C'est pour comprendre la maturité des démarches de Supply Chain que le cabinet Eurogroup Consulting a mené une enquête sur le terrain, en partenariat avec HEC, auprès d'une trentaine d'entreprises, de tous secteurs d'activités. Objectif : dégager les facteurs clés de succès des projets de Supply Chain Management -et les risques- autour des 4 grandes étapes qui rythment la mise en oeuvre d'un projet de ce type : l'initialisation et le calibrage, l'adaptation des processus et l'organisation, la construction du système d'information et, enfin, le déploiement et la gestion du changement.
Globalement, l'étude fait ressortir 5 enseignements pour garantir le succès de la phase d'initialisation et de calibrage.
1-Sans portage, point de portée
Toutes les entreprises interrogées le disent : "Les projets de Supply Chain Management doivent, impérativement, venir du haut de la hiérarchie". Tout simplement parce qu'il s'agit de projets complexes et transversaux qui engagent une profonde transformation dans l'entreprise. Jean-Philippe Brousse, directeur chez Eurogroup Consulting, le rappelle : "Certaines entreprises ont échoué alors qu'elles avaient techniquement mené à bien le projet, qu'un outil informatique avait été acheté, que les tests opérationnels étaient concluants, simplement parce que la démarche n'était pas relayée au niveau de la direction générale".
Cela dit, pour convaincre la direction générale du bien-fondé du projet, tous les moyens ne sont pas valables. Là aussi, "les entreprises sont partagées sur la nécessité de calculer un ROI". Si la notion de retour sur investissement est nécessaire pour démontrer que le projet a du sens, il ne suffit pas à sa réussite. Autrement dit, ce n'est pas le ROI qui manage et motive une équipe, d'autant que son calcul est toujours contestable.
2-Construire une vision claire des principes clés
Le constat est clair. Si les entreprises ont bien compris l'intérêt de définir les principes clés du projet, peu d'entre elles l'ont concrètement engagé. Souvent, elles se sont perdues dans les détails, sont allées trop vite vers les outils informatiques, n'ont pas hiérarchisé les problématiques à traiter. Bref, elles n'ont pas su calibrer le projet. "Le facteur clé est de savoir derrière quoi l'on court et d'être capable de le définir en quelques mots. Pas un inventaire à la Prévert, mais la mise en lumière de trois idées-forces et des indicateurs de performance qui y sont liées", souligne Jean-Philippe Brousse. Exemple réussi : un industriel a choisi d'organiser sa supply chain autour d'un modèle réactif basé sur les commandes réelles et non pas sur des prévisions de demande aléatoires.
3-Opter pour une approche ouverte et rigoureuse
Côté ouverture, beaucoup d'entreprises sont allées puiser des idées à l'extérieur, au travers d'enquêtes, de benchmark, d'appel à des cabinets de conseil. En revanche, nombre d'entre elles n'ont pas su procéder avec rigueur, pensant qu'un outil informatique allait tout résoudre. "Nous estimons qu'il faut raisonner macro-processus de façon structurée sur l'ensemble de la supply chain", explique Jean-Philippe Brousse. "Il faut impérativement définir des indicateurs de performance pertinents avec la problématique de l'entreprise, effectuer un diagnostic à l'instant T si l'on veut pouvoir mesurer la performance à l'instant T + 1 et identifier les leviers d'amélioration".
4- Identifier les enjeux mesurables et crédibles
Une fois les enjeux mesurés de façon personnalisée au moyen d'indicateurs de performance pertinents, les entreprises doivent, aussi, raisonner en segmentant les approches en termes d'objectifs produits et/ou clients. Les entreprises interrogées semblent avoir compris l'intérêt de différencier leur démarche logistique. Mais Jean-Philippe Brousse insiste : "C'est une réflexion qui doit être intégrée beaucoup plus en amont, au sein de la phase de cadrage de la supply chain, afin d'assurer sa pertinence et son efficacité".
5-Lotir le projet pour le rendre réaliste
En parallèle de la segmentation, les entreprises doivent avancer progressivement dans leur démarche. Autrement dit, il leur faut trouver un modèle de déploiement par étape (par pays, par régions, par partenaires, par produits...) permettant d'éviter l'effet "tunnel" d'un démarrage simultané de toutes les problématiques. Un effet "tunnel" qui, au final, n'apporte que peu de gains, et démotive les équipes qui "ne voient rien venir". A l'inverse, le lotissement permet de fédérer l'ensemble de l'entreprise autour du projet tout en offrant la possibilité d'obtenir des gains plus rapidement. Les entreprises l'ont bien compris : 30 % d'entre elles ont engrangé des résultats au bout d'un an sur la partie des enjeux qu'elles s'étaient fixés.
Deuxième phase de mise en oeuvre d'un projet supply chain : la reconfiguration des processus, l'adaptation des organisations, la mobilisation des ressources et la synchronisation de la démarche avec le volet système d'information.
Le constat d'Eurogroup est clair : dans la majorité des cas, les changements organisationnels n'ont pas précédé la mise en place du système d'information ! Certes, la quasi totalité des entreprises a bien mené une réflexion sur les processus, mais le plus souvent orientée système d'informations. Pourquoi ? "Parce que c'est plus concret et que cela rassure les ingénieurs" ; "A cause d'une pression du département informatique" ; "Pour éviter d'avoir à se confronter aux problèmes d'hommes". Résultat : nombre d'entreprises ont été déstabilisées lors de la mise en oeuvre avec, à la clé, parfois, des ruptures de livraison de 1 à 3 semaines...
Deuxième constat : lorsque les efforts de redéfinition des grands axes en termes opérationnels de supply chain sont effectués, ils se résument, souvent, à nommer un supply chain manager ou à regrouper plusieurs départements pour "créer" un service client. "Seuls les grands principes sont définis, mais ils ne sont pas déclinés au niveau opérationnel", souligne Jean-Philippe Brousse.
Alors, le projet doit-il être porté par le système d'informations ou par l'organisation ? Comment trouver un équilibre entre ces deux approches ?
Pour Eurogroup, il faut, en tout cas, ne pas mettre toute son énergie sur un sujet sans traiter l'autre, tout simplement parce qu'il existe des interactions vitales entre les deux.
D'abord, il faut savoir ce que l'entreprise est prête à accepter comme contraintes en fonction de son contexte. Celles qui évoluent dans un environnement mature tiré par une logique managériale et pour lesquelles le volet système d'information n'a pas un caractère urgent, ont plutôt intérêt à privilégier l'approche par l'organisation. En revanche, si la culture de l'entreprise est plutôt technique, si les besoins de maturité sont prononcés et que le système d'information bat de l'aile, le projet peut être porté par le volet informatique.
Autre point à ne pas négliger : la mobilisation des bonnes compétences. "Le chef de projet doit avoir une vision globale de l'entreprise et être capable de remettre en cause les pratiques existantes sans heurts. Pour cela, il est nécessaire de faire appel à des compétences métier. Nous avons constaté que beaucoup d'entreprises recrutent pour apporter ce nouveau dynamisme", estime Jean-Philippe Brousse.
Là, les phrases, quelque peu assassines fusent : "Il ne faut jamais croire l'éditeur" ; "Le marché des outils de Supply Chain Management n'est pas mûr"... Autant d'états d'âme qui reflètent le désarroi des entreprises face à la complexité du choix du bon outil.
Pour s'assurer de la pertinence de la solution informatique, Eurogroup livre quelques recettes. Il faut, d'abord, réfléchir à la problématique d'intégration de l'outil dans le système d'information. Autrement dit, définir les frontières techniques de l'outil avant de l'interfacer. Jusqu'où la solution doit-elle descendre ? Par exemple, certaines vont jusqu'à reprendre la planification de l'ERP. Quelles conséquences techniques et opérationnelles cela va-t-il générer ?
Ensuite, il ne faut pas oublier de vérifier la performance technique de la solution choisie. "C'est un sujet sur lequel il faut donner beaucoup d'énergie en poussant très loin les investigations des éditeurs de la short list, en effectuant des tests d'essai réels, en évaluant sur le terrain les implantations déjà effectuées chez d'autres entreprises, en vérifiant les versions et les mises à jour. Et il faut, surtout, anticiper les choix d'architecture technique et les faire valider par l'éditeur", insiste Jean-Philippe Brousse.
Dernier conseil : faire simple pour créer le moins de perturbations possibles et réduire au maximum le nombre de contraintes dans la modélisation. Autrement dit, encore une fois, ne pas lancer tout en même temps, mais procéder de façon itérative. Jean-Philippe Brousse compare la démarche à l'utilisation "d'un bac à sable grandeur nature que l'on alimente et améliore au fur et à mesure des pratiques opérationnelles".
Enfin, dernière phase, souvent négligée et pourtant essentielle au succès : l'évaluation des impacts et l'accompagnement opérationnel du changement. Là aussi, les entreprises nous livrent quelques phrases révélatrices de leur comportement face à la transformation : "Les outils de SCM se comportent comme des boîtes noires, il n'est pas facile de leur faire confiance" ; "La plupart du temps, nous avons essayé de convaincre, mais dans certains cas, il a fallu passer en force" ; "La transformation des mentalités s'est faite plus facilement côté usine que côté commercial"... Globalement, la gestion du changement est sous-estimée dans tous les projets. Seules 15 % des entreprises ont mis en place des équipes dédiées et structurées pour mener des actions de sensibilisation et de formation. Reste que, la plupart du temps, la démarche est centralisée au siège de l'entreprise et n'implique que très peu les différents sites ou filiales. Pour Jean-Philippe Brousse, "les projets sont vécus comme des ruptures et impactent, fortement, trois types de population".
- Première cible : le management directement touché dans sa façon de travailler. L'introduction d'une méthode transverse dans les modes de pilotage avec les clients, la transparence recherchée avec les fournisseurs, le partage d'indicateurs communs à plusieurs silos de l'entreprise sont autant d'éléments difficiles à gérer.
- Deuxième cible directement impactée : les populations au contact des outils comme les prévisionnistes, les planificateurs, les ordonnanceurs. On leur demande plus de réactivité. Ils doivent évoluer dans des dimensions d'animation inter-fonctions, maîtriser des outils de plus en plus complexes et intervenir sur un milieu de plus en plus international.
- Enfin, les entreprises ont tendance à oublier les populations touchées indirectement par la mise en oeuvre du projet (voir le témoignage de Hewlett Packard) comme les services marketing et commerciaux. Globalement, on leur demande de développer leur transparence, d'acquérir une rigueur sur la qualité des données de base et, souvent, de réduire leur marge de manoeuvre dans la mesure où les règles d'arbitrage sont plus claires. "La démarche peut aller jusqu'à une remise en cause de leur façon de travailler et se traduire par un changement de mode de rémunération", prévient Jean-Philippe Brousse.
Alors, pour éviter les situations critiques, les entreprises doivent mettre en oeuvre des moyens suffisants en termes de communication et de formation. Mais attention, ces actions doivent être adaptées aux spécificités fortes des projets de chaque entreprise, sous peine de voir le projet s'enliser et les gains espérés tarder à se concrétiser.
Eurogroup Consulting (CA de 70 M€, 500 collaborateurs) est implanté en France, en Belgique, au Luxembourg, au Portugal, en Espagne et en Irlande. Ses compétences : banque-finance, industrie, services (dont la Supply Chain) et assurance. Cabinet indépendant (sans liens capitalistiques avec les constructeurs informatiques ou les éditeurs de logiciels), Eurogroup Consulting privilégie une approche de généraliste à destination des grandes entreprises au travers de deux types d'action : conseil en stratégie et organisation et déploiement de projet (accompagnement du changement, ressources humaines et recrutement). Avec, à la clé, un positionnement original : Eurogroup n'est pas intégrateur de solutions et s'implique au coeur des problèmtiques majeures de ses clients pour les accompagner dans leurs projets de mutation.
Les 30 entreprises européennes interrogées par Eurogroup Consulting évoluent dans les secteurs de la grande consommation, du high-tech, de la chimie-santé, de l'automobile et de l'équipement.
> Des budgets significatifs : pour 50 % d'entre elles, l'enveloppe du projet Supply Chain est comprise entre 30 et 60 millions d'euros. En général, elle représente 1 % du CA.
> Des avancées diverses : pour 40 % d'entre elles, le projet Supply Chain est terminé et pour 48 % en phase de déploiement.
> Des projets longs : ils prennent de 2 à 6 ans. Huit entreprises ont mené leur projet en 5 ans, 7 en deux ans.
> Une typologie variée : un quart des projets traitent de l'ensemble de la problématique Supply Chain (plan industriel et commercial, prévisions de vente, planification de la distribution, plan de la production, planification des approvisionnements, traitement de la commande, fabrication, approvisionnements). Plus de la moitié des entreprises s'attache à deux ou trois domaines ; enfin, à peine 10 % des projets s'appuient sur une démarche véritablement collaborative d'entreprise étendue.
> Des choix techniques diversifiés : seules 29 % des entreprises ont choisi la solution SCM de l'ERP qu'elles avaient adopté ; 35 % d'entre elles travaillent avec une solution SCM dédiée ; 18 % tournent avec un ERP ; 12 % avec un ERP et une solution SCM dédiée ; et 6 % sous ERP avec une solution SCM développée en interne.
> Des gains mitigés : 20 % des entreprises ont obtenu ou dépassé les gains espérés dans les temps ; 30 % ont obtenu des gains partiels ou différés ; 50 % n'ont pas obtenu les gains espérés ou ne les ont pas mesurés.