Épreuve, défi, souffrance, deuil : tels sont les principaux termes que les théoriciens de la traduction ont, au cours des vingt dernières années, fixés dans leurs écrits pour tenter de définir le travail du traducteur. Travail énigmatique, décourageant à en croire cette liste, labeur douloureux et insatisfaisant, dominé par l’idée de dépendance (vis-à-vis de l’auteur ou du lecteur, selon les époques), d’humilité (le traducteur-passeur peut-il se considérer comme un auteur ?) et de renoncement (le traducteur ne peut prétendre produire un calque ou un même, au mieux peut-il proposer une « équivalence sans identité » ou un « presque même », destiné de surcroît à être sans cesse remis en question). En empruntant à Goldoni le titre de sa mondialement célèbre comédie, Arlequin serviteur de deux maîtres,
Stephan Rosenzweig cherchait peut-être à rendre plus positif ce tableau un peu sombre, en assimilant le défi du traducteur et celui que Truffaldin se lance au début de la pièce dans le but de s’assurer un sort meilleur, de gagner plus, manger plus et conquérir Smeraldina qui lui chatouille le cœur. Car sur scène, Truffaldin se fait, quoique malgré lui, chef d’orchestre virtuose d’une intrigue que son ingénuité embrouille à plaisir, ce qui lui vaut coups et rebuffades, mais dont il sort victorieux. L’épreuve ici est au sens italien, théâtral, de la prova, de la répétition, qui prépare la représentation et montre, en scène, le savoir-faire de l’acteur.
La métaphore théâtrale en suggère une autre, plus parlante, pour interroger dans ses diverses facettes le travail de celui qui traduit, en particulier pour la scène : celle d’un « corps à corp…