Prologue

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By deadlynightxshade

[Closer - Cape Cub]

Une semaine plus tôt
Adaven, Nevada
6h34

Ne pas faire de bruit.
Il ne fallait pas qu'il se réveille.
C'était bien la dernière chose que je voulais. C'était bien la dernière chose qu'il me fallait.
S'il se réveillait tout serait terminé.

Calme-toi, Ly, respire.

Malgré ma respiration plus vive et cette chaleur anormale qui m'étouffait, je savais au fond que cela ne risquait pas d'arriver. Il venait de rentrer. Je ne dormais pas, j'étais allongée sur le côté depuis que je m'étais mise au lit six heures plus tôt, terrifiée par l'idée qui m'avait prise depuis quelques mois. Mais je le connaissais, je ne pouvais pas partir du jour au lendemain, alors le plan a dû être élaboré. Cinq mois, c'était ce qu'il m'avait fallu pour que tout soit prêt.
Je n'avais pas le droit à l'erreur. Pas de deuxième chance.
Sinon il allait me faire suivre le restant de mes jours. Dans le meilleur des cas.

Je l'avais donc attendu. C'était la première phase de mon plan.
L'attendre.
Il était rentré dans notre chambre en claquant la porte. Il avait juré en s'encoublant, comme à son habitude, dans mes chaussures près de la porte.
Il avait grogné : « Jamais capable de ranger ses putains de chaussures. »
Je souris malgré-moi. Il me rappelait parfois qu'il était humain.

J'entendais encore les derniers essoufflements de la soirée du club qui se déroulait en bas. Le bar était bondé aujourd'hui, c'était l'anniversaire de Kieran.

Je savais qu'il allait boire ce soir. Et quand il s'assit dans le lit avec brutalité, retirant ses chaussures qui retombèrent sur le parquet en un bruit sourd suivies de sa veste en cuir et de son t-shirt, quand il s'allongea près de moi après avoir rabattu les couvertures, je sentis l'odeur caractéristique de l'alcool après son eau de Cologne que j'aimais autant que je la détestais pour l'effet qu'elle me faisait. J'étais soulagée. Ivre, il ne m'entendrait pas fuir loin de lui. Parce que je savais qu'en temps normal, je ne pouvais pas sortir du lit sans risquer de le réveiller.
Et surtout, il ne buvait jamais à ce point. Sauf quand il le pouvait. En général, ça me concernait. 
Mais moi, par contre... je ne pouvais pas nier cette attraction. Cette envie. Comme toujours. Mes cuisses qui se serrent parce que j'ai envie de lui. Parce que je sais de quelle couleur sont ses cheveux, je sais de quoi il est fait. Il est près de moi. Tellement proche. Et c'est douloureux. 
Je veux les toucher, j'en ai tellement envie. Mais je dois me retenir.
Parce que je sais qu'il est torse nu, il dort souvent de cette façon.
Parce que ses lèvres me plaisent.
Parce qu'il me plait tellement que parfois ça me fait mal.
Je ressentais cette souffrance qui me rappelait pourquoi je partais.

Quand j'entendis l'ébauche de ses ronflements, j'allumai mon téléphone pour voir dans la nuit. Je m'assis sur le bord du lit en sentant mon coeur battre à toute vitesse dans ma poitrine.
Je portais mon jean et un sweat à capuche. J'enfilai mes chaussettes en boule sur ma table de nuit, je me levai, le parquet craqua.
Je me figeai, la sueur accrochée à ma peau. J'entendais sa respiration devenir plus calme.
Puis redevenir normal.
Mes mains tremblaient. J'avais peur, tellement peur qu'il se réveille.
Je cherchai la lettre dans mon tiroir, je la mis sur ma table de chevet suivie de mon alliance que je retirai.
Mon doigt était maintenant nu. Il ne l'avait plus été depuis quatre ans.
Je me sentais à la fois heureuse... tout comme je me sentais... brisée. Je la fixai, un court instant parce qu'il fallait que je me dépêche. Mais la voir, là, alors que je ne l'avais jamais enlevée... forcément ça me faisait quelque chose. Parce que je ne la remettrai jamais, je m'en étais fait la promesse.
Tout me criait de la remettre.
Courage, Charly.

Oui. Courage.

Mes pas mesurés me menèrent jusqu'à la porte. J'enfilai mes chaussures et sortis en refermant la porte derrière moi.
Bon, ça c'est fait.
Mon téléphone éteint, je le rangeai dans ma poche arrière de pantalon.
Je pris une profonde respiration et me mis à accélérer. Accélérer, sans me retourner.
Tu te l'es promis. Partir, sans te retourner.

Même si j'en mourrais d'envie.
Même si je voulais le voir, rien qu'une fois. Une dernière fois.
Mais je ne le fis pas.
Parce que sinon je n'aurais plus le courage de partir.

J'entendais le sexe à tout va derrière toutes ces portes closes, le songe des nuits printanières, je guettais les murmures, je sentais dans l'air ce quelque chose de trouble, d'intense, de noir, qui n'appartenait qu'au club.
Je ressentis un pincement bref quand je dévalai les escaliers, rencontrant Reed dans le couloir privé du bas qui menait aux étages, un briquet dans une main, les clés de sa moto dans l'autre.
Ses cheveux étaient emmêlés.
Il n'avait pas bu comme les autres ce soir...

- Tu es certaine que tu veux toujours le faire?

Je ne dirai jamais au revoir à Gin et à Shea. Mais il fallait le faire.  Sans hésitation je répondis: 

- Oui.

Je lui passai devant.
Il se redressa et me suivit.

- Tu sais très bien que oui. Tu es toujours d'accord pour m'aider?

- Bien sûr, je te l'ai promis.

Il fut sur mes pas jusqu'à la porte blindée qui s'ouvrait sur le club. Quand je la passai, je ne fus pas surprise de voir ces visages blêmes, ces femmes en petites tenues complètement soules endormies, ces hommes somnolents dans leur verre, dans les coins du club revêtants, pour la majorité, du cuir. L'air empestait la luxure, les effluves de tabac, l'alcool fort. J'entendais encore des rires au loin, dans la salle adjacente où se jouait sûrement une partie de poker.

Il prit sa veste qu'il avait posé sur le coin du bar dont les lumières au néon étaient toujours allumées. Il rangea son briquet et me lança un coup d'oeil.

- Faut faire vite, on n'a pas beaucoup de temps. Je ne sais pas combien de temps les caméras de surveillance vont rester éteintes.C'est déjà un exploit que j'ai pu y accéder. 

Il me tint la porte du club lorsque je sortis dans la cour intérieure. Il désigna sa moto sur laquelle je grimpai à toute vitesse. Il monta devant moi, la fit vrombir, et nous mena ensuite vers le portail. Il tapa le code et quelques instants plus tard le portail s'ouvrît.

Le trajet dura quinze minutes, le temps de rejoindre les abords de la forêt, là où était cachée la voiture que j'avais achetée, dans laquelle Reed avait caché mes affaires, mon sac de voyage, mon sac à main.

Je descendis de son véhicule les jambes tremblantes.
Je vais vraiment le faire.
Il me suivit, laissant sa moto sur le bas coté, éclairant mon véhicule au moyen de ses phares. De sa veste, il me tendit mes clés.
Lorsque je voulus les prendre, il les tint un instant de plus en l'air. Ses yeux verts s'obscurcirent.

- S'il l'apprend, Ly, il me tuera. 

- Je sais que tu prends des risques qui peuvent te conduire...

A la mort. 

Je frémis.
Dans le pire des cas, il tabasserait d'abord Reed, ensuite il le torturait. Et quand enfin il ne resterait plus rien de lui, Reed mourrait, s'il n'était pas d'abord mort sous ses coups.
Je savais dans quoi je l'avais entrainée.
Mais lui aussi. Il en était conscient. Il avait tenu à le faire. 

- ... Mais tu m'aides même en connaissance de causes. Tu savais ce que tu risquais. Alors ne commence pas.

Je lui arrachai les clés des mains.
Reed soupira.

- Putain, grogna-t-il.

Il secoua la tête.

- Tu l'aimes, Ly, alors pourquoi est-ce que tu t'infliges ça?

Il connaissait la réponse. Mais Reed ne voulait pas me voir partir. Je ne voulais pas le quitter, moi non plus. Mais il fallait le faire. 

- Parce que je sais que je dois partir. Je ne serai jamais heureuse, et tu le sais toi aussi! Je l'aime, oui. Et c'est ça le problème. Parce que je l'aime beaucoup trop, et qu'il me fait souffrir. Tellement souffrir. Il faut que je parte! Et toi, tu le sais mieux que quiconque. 

Il grimaça de dégoût.

- Pourquoi ne pas lui parler? Tu irais beaucoup mieux si tu lui parlais! 

- Ça ne servirait à rien, tu sais très bien que pour lui je ne suis qu'un problème de plus. Nous ne sommes rien l'un pour l'autre. Il est marié avec moi par intérêt! Et puis... les hommes comme lui n'appartiennent à personne.

Ma voix montait.

- J'entends quand il est avec elles! J'ai l'impression que parfois il le sait, et qu'il le fait exprès... pour me faire mal! Me blesser.

Elle montait, et surtout elle tremblait.

- Je veux être heureuse... il faut que je sois heureuse. Au moins une fois dans ma vie!

Tu t'es interdite de pleurer pour lui depuis des mois, Ly. Tu peux tenir quelques minutes de plus.

- Je sais, tu as raison, Ly... mais... moi, je ne veux pas que tu partes. C'est égoïste.

Il se passa la main sur le visage.

- Je suis égoïste. Mais tu es importante à mes yeux. Je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose en route. Ou pire: s'il te retrouve...

Je frissonnai.
Je préférais ne pas y penser.
Ma décision était prise depuis quelques temps déjà, et je n'allais certainement pas me dégonfler. Je préférais le fuir plutôt que de rester dans un endroit sinistre comme celui-ci.

- J'ai une arme sur moi.

Je pris son visage entre mes mains. Reed évita mon regard.

- Rien ne va m'arriver. Quand je le pourrai, je te ferai savoir que je vais bien.

- Ah oui, ricana-t-il. Et comment?

- Je te téléphonerai, je connais ton numéro.

Je lâchai son visage.
De la poche arrière de mon jean, je lui tendis mon téléphone.

- Détruis-le. Je sais qu'il y a un mouchard.

- Ouais, ça ne m'étonne pas. Je le détruirai dès que tu seras partie.

Il le mit dans sa poche de veste.

- Prends soin de toi, Ly.

Je le pris dans mes bras, les clés me narguant dans les mains. Le serrant pour qu'il sente qu'il comptait pour moi. Le temps d'un instant, je ressentis son étreinte, brève, réchauffante, mais bien là. Mais il n'était pas démonstratif, encore moins depuis que Draven avait annoncé à tout le monde que personne ne pouvait plus m'approcher. 

Je finis par me détacher de lui, sinon je n'aurai pas le courage de m'en aller. Je fis rapidement le tour de la voiture dans laquelle je montai et mis le contact.
Partir, vite, pour oublier le reste.
Partir, vite, pour ne pas craquer.
Pour ne pas rester.
Son bonheur m'importait plus que le mien, c'était même devenu le mien, et  ça ne m'allait plus.

J'observais Reed qui n'avait pas bougé. Je savais qu'il faisait là quelque chose de dangereux, je savais qu'il risquait sa vie pour moi. C'est ce que font les amis. Nous nous aimons d'un amour platonique, c'est peut-être difficile à croire, mais c'est vrai. Il me protège, il l'a toujours fait. Je ne peux pas en dire autant. Ma présence auprès de lui me rendait déjà toxique.
Je n'imagine pas ce qu'il ferait s'il apprenait tout ce que Reed avait fait pour moi qui allait contre les règles de son club. Reed ne voulait pas mon corps, il voulait le reste. Comme un ami. Un ange gardien.
Peut-être parce qu'il m'a rencontrée en premier.
Peut-être parce qu'il se sent coupable de m'avoir conduite jusqu'au club, jusqu'à lui, en pensant m'aider.
C'est peut-être ce qui peut expliquer son attitude protectrice qui s'ajoute aux années qui nous séparaient. Il avait trente ans. Je n'en avais que vingt-cinq. Pour Reed c'était déjà quelque chose. 

Je murmurai un je t'aime qui s'estompa sur mes lèvres.

Le Jeep d'occasion s'engagea sur la route. Derrière moi, je vis Reed monter sur sa moto et partir à mon opposé. S'éloigner de moi. La peur me rongea alors, parce que j'avais envie de revenir vers lui. Le retenir. Qu'il me tienne fort et me dise que j'allais m'en sortir seule sans lui. Comme je l'avais toujours fait.
Mais ça fait longtemps que je me dis que mon histoire je la tracerai en solitaire.
Je suis habituée à cette solitude.
Je ne laisserai plus rien ni personne me rabaisser.
Je n'ai jamais eu besoin de personne.
Je ressentais toujours un vide, bien sûr. Parce que quelque chose me manquait, je ne savais juste pas quoi. Peut-être que je ne le trouverai jamais.
Je passerai ma vie à chercher ce quoi s'il le faut.

Je fixai la route à nouveau en sentant mon estomac se nouer, à la fois par le chagrin, la tristesse, la nostalgie et la peur de la nouveauté. Des frissons intenses me parcoururent. Je partais pour un futur qui m'appartiendrait vraiment, cette fois. Sans rien pour le gâcher.

Je mis donc le cap vers la côte est.
À l'opposé de là où je me trouvais.
Loin de mon passé.
Loin des seuls repères de ma vie.
Loin de l'homme que j'aime bien malgré moi.
Que j'aime beaucoup trop, et qui ne m'aime pas assez.
Qui me blesse, jour après jour par son indifférence.
Je me redressai sur le siège de la voiture et appuyai sur le bouton de la radio pour entendre de la musique qui allait me distraire. Voir le lever du soleil dans cette contrée du Nevada qui illuminerait mon futur. J'avais hâte d'arriver où je devais arriver. Quelque part, je ne savais pas encore où. J'étais pressée de le découvrir.
Quelque part loin de lui, loin de son influence...
Je sentais encore ses lèvres sur mes épaules. Cette sensation me noua l'estomac.
Je sentais son souffle dans mes cheveux, j'avais envie de ça. Sa peau, sa langue.  Son corps contre le mien. Son corps encré au plus profond du mien. Ses yeux, son regard. Sa voix.
Tout.

Non. Tu n'as pas besoin de lui. Tu as rempli ta part du contrat. Maintenant il est temps de vivre, Ly. De vivre... pour toi.

Je resserrai mes doigts autour du cuir du volant, complice de Johnny Cash dont la guitare vibrait dans l'habitacle. Les dents serrées, je répétais ce que je me murmurais depuis des semaines:

- Va te faire foutre, Draven Westbrook.

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