C’est l’époque où l’extrême centre réformateur qui domine les institutions françaises fait de l’innovation technologique une priorité. Alors qu’apparaît le chômage de masse et que menace l’austérité budgétaire, d’immenses investissements sont consacrés au développement de l’informatique. À en croire les syndicats, les dirigeants d’entreprise ont fixé un objectif clair : « accroître les traitements de masse ». Il s’agit ainsi de libérer le travail des tâches les plus pénibles, de rationaliser son organisation, de fluidifier les processus de production et d’augmenter la productivité. Mais nombre de travailleurs et travailleuses concernés par ces déploiements partagent le sentiment d’être « dépossédés de toute initiative au profit d’un ensemble de consignes “techniques” édictées par les personnes qui ont le pouvoir ».
Ce constat ne concerne pas l’énième campagne de « modernisation » économique lancée sous la présidence de M. Emmanuel Macron. Il émane d’un rapport intitulé Les Dégâts du progrès, publié en 1977 par la Confédération française démocratique du travail (CFDT), et d’autres documents d’archives de la Confédération générale du travail (CGT). Ces écrits illustrent la manière dont les syndicats s’emparent à l’époque des enjeux associés à l’informatisation. Durant cette période, l’informatique prolifère dans le secteur tertiaire et les emplois dits « de bureau », en expansion depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cette évolution ne va pas sans résistance : du « Mai des banques », qui mobilise en 1974 entre trente mille et cinquante mille manifestants à Paris et dans tout le pays, aux grèves contre la chaîne « automatisée » dans les assurances ou les Postes et Télécommunications (PTT), les employés dénoncent l’impact des ordinateurs sur leur activité, et ce dans des secteurs historiquement considérés comme peu revendicatifs.
Décrivant les transformations du travail depuis la « vie de tous les jours », les organisations syndicales mesurent alors l’écart entre les promesses du management (...)