L’inquiétude porte sur la cocaïne et les opioïdes de synthèse
Temps de lecture : 7 minutes
En France, la consommation de drogue a beaucoup évolué dans la période récente. Le pays ne figure plus en tête du classement européen des consommations de drogues illicites chez les jeunes, comme c’était le cas il y a quelques années pour le cannabis. Ce mouvement de baisse des consommations au sein de ces générations s’accompagne d’une hausse des usages parmi les adultes : si la consommation de cannabis s’est stabilisée, les psychostimulants, en particulier la cocaïne, progressent. En 2023, 14,6 % des 18-64 ans avaient expérimenté au moins une drogue illicite hors cannabis, avec une forte surreprésentation masculine (20,1 % contre 9,3 %).
LE RECUL DE LA CONSOMMATION CHEZ LES JEUNES
Depuis une dizaine d’années, les nouvelles générations consomment moins de drogue que leurs aînés. C’est tout particulièrement le cas du cannabis, qui reste la première drogue illicite prise par les jeunes de 17 ans mais dont l’expérimentation recule fortement. En une décennie, la probabilité d’être initié au cannabis à cet âge a diminué de plus d’un tiers. L’expérimentation de cannabis concernait près de la moitié des adolescents en 2014 (47,8 %) ; c’est moins de trois sur dix aujourd’hui (29,9 % en 2022). Dans le même mouvement, la consommation régulière, c’est-à-dire le fait d’avoir consommé du cannabis au moins dix fois dans le mois, est passée de 9,2 % en 2014 à 3,8 % en 2022.
Nous pouvons avancer plusieurs hypothèses pour expliquer cette forte tendance à la baisse. D’abord, les formes de sociabilité ont changé : les jeunes sortent moins, ce qui réduit les occasions de consommer du cannabis ou de l’alcool en groupe comme le faisaient les générations précédentes. Il y a davantage d’échanges en ligne, via les réseaux sociaux. Tout se passe comme si les sociabilités étaient davantage tournées vers les pratiques numériques, comme les jeux en ligne – en témoigne l’essor des paris sportifs, avec les promesses de gains qui vont de pair.
Par ailleurs, un net rejet des produits fumés se fait jour dans les générations actuelles d’adolescents, lié avant tout à un désaveu de la cigarette. Lors de nos premières grandes enquêtes qualitatives auprès des jeunes il y a dix ans, ce changement générationnel apparaissait très clairement : les adolescents parlaient du tabac comme d’un produit ayant mauvaise réputation, un produit chimique (par opposition aux produits bio), dangereux, qu’ils associent à un historique familial ou aux tentatives infructueuses de leurs parents pour arrêter de fumer. Cette désaffection pour la cigarette n’a fait que se renforcer et elle rejaillit sur l’ensemble des produits fumés, notamment le cannabis. Désormais, c’est la pratique du vapotage, en forte hausse chez les jeunes, qui inquiète les pouvoirs publics.
Les adolescents parlaient du tabac comme d’un produit ayant mauvaise réputation
L’adolescence reste néanmoins le temps des expérimentations de toutes sortes. Leurs expériences sont plus diversifiées que dans les générations précédentes. Ils se tournent notamment vers des produits détournés de leur usage premier, comme le gaz hilarant (protoxyde d’azote). Ils sont aussi plus nombreux à expérimenter les poppers, des vasodilatateurs euphorisants et aphrodisiaques dont les effets peuvent s’accompagner de troubles. Leur consommation est certes plus ponctuelle que celle du cannabis dans les générations précédentes, mais elle est sans doute plus en lien avec les effets de mode entretenus par les réseaux sociaux. Depuis plusieurs années, la vente du protoxyde d’azote est autorisée dans des bureaux de tabac, des épiceries, des bars, des boîtes de nuit. Prohibé temporairement dans les années 2000 et longtemps réservé à la vente en sex-shops, le poppers est désormais vendu aux côtés des e-liquides pour cigarettes électroniques dans les bureaux de tabac.
LES PRODUITS DE LA COMPÉTITIVITÉ ÉCONOMIQUE
Si les frontières entre les différents types d’usage (pour calmer la douleur, rechercher l’apaisement, réduire le stress ou augmenter le plaisir) ne sont pas étanches, les termes utilisés dans le débat public (usage récréatif ou professionnel) ne correspondent pas toujours à des termes scientifiquement validés. De plus en plus, les épidémiologistes distinguent l’usage médical de l’usage non médical. Cela étant, il existe bel et bien des consommations « en contexte professionnel », qui peuvent être liées à la compétitivité croissante dans certaines parties du monde du travail et au stress qu’elle engendre.
Parmi les secteurs d’activité les plus touchés par la consommation de cocaïne, par exemple, on trouve, selon Santé publique France, la restauration, le BTP, la construction ainsi que les marins pêcheurs. Chez ces derniers, le recours à des psychostimulants existait déjà il y a vingt ans, mais il semble s’amplifier, du fait notamment du réchauffement climatique, qui va de pair avec une raréfaction de la faune piscicole, ce qui conduit de nombreux professionnels à passer trois jours sans interruption en mer.
Dans ces contextes, la prise de drogues illicites joue parfois le rôle de « béquille » et peut même constituer une forme de dopage. Cet usage est associé à la nécessité de « tenir au travail », d’encaisser des cadences intensives, des horaires décalés… Autant de « facteurs de risque de consommation », pour parler comme les épidémiologistes.
Cet usage est associé à la nécessité de « tenir au travail »
LES RISQUES LIÉS AUX POLYCONSOMMATIONS ET AUX USAGES CROISÉS
Un des principaux points de vigilance des années à venir, selon l’Agence de l’Union européenne sur les drogues (Euda), tient à la dangerosité des polyconsommations, qui amplifient les risques pour la santé et sont favorisées par la grande diversité des produits accessibles sur le marché des drogues. Très récurrente, la combinaison de l’alcool et de la cocaïne est particulièrement délétère et favorise, entre autres, le risque d’AVC. Des médecins hospitaliers rapportent également des cas de crises cardiaques de cause apparemment inconnue, qui surviennent avant 50 ans, chez des patients consommant de la cocaïne. Les passages aux urgences liés à la cocaïne sont en forte augmentation.
Il existe aussi un autre type de combinaison, qui se veut « calculée » et pratiquée pour tenter de « gérer la consommation » : le mélange de produits excitants et de produits calmants. Plus les consommateurs prennent des produits forts, plus ils auront besoin de redescendre à un moment donné.
L’ALERTE SUR LES DROGUES DE SYNTHÈSE
Le dernier rapport de l’Euda, publié en juin 2025, met en évidence la menace croissante que représentent les drogues de synthèse. Fabriquées artificiellement en laboratoire à partir de produits chimiques, ces substances psychoactives se répartissent en trois grandes familles : les stimulants de synthèse (cathinones), les opioïdes de synthèse (nitazènes, fentanyl..) et les cannabinoïdes de synthèse.
Ce sont les opioïdes de synthèse qui inquiètent le plus les pouvoirs publics, en raison de l’épidémie qui sévit aux États-Unis, provoquant plusieurs dizaines de milliers de décès chaque année. En Europe, 88 nouveaux opioïdes ont été identifiés depuis 2009, dont sept en 2024. Si, dans l’Union
Accédez à l'ensemble du contenu du site et de l'application en rejoignant l'aventure du 1 hebdo.
Je découvre les offres- Votre journal chaque semaine
- L'accès à l'ensemble des archives du 1 depuis 2014
- Soutenir un média indépendant et sans publicité
Déjà abonné(e) ? Connectez-vous
« Les trafiquants ont adopté les recettes de l’ubérisation »
Clotilde Champeyrache
Spécialiste des questions de criminalité, l’économiste Clotilde Champeyrache nous explique pourquoi le marché européen des stupéfiants illicites est aujourd’hui inondé de cocaïne en provenance d’Amérique du Sud.
[Sniff]
Robert Solé
TOUTE activité engendre un argot, surtout si elle est illégale. Se sachant surveillés, les trafiquants de drogue font preuve de beaucoup de créativité...
« Les consommateurs sont moins des complices que des victimes »
Ludovic Mendes
Coauteur du rapport parlementaire de 2025 pour améliorer la lutte contre les trafics de stupéfiants, le député Ludovic Mendes plaide pour un renforcement des politiques de prévention et pour la légalisation du cannabis.