Manifestations politiques à LausanneLe droit de manifester sous la loupe de deux avocats
La manif pro-palestinienne de samedi n’était ni autorisée, ni interdite. Un paradoxe? Deux juristes commentent.
- Les manifestations politiques en Suisse soulèvent un débat sur l’obligation d’autorisation préalable.
- La police lausannoise applique le régime de l’autorisation au motif de mieux gérer l’espace public.
- La Grève féministe a contesté certaines restrictions laussannoises et demande de passer au régime de l’annonce.
Le droit de manifester est un pilier de la démocratie. Il est inscrit dans le droit suisse et dans le droit international, que la Suisse s’engage à respecter. Jusque-là, le consensus est extrêmement large. C’est ensuite que les avis divergent.
«La garantie de la liberté de manifester ne l’emporte pas sur le droit d’utilisation du domaine public, estime l’avocat Xavier de Haller. Les autorités doivent gérer le domaine public en s’assurer aussi de pouvoir concilier les différents usagers.» Ce député PLR a ainsi une toute autre vision des choses que son confrère avocat Gaspard Genton, qui siège dans les rangs socialistes du Conseil communal d’Yverdon.
Un droit de manifester pas assez protégé
Lui qui a défendu plusieurs fois des manifestants de XR (Extinction Rebellion) jusqu’au Tribunal fédéral, souligne que «la manifestation politique est le droit de protester, le droit d’exprimer son désaccord politique avec le gouvernement.» Les engagements de la Suisse à respecter le droit international ne sont pas sans effets: «Chaque fois que l’Organisation des Nations Unies doit se positionner sur le respect des droits fondamentaux en Suisse, elles nous disent: «Attention, la liberté de manifester n’est pas suffisamment protégée en Suisse.»
Tout au contraire, Xavier de Haller estime que le droit de manifester est fréquemment surinterprété par les militants qui descendent dans la rue: «Mon impression générale est que les manifestants et les organisateurs de manifestations estiment qu’ils ont le droit d’utiliser le domaine public», relève-t-il.
Pourquoi une autorisation?
Que vient faire l’exigence d’une autorisation de manifester, telle que la fixe, par exemple, la commune de Lausanne? Pour Gaspard Genton le droit international «prévoit qu’il ne doit pas y avoir d’obligation de solliciter une autorisation parce que dans une société démocratique, le droit de se rassembler pour exprimer une opinion, est d’une telle importance qu’on ne peut pas assujettir le droit de se rassembler à cette autorisation.»
Le système de l’autorisation sert à faciliter le travail de la police, a rappelé dimanche le municipal lausannois de la sécurité, Pierre-Antoine Hildbrand. Il parlait de «l’exaspération d’une partie de la population face à l’occupation répétée de l’espace public», et de «la nécessité de mieux protéger et préparer les manifestations, en proposant notamment des cheminements pour respecter le droit constitutionnel de manifester». L’élu ajoutait aussitôt que ce processus en amont d’une manifestation pouvait intervenir «sans entraver pour autant la liberté de déplacement des habitants».
Et si Lausanne abandonnait l’exigence d’autorisation pour les manifs politiques, pour passer à celle d’une simple annonce? Xavier de Haller estime que les militants pratiquent déjà l’annonce, mais de manière informelle et insatisfaisante: «Dans leur esprit, il suffit que la manifestation soit annoncée par des tracts, affiches et messages sur les réseaux sociaux pour dire qu’il y a eu une annonce. Il n’en demeure pas moins que cette annonce, avec par exemple des détails sur le parcours, n’est pas faite auprès de l’autorité.»
De son côté, Gaspard Genton relève que la Cour européenne des droits de l’Homme ouvre la porte à une exigence d’annonce, mais attention: «C’est à condition que le seul but soit que les autorités puissent permettre et faciliter la tenue du rassemblement de protestation.» Et encore, selon lui, «l’autorité ne pourrait pas sanctionner l’absence d’annonce».
La Grève féministe a activé la justice
L’an dernier, la Grève féministe a fait annuler par la justice certaines exigences fixées dans une autorisation délivrée par la police de Lausanne: l’interdiction de slogans pouvant «heurter la sensibilité» ou encore l’obligation d’un état des lieux de la Place de la Riponne, par exemple. «Il y a là un enjeu politique et démocratique, parce que ces exigences sont dissuasives pour l’ensemble des mouvements qui organisent des manifestations, ce qui va à l’encontre du droit de se réunir», explique l’avocate et chercheuse Clémence Demay. La Grève féministe a proposé ensuite de passer au régime d’annonce.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.