, mais
ne sauraient être identiques. Par exemple lorsqu
e l’homme maitrise le feu, taille des silex ou invente l’agriculture, il ne fait pas œuvre de science. Et les connaissances qu’il a accumulées en l’occurrence ne sont pas des connaissances
scientifiques, mais des savoirs artisanaux traditionnels.
L’histoir
e des sciences rend raison de la construction de la connaissance
scientifique. Elle montre le sens ontologique de la science, c’est
-à-
dire qu’elle explose les motivations qui ont concouru à l’élaboration de la science. Elle a, en
effet, un rôle épistémologique et philosophique.
À y regarder de près, l’histoire des sciences est l’intelligence même des sciences, en tant qu’elle permet de comprendre l’avant
-science (la préhistoire de la science), la science et son parcours évolutif. Dans ce contexte, elle est
l’étude
du développement des sciences, y compris les sciences naturelles et les sciences sociales.
L’histoire des sciences admet deux grandes séquences, notamment la préhistoire de la science (c’est
-à-
dire l’avant science, la période d’avant la
constitution et la construction de la pensée humaine en terme de savoir
scientifique) et l’histoire de la science (marquée par sa naissance, en raison de la
constitution de la pensée humaine en terme de savoir rationnel, son évolution et son incidence).
9
matérialisme)
; et d’autre part, le
formalisme
, historiquement introduit par
l’école pythagoricienne et proposant une vision mathématique d’un cosmos
ordonné par les nombres. Ces deux courants qui faisaient office de la science grecque, et ayant pour objectif de définir et interpréter le monde, portent en eux un attachement très
fort à l’expérience. On parle alors de la science «
contemplative » pour désigner
l’attitude antique des
scientifiques grecs. L’astronomie en est l’exemple parfait. Si l’astronomie grecque, à ses débuts, était fortement imprégnée de
présupposées philosophiques (géocentrisme, mouvements circulaires uniformes
des astres), elle a su s’en écarter progressivement
, à mesure que des observations plus fines venaient contredire ces présupposées. Les penseurs grecs sont considérés comme les fondateurs des mathématiques car
ils ont inventé ce qui en fait l’essence même
: la démonstration. Celle-ci a permis à la connaissance grecque de se détacher de la philosophie spéculative pour se constituer, progressivement, en science autonome. Cette occurrence a valu aux grecs le titre de pères de la science. Et Thalès est considéré comme le
premier philosophe qui a eu l’idée de ra
isonner sur les êtres mathématiques,
jetant ainsi les bases de la géométrie. IL a donné le coup d’envoi de la
connaissance scientifique en cherchant et en donnant une explication rationnelle
à la structure de l’univers. Il met en être la géométrie pour exp
liquer le monde. Et Jean pierre Vernant de dire : «
cette géométrisation de l’univers physique
entraine une refonte générale des perspectives cosmologiques ; elle consacre
l’avènement d’une forme de pensée et d’un système d’explication sans analogie
dans le mythe
3
.
» C’est la naissance de l’esprit scientifique.
Avec l’invention de la démocratie, l’activité scientifique grecque connait un essor saillant. Aussi plusieurs penseurs grecs ont contribué à l’émergence des
sciences. On note par exemple Ératosthène (mesure avec exactitude la
3
J. J. Vernant,
Les Origines de la pensée grecque
, Paris, P.U.F, 1962, p. 120.
10
circonférence de la terre), Archimède (base de la mécanique), Théophraste (base de la botanique), etc. Mais toutes ces prouesses sont rangées sous la bannière de la philosophie, comme la science primordiale. La liste des savant
s grecs importants est fort longue. On citera dans l’ordre
chronologique : Thalès, Pythagore, Hippocrate, Aristote, Euclide, Archimède, Aristarque, Ératosthène, Hipparque, etc.
Il faut aussi noter qu’en dehors de la Grèce antique, la science a connu une
na
issance ou plutôt une histoire disséminée qui s’est observée dans plusieurs lieux du monde notamment en Égypte, à Rome, en Chine, en Inde…
2.2. La science au Moyen-âge (529-1453)
Au Moyen âge, la science connait une hibernation à cause de la consécration du christianisme, qui rejette toutes les connaissances païennes et impose une vision du monde fondée sur les dogmes religieux. La raison est dépouillée de son autorité épistémique
au profit de la foi. L’église a pris le pas sur toute la société,
et toute explication de quelque phénomène que ce soit, en dehors de Dieu était
prohibée, à la rigueur, sanctionnée par les hommes d’église. Ainsi, la science s’est voulue résorbée, reléguée
en arrière-plan. Les croyances religieuses ont refait surface au détriment et au grand mépris de la raison. Dieu était placé en avant-
scène, il était le foyer centripète de toute connaissance, l’origine de tout
phénomène.
L’on note aussi l’utopie des scie
nces médiévales qui participe au déclin de la
science. La science tend à l’interprétation des phénomènes sur la vase des théories élaborées sur fond d’exercice pure de la raison. Ces connaissances n’ont guère d’impact direct sur le cours de la vie. Le dése
nchantement prend
systématiquement la place de l’engouement de l’âge d’or de la science.
Il y a aussi la relativité des connaissances scientifiques et la guéguerre des scientifiques qui offensent la science.
11
Au Moyen-âge, les sciences grecques sont conservées, notamment par la traduction en arabe de nombreux livres présents dans la bibliothèque
d’Alexandrie. Ces sciences sont alors enrichies et diffusées par la civilisation
arabo-musulmane, avec les savants comme Al-Khwârizmî, Alhazen, Al-Biruni, Avicenne et Averroès. On doit à cette civilisation de nombreux travaux en astronomie, en géographie, en optique, en médecine, mais aussi en mathématiques (algèbre, analyse combinatoire et trigonométrie).
2.3. La science aux Temps modernes (1453-1831)
Le silence de la science sera bientôt brisé à travers la révolution scientifique de
1550 à 1730. Il s’agit de l’avènement de la science moderne avec le sacre du
rationalisme par Descartes (1596-
1650), l’intronisation de l’expérimentation
comme méthode de renforcement de la déduction par Galilée (1564-1642), les découvertes de Newton
et l’aube de la technique comme application de la
science. Cette effervescence scientifique sera renforcée au XVIII
ème
siècle, avec l’idée
des Lumières. Ce mouvement, incarné par Montesquieu, Voltaire, Rousseau,
Diderot, etc., rompt d’avec toutes les croyances métaphysiques, place l’homme au cœur de son destin et fait de la science l’unique source de connaissance vraie et utile. La science a ainsi la mission de tout mettre en œuvre
pour fournir des informations fiables sur tout. On assiste alors à la naissance de nombre de sciences et à la réalisation de plusieurs découvertes scientifiques (Charles
Darwin fonde la théorie de l’évolution en 1838, Louis Pasteur établit un vaccin
contre la rage en 1885, etc.).
L’une des principales caractéristiques des temps modernes est la Renaissance.
Celle-
ci, avec pour point départ l’Italie, est un mouvement de l’histoire européenne associé à la remise à l’honneur de la littérature, de la philosophi
e et
des arts de l’Antiquité gréco
-romaine. Cette renaissance avait plusieurs raisons,
12
parmi lesquelles l’amélioration de la diffusion et de la propagation de la
connaissance, de la science. Cette éventualité a mis, progressivement, sur pied
l’invention du
papier et de l’imprimerie, permettant ainsi de diffuser en plus grand nombre des livres. Ceci en raison qu’une copie sur manuscrit prenait du temps pour sa réalisation, davantage qu’avec l’impression.
Le désir de propager la connaissance a consécutivement permis à la science de se propager et a donné à celle-
ci une importance notoire. Le papier, l’imprimerie
ont permis la vulgarisation de la science à grande échelle.
Depuis l’Antiquité et jusqu’au XVIIIe siècle, la science est indissociable de la
philosoph
ie (on nommait d’ailleurs la science, la philosophie naturelle) et
étroitement contrôlée par les religions. Mais sous la pression du savoir qui se
propage et qui s’accumule, elle vient sans cesse heurter les dogmes religieux. De
ce fait, le contrôle de la religion sur les sciences va progressivement diminuer et
se dissiper conjointement avec l’apparition de l’astronomie et de la physique
moderne, faisant des sciences un domaine autonome et indépendant.
Du point de vue scientifique, c’est l’astronomie qui dé
clenche le changement à
cette époque. En est témoin la refondation de l’algèbre accomplie par Viète (1591). Après Nicolas Copernic, d’autres astronomes reprirent les observations
astronomiques : Tycho Brahe, Johannes Kepler, qui effectua un travail considé
rable sur l’observation des planètes du système solaire et énonça les trois
lois sur le mouvement des planètes (lois de Kepler). Dans les temps modernes on note plusieurs découvertes. Blaise Pascal fit des découvertes en mathématiques (probabilités), et en mécanique des fluides
(expériences sur l’atmosphère terrestre). Christian Huygens développa une théorie ondulatoire de la lumière, qui, pour avoir subi un siècle d’éclipse, n’en
est pas moins géniale.
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On note aussi l’héliocentrisme (théorie scientifique q
ui place le soleil au centre du système de planètes entourant la terre) de Galilée qui se veut confirmé de
multiple manière, et fut finalement accepté par l’église catholique romaine
(Benoît XIV) en 1714 et 1741, de sorte que les écrits de Galilée furent retirés de
l’Index (liste des livres interdits par l’Église catholique).
Mais le scientifique le plus important de cette époque est Isaac Newton. Avec Gottfried Wilhelm Leibniz, il invente le calcul différentiel et intégral. Avec son
optique
, il établit dans cette science une contribution tout à fait significative, et, surtout, il fonde la mécanique sur des bases des mathématiques, établit ainsi de manière chiffrée le bien-fondé des considérations de Copernic et Galilée Son livre
Philosophiae naturalis principia mathematica
a marqué l’évolution de la conception que l’homme se fait du monde comme aucun ouvrage avant lui, et a été considéré comme le model insurpassable de théorie scientifique jusqu’au
début du XX
e
siècle. Le prestige de Newton aura largement dépassé les frontières de la science, influençant ainsi de nombreux philosophe comme Voltaire, David Hume, etc.
L’époque moderne a fait office de plusieurs découvertes qui ne sauraient être énumérées dans cadre restreint du cours. C’est dire que la liste n’e
st pas exhaustive.
2.4. La science à l’
époque contemporaine (1831-1945)
L’époque contemporaine est marquée par l’évolution, le développement des
sciences à un rythme plus accéléré. Ce développement a lieu dans tous les domaines de la science. On note plusieurs avancées significatives de la connaissance scientifique. Ainsi, les mathématiques se raffinent grâce aux
travaux de nombreux savants parmi lesquels Cauchy, Galois, Gauss… la géométrie est révolutionnée par l’apparition d’abord de la géométri
e projective, puis des géométries non-euclidiennes qui mettent fin au règne sans partage de la
première des théories mathématiques de l’antiquité.
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L’optique de Newton subit une révision radicale avec les travaux de Young et
ceux de Fresnel : on passe de la conception corpusculaire de Newton à une
révision de la conception ondulatoire de Huygens. L’électricité et le magnétisme sont unifiés au sein de l’électromagnétisme par James Maxwell à la suite de
travaux de nombreux physiciens et mathématiciens tels Amp
ère, Faraday…
La médecine qui avait longtemps stagné progresse avec, en particulier, la découverte de vaccins par Jenner et Pasteur. On abandonne la théorie de la génération spontanée. La physique a connu de grandes avancées au XXe siècle, notamment avec la physique atomique et la découverte de la structure du noyau atomique. La théorie de la relativité restreinte définie par Albert Einstein permet de poser les bases de la physique des objets à très grande vitesse. Son élargissement propose une théorie de la gravitation et permet des tentatives de cosmologie.
L’astronomie a elle aussi connu de grandes avancées, grâce notamment aux
nouvelles découvertes en physique fondamentale, et à une nouvelle révolution
dans les instruments d’observation
: les radiotélescopes construits dans les années 1950-
1960 ont permis d’élargir le spectre des rayonnements électromagnétiques observables, l’informatique traitant les grandes masses de
données. Le point marquant de cette évolution des sciences est bien entendu leur mise en application. Les connaissances scientifiques sont essentiellement mises en
pratique pour améliorer et esthétiser la vie. La production s’accroit systématiquement dans tous les domaines, et l’on parle de la révolution
industrielle. Le destin du monde est
à l’entière disposition de l’homme, qui se
doit de créer un nouveau monde, un cosmos qui libère pleinement la modernité. En 1769, J. Watt dépose un brevet améliorant la machine à vapeur. La machine
à vapeur est à l’origine de la révolution industrielle qui
démarre en Angleterre.
15
Elle permet d’actionner des machines comme des
métiers à tisser ou la locomotive. Les premières
industrialisations sont l’extraction du charbon, la
production du textile, la métallurgie, etc. L
’industrialisation comme
nce par le
travail domestique, et l’utilisation des machines volumineuses et l’
augmentation de la production ont conduit à la création des usines. La construction de la première locomotive participe efficacement au processus
d’industrialisation. Car elle per
met des dépassements de masse et le mouvement des machines lourd
es. C’est ainsi qu’on assiste au déplacement des habitants des
compagnes vers les villes. Ces ruraux viennent trouver en ville des emplois dans
les usines naissantes. L’urbanisation accompagne
l’industrialisation.
Un autre facteur de la révolution industrielle est la croissance démographique en Europe. Ce sont le recul de la mortalité du fait du progrès dans le domaine de la médec
ine, l’
hygiène et la bonne alimentation qui portent ce phénomène. Cette révolution a eu un effet social notable.
C’est la division de la société en
deux vastes camps : la bourgeoisie et le prolétariat. Le développement des
industries accroit le monde des ouvriers et le fossé s’approfondit davantage. Les
communistes tendent alors à renverser le pouvoir des bourgeois.
2.5. Le postmodernisme (1945 à nos jours)
Le postmodernisme est marqué par la fable de la liberté qui sacre l’athéisme théorique ou verbal (l’on dit de ne plus croire en Dieu et l’homme devient son propre créateur) et l’athéisme pratique (l’on prie mais on ne croit pas en Dieu),
le relativisme et le pessimisme.
V. Naissance et ancrage de la technologie
Le mot technologie est issu de la combinaison des notions grecques de «
technè
» et de «
logos
», et signifie un discours sur la technique. La
technologie se définit alors comme l’étude des
outils
et des
procédés
de la
science et de la technique. Au sens purement technique, elle désigne l’étude des
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outils, des procédés et des méthodes employés dans les diverses branches de
l’industrie. Elle fait donc l’état de l’art des pratiques scientifiques et tec
hniques
aux diverses périodes de l’histoire en vue d’innover et d’en accroitre les
performances. Cette définition, ou plutôt ces définitions, a (ont) évolué en convergeant vers une signification moderne assez restreinte. La technologie renvoie à cet effet aux
nouvelles techniques de l’information et de la communication (TIC), entendus l’internet, le Smartphone, le protocole Bluetooth, etc.
La notion semble avoir été utilisée pour la première fois par le physicien allemand
Johan Beckmann en 1772
, quoique le consensus des étymologistes en
soit relatif. Et c’est un professeur de Harvard
(Jacob Bigelow) qui systématise la notion et son usage dans son texte intitulé
Éléments of technology
en 1829. De
ce baptême scientifique, le concept a pris de l’envergure et
est entré dans le
langage courant au point d’incarner la modernité, le progrès de l’humanité, la
puissance de la communication, etc. Néanmoins, pour des raisons de prudence
intellectuelle, l’on se doit de faire observer que les pratiques de la technologie
auraient devancé le concept. Dans sa forme actuelle, la te
chnologie est l’onde de choc de
nombre de découvertes qui consacrent sa valeur et son ancrage. En effet, au cours de la seconde moitié du 19
e
siècle, les travaux sur l’
électromagnétisme permettent à
un phénomène déterminant pour la suite de l’histoire de l’humanité de voir le
jour :
l’électricité
. Après la première expérience de Thalès au 600 av. J. (il avait
remarqué qu’en frottant contre du tissu un morceau d’ambre ‘résine fossile
soli
de’ celui
-ci attirait tout corps léger comme la paille), Thomas Alva Edison invente la première ampoule électrique dès 1879 et inaugure les
première centrales électriques
(sans oublier B.Franklin,
Volta ‘première pile électrique’,
etc.), la centrale des chutes de Montmorency éclaire la terrasse Dufferin de la
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ville de Québec en 1885, et, à la même époque, Paris commence à être électrifiée.
L’électricité stimule les communications et conduit à la créatio
n de la télégraphie électrique et plusieurs autres invention
technologiques
, comme le téléphone (Alexander Graham Bell, 1876), les premiers
robots industriels
à
l’aube
des années 60 (Al-Jarari, George Devol,
1954 ‘‘ robot industriel’’),
le premier vol commercial transatlantique reliant Paris et New York dès 1948, la
mécanisation de l’agri
culture, le électroménagers déferlent dans les ménages, la télévision pénètre dans les foyers dès les années 50, etc. Le premier satellite, Spoutnik, est lancé en 1957 et la conquête de
l’espace. Et l’
invention du transtor à la fin des années 40 ouvre la voie à la
révolution informatique
(Tim Berners-Lee a inventé le World Wide Web en 1989 en vue de faciliter le partage
d’information, de courriers électroniques, etc.
), et les premiers
ordinateurs personnels
font irruption dans la vie des occidentaux à la fin des années 80.
C’est en 200
0 que la
télévision numérique
voit le jour, la fibre optique démocratise la même époque. Le réseau internet transforme et facilite les modes de communication et le
téléphone cellulaire
fait son apparition dans les années 90 mais surtout dans les 2000.
VI.
L’é
thique du progrès techno-scientifique (une lecture philosophique du progrès) 1.
Les acquis du progrès scientifique et technologique
Le progrès techno-
scientifique incarne le destin de l’humanité et constitue une
merveille incontournable du genre humain. La science et la technologie rendent
de grands services à l’homme. Elles portent le sens de la vie et agrémentent l’existence. Ces construits de l’esprit mettent à la disposition de l’homme des biens qui s’inscrivent dans la perspective de la réalité du quotidien et structurent
la conscience du temps actuels. Il est devenu impossible de vivre sans la science, car elle fait désormais partie de nous et nous définit dans le sens de hisser la
18
catégorie humaine à une dignité qui conjugue la prééminence du sujet. L’homme s’est démarqué de la nature pour se mettre à la hauteur actuelle grâce à la science et à la technologie. C’est dire que les
produits de la science marquent le
pas de l’homme sur la nature et le distinguent davantage des autres êtres vivants. Avec la science et la technologie, l’homme a déjà fait ses adieux à l’idée de la nature humaine et s’est fait une seconde nature qui fait
la fierté de la modernité.
La modernité comme conscience et réalité du progrès est donc l’effet de l’évolution de la science à travers toutes ses figures. La science a transformé l’ici
-bas en un véritable paradis. La configuration des cités offre une vue
pittoresque qui éblouit les esprits et donne l’envie de vivre longtemps. L’embellissement des villes, le confort des habitations, les merveilles de la locomotion, la prestance des tenues d’apparat, le lustre des génies, l’ornement des offices, etc. sont des réalités qui agrémentent l’existence humaine. L’homme est plus que jamais heureux de vivre. La science a transformé le cosmos et mis le sujet au cœur d’un optimisme qui fait rêver. À travers les efforts de la médecine, la science défie l’absolutisme de
la mort et
crée la perspective de l’élargissement de l’expérience de vie. Nombre d’homme
conjuguent leur longévité grâce au progrès technoscientifique dans le domaine
de la médecine. Sans ces prouesses, l’homme serait voué à la relativité de la vie
et sou
mis à la cruauté des destins. Le rêve de la science d’inventer l’éternité
pour les corps animé est bien en route et, à défaut de se réaliser, produit des
effets positifs. Bien des gens sont encore en vie aujourd’hui grâce à la science, et
ne serait-ce que pour cela, nous pouvons tous scander à plein poumon : merci la science ! La science a beaucoup fait dans le monde du travail, et le travail commence à perdre son agressivité sémantique et pratique. Le cadre du travail est devenu le haut lieu de la quiétude, du fait de la climatisation des bureaux et du confort des meubles. Cette évolution déborde les façades pour intégrer les activités, avec la
19
robotisation du travail qui fait de l’homme un simple spectateur de son propre travail. L’on note aussi la numér
isation du travail qui engendre les phénomènes combien merveilleux de télétravail et visio-conférence, qui font gagner le temps,
accroissent la performance et jouent la carte de l’efficacité. La science fait entrer dans l’intimité de la nature afin d’en s
aisir les contours et les mystères. Grace aux sciences naturelles, les lois de la nature sont mises au grand jour. Les phénomènes nature sont maitrisés et soumis au contrôle de la
raison. C’est dans cet ordre d’idée que Descartes laisse à entendre que la
science doit nous rendre «
maître et possesseur de la nature
». Tous les mystères de la
nature sont aujourd’hui maitrisés, contrôlés et mis à la disposition du jeu du
progrès. Cette connaissance de la nature a beaucoup évolué en passant de la simple connaissance à la connaissance pratique. Car la science, en sa qualité technique, transforme la nature en vue de répondre aux besoins existentiels. Les composants de la nature sont métamorphosés et adaptés aux exigences de la vie
pour répondre à l’appel de la co
nscience de la modernité. Telle est la réponse de
la raison à l’invite marxienne de sa
Onzième thèse sur Feuerbach
, qui stipule que «
les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières, il
importe de le transformer
». En suivant l’in
vitation de Marx, la science a changé de figure et est devenu technique pour soumettre la nature aux besoins
quotidiens de l’homme. C’est pourquoi la science est entrée dans toutes les
scènes de la vie. Nous mangeons grâce à la science, nous nous déplaçons grâce à la science, nous dormons mieux grâce à la science, nous nous habillons grâce à la science, nous communiquons grâce à la science, etc.
La science porte alors le destin de l’humanité. Cependant, le progrès techno
-
science n’est pas sans prix. La
science, oui, mais à quel prix ? En donnant à
l’homme un nouveau statut existentiel, la science sape les fondamentaux de l’humanité et offense l’éthique. Une lecture philosophique du progrès techno
-
20
scientifique parait nécessaire pour rappeler à la conscience du progrès les rançons de la modernité.
2. la tragédie des sciences et de la technologie
La naissance et le progrès des sciences et de la technologie constituent une vraie
tragédie qui secoue les mœurs et structure les consciences selon une logique qu
i
offense l’éthique. Les sciences portent des empreintes du contexte spatio
-
temporel irréversiblement corrompu dans lequel elles sont nées, et s’enlisent
dans la relativité des environnements sociologiques dans lesquels elles se produisent. En effet, la na
issance des sciences et leur progrès s’effectuent selon le rythme de l’évolution pathétique de la société. Ce sont souvent des besoins
vitaux qui conduisent à des spéculations intellectuelles qui débouchent sur la
naissance et l’évolution des sciences. C’est souvent le besoin de combler un vide et la volonté d’élever le destin
humain à un standing plus ou moins parfait qui conduisent à la mise en être des artéfacts scientifiques. Cependant, cette intention de faire avancer la société porte souvent les auteurs à sacrifier le souci éthique et à dégager des virus nocifs qui, non seulement asphyxient la société, mais aussi colonisent les esprits. Les sciences constituent de véritables facteurs de destruction des mythes fondateurs de la société et du bien-être
éthique de l’homme. C’est alors qu’une bascule négative s’effectue dans le for intérieur de la conscience collective. Ce tournant décisif, ou plutôt ce saut dans l’abime, est consécutif à la naissance et au progrès des sciences. Et Rousseau d’écrire
: «
nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection
» (Rousseau 2013, p. 48). Les sciences sont la source de la ruine de la conscience humaine et sapent au grand jour les vertus fondatrices de la condition humaine. En fait, le progrès des sciences affecte les esprits et sape les
vertus intrinsèques de l’homme, en corrompant l’âme humaine à travers l’offense des bonnes mœurs et la culture des contre
-valeurs. Les sciences
21
concourent ainsi à l’émergence et au dével
oppement des dispositions fâcheuses
dans l’esprit humain. Elles imposent à la conscience sociale des exigences d’ordre esthétique qui la vacillent et occultent sa probité naturelle. Rousseau passe en revue tous les miasmes qui se profilent à l’arrière
-plan du progrès des sciences Le premier préjudice causé par le développement des activités scientifiques est
l’abus du temps : «
la perte irréparable du temps est le premier préjudice
qu’elles causent nécessairement à la société
» (Rousseau, 2013, p. 59). Le temps
est une disposition ontologique qui définit l’homme. Il l’accompagne et rythme sa vie dans la perspective d’une intentionnalité catégorique. C’est ainsi que l’homme songe à la perfection et à l’excellence. Cependant, l’essor des sciences plonge l’es
prit humain dans la réalité immédiate de la vie et éclipse la conscience du temps à travers une métamorphose qui change la lecture de la vie et occulte la conscience et le désir de la prospection qui portent le mythe fondateur de la responsabilité humaine. Avec la consécration systématique des délices charnels relatifs au progrès des sciences , on ne chercherait plus à vivre ni à conserver sa vie, mais à la célébrer ; autrement dit, le couronnement des
sciences sublime la vie au rang d’une déesse à vénérer absolument, c’est
-à-dire
qu’elle est plus vécue qu’envisagée, au point d’ignorer la loi du temps qui nous rappelle notre responsabilité et fait la beauté de la vie. Ainsi, plus d’avenir ni de
progrès dans cet univers colonisé par le progrès des sciences, où le culte de la
vie bat son plein au détriment de la responsabilité humaine, face à l’impératif du temps. C’est dire que, l’attraction des sciences immerge profondément l’esprit
dans un hédonisme chronophage. Les délices des sciences et des arts détour
nent l’attention de l’homme de la
perception du temps en conjuguant le verbe de la vie exclusivement au présent ;
et cette immédiateté affaiblit l’éthique et la responsabilité humaine. À cet abus du temps s’ajoute l’affirmation et l’intronisation du luxe :
«
d’autres maux pires
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encore suivirent les lettres et les arts. Tel est le luxe né comme eux de l’oisiveté
et de la vanité des hommes. Le luxe va rarement sans les sciences et les arts, et jamais ils ne vont sans lui
» (Rousseau, 2013, p. 59). Les sciences sont des
sources et des facteurs du luxe, et l’envie du luxe conduit à l’égarement de l’esprit et à la profanation de la pudeur. Car, il apprend à résister à l’appel
intérieur de la conscience et à écouter la mélodie des passions qui résonne dans le disp
ositif corporel aveuglant, pour ainsi dire, les esprits. L’homme intérieur
perd ses qualités, et le comportement humain change. Les valeurs morales sont
absolument effacées de la conscience, et un nouveau registre de vie s’empare de l’esprit humain et détr
icote les fibres éthiques de la vie sociale. Le luxe occasionne plusieurs désastres et véhicule plusieurs maux dans la
société. D’abord, le luxe corrompt le génie humain. Créé et favorisé par l’œuvre
des savants, le luxe produit un effet introspectif sur eux.
Tandis que les valeurs morales œuvrent pour la cohérence de la société, le luxe creuse des fosses de distinction. Il se lève, en principe, et constitue l’emblème
du bonheur et de la domination de certains sur les autres, en mettant en doute le princip
e d’universalité de la condition humaine. Le luxe constitue de facto le langage par excellence de l’opulence et symbolise l’autorité financière. C’est,
alors que, toutes les sociétés sont divisées en différentes classes quelquefois antagonistes, dont Marx
a tant décrié la légitimité. C’est le luxe qui consacre de
façon tragique les différences dans les sociétés contemporaines. Car, pour exprimer leur suprématie financière, les riches habitent dans des quartiers différents, roulent dans des voitures luxueuses, construisent des maisons de luxe, portent des habits de luxe, fréquentent dans les écoles de luxe, etc.
Le luxe handicape l’éduction. En effet, l’idée du luxe pénètre dans le secteur de l’éduction et offre à l’enseignement un environnement fondamental
ement moderne et pittoresque. On parle, alors, de nouvelles technologies de
l’information qui semblent améliorer les conditions d’apprentissage, mais, au
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détriment des certaines exigences pédagogiques ; car, en y déployant un regard
plus profond, on s’aper
çoit que, derrière cette innovation se profilent aussi des
agents pathogènes qui absorbent les facultés intellectuelles. À titre d’illustration
simple, la pédagogie de la technologie confère une place stratégique à la machine, qui doit accomplir presque to
ut à la place de l’homme : elle calcule, corrige les fautes, aide à écrire, etc. Et, dans ce contexte, l’apprenant serait un inspecteur ignorant qui accompagne simplement sa machine. Ainsi, l’horizon de l’esprit se rétrécirait et les facultés mathématiques
déclineraient. Si l’on demandait à nos enfants qui fréquentent aujourd’hui dans les écoles luxueuses, où les machines écrivent et calculent en lieu et place de l’homme, de faire
quelques exercices intellectuels à la mode dans les systèmes classiques, on ne
sera pas étonné de les voir balbutier. Les soubresauts de l’esprit, qui inscrivent l’homme actuel dans le cycle infernal du mal, résulteraient en partie du péché relatif à l’évolution des sciences. L’envie du luxe est loin d’éclore la chaîne des vices produits par l’évolution des sciences, d’autres travers plus graves les accompagnent aussi. Le plus grand tort que les sciences et les arts causent à la société est l’outrage aux bonnes mœurs.
Avec le progrès des sciences, le sujet trouve plaisir à fouler les bonnes manières. En effet, la volonté du vivre-ensemble repose sur des valeurs morales, et chaque
société se définit par la qualité de son organisation, c’est
-à-dire par sa façon de promouvoir les valeurs fondamentales de la vie communautaire. Que dirons-
nous de l’Égypte, cette patrie qui «
dut sans doute plus sa puissance extérieure à
son organisation avancée qu’à son agressivité
» (J. Yoyotte 1980, p. 119). Ce
sont donc les mœurs qui construisent la splendeur de la société et confirment son
influence extérieure. Elles sont les bases de toute organisation politique et du
progrès éthique de l’humanité. Cependant, les sciences s’élèvent en toute autorité et foulent aux pieds les honorables mœurs qui illuminent et transfigurent
les fondements de la société. Voici comment Rousseau le déplore : «
Tandis que