Le 27 janvier, France 3 diffusait un reportage sur les défaillances de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et réunissait plus d’un million de téléspectateurs. En réaction, le gouvernement a fait d’importantes annonces, témoins de sa volonté de reprendre la main sur un sujet trop longtemps pudiquement laissé de côté. Si nous saluons cette médiatisation croissante et cette progressive prise de conscience du monde politique, les annonces gouvernementales qui ont suivi l’émission ne nous paraissent pas à la hauteur des enjeux. Rappelons en effet qu’un SDF sur quatre est aujourd’hui issu de l’ASE, qu’un jeune de l’ASE a statistiquement cinq fois moins de chances de préparer le baccalauréat général que l’ensemble des jeunes du même âge, ou que 70 % des jeunes quittent l’ASE sans aucun diplôme.
Cet amer constat n’a qu’un seul mérite : dénoncer l’urgence d’agir en faveur d’une cause qui nous concerne tous, car elle prend racine dans la devise même de notre pays et en son principe fondamental d’égalité. L’Aide sociale à l’enfance est un service du département et, à ce titre, nos futurs conseillers départementaux portent sur leurs épaules la responsabilité du budget alloué à l’ASE. C’est pourquoi nous considérons qu’il est de notre devoir de citoyen de porter la voix de ces enfants placés, pupilles de notre nation, au cœur du débat des élections départementales de juin.
Aberrations
Nous voulons aujourd’hui plus spécifiquement mettre en lumière la question de l’employabilité de ces jeunes tant elle nous apparaît essentielle pour enrayer le cercle vicieux préexistant. La loi en vigueur prévoit que la prise en charge par l’ASE cesse aux 18 ans du concerné : une aberration à laquelle nous espérons de tout cœur que les annonces du gouvernement mettront effectivement un point final.
A l’aberration sociale, s’ajoute ici une aberration économique : quel sens peut avoir un investissement qui cesse à 18 ans ? L’Etat se doit au contraire de renforcer son accompagnement après la majorité afin de faciliter l’entrée dans la vie active et d’ainsi lutter contre les phénomènes de précarité violente constatés, bien plus coûteux pour la société sur le long terme.
Soutenir ces jeunes dans leurs recherches professionnelles (stage, apprentissage, CDD, CDI…) constitue justement la colonne vertébrale des actions que nous menons au sein de l’association Les ombres que nous avons fondée en partenariat avec plusieurs centres d’accueil répartis sur tout le territoire. Ce sont actuellement 1 000 jeunes et près de 140 jeunes majeurs qui sont éligibles à notre dispositif.
Et les raisons d’espérer sont là  ! Au cours de nos premiers mois d’existence, nous avons rencontré des éducateurs et membres du personnel très impliqués dans la réussite des enfants dont ils ont la charge et se dépassant constamment – malgré les moyens limités mis à leur disposition – pour trouver des solutions à chaque situation individuelle. Nous rencontrons encore chaque jour des jeunes extrêmement motivés qui n’attendent plus qu’une main tendue pour révéler leur potentiel. Malheureusement, les belles réussites de certains résonnent pour nous comme autant de victoires éphémères et nous dressons un constat lucide : ni l’énergie déployée par le personnel des centres ni les initiatives du monde associatif ne sauront, seules, se substituer sur le long terme au devoir d’une nation envers ces enfants ; envers ses enfants.
Refonte
Nous portons dès lors les propositions suivantes, s’articulant autour de trois axes. Premièrement, nous souhaitons que les élus de la République ne puissent pas se voir refuser l’accès aux centres de l’ASE afin de toujours pouvoir se rendre compte par eux-mêmes et rendre compte à la société des réalités du terrain. Depuis la loi du 15 juin 2000, les élus peuvent visiter à l’improviste les prisons : pourquoi en irait-il différemment des foyers de l’ASE ?
Deuxièmement, nous sommes favorables à une refonte du contrat jeune majeur, permettant à ces derniers de bénéficier entre 18 ans et 21 ans d’une aide au logement et d’une allocation financière, leur assurant un passage plus serein vers l’indépendance. Nous demandons que ce contrat soit rendu obligatoire jusqu’à 21 ans, pour les jeunes en faisant la demande, comme initialement envisagé puis abandonné par le gouvernement dans sa proposition de loi de mai 2019.
Quant aux dispositifs d’accompagnement vers l’emploi annoncés par le gouvernement, nous considérons qu’ils devraient s’inscrire en complément et non à la place de cette prolongation évidente du contrat jeune majeur à une époque où l’âge moyen du premier emploi s’établit désormais à plus de 22 ans. Nous souhaitons également que ce contrat soit automatiquement prolongé en cas de poursuite d’études afin de favoriser les études longues, alors qu’actuellement seulement 5 % à 6 % de ces jeunes entreprennent des études supérieures.
Enfin, nous appelons le monde de l’entreprise à ouvrir grand ses portes aux jeunes issus de l’ASE. Pour ce faire, nous prônons l’instauration de quotas d’entretiens et, à terme, d’un barème de prime soutenant la professionnalisation de ces jeunes. Nous encourageons également la création de partenariats toujours plus nombreux entre les centres de l’ASE et les acteurs de l’insertion socioprofessionnelle afin de créer les ponts manquants permettant d’adapter au mieux les opportunités professionnelles aux compétences et appétences de ces jeunes.
Finalement, l’accentuation du phénomène de précarité étudiante dans le contexte actuel de crise que traverse notre pays renforce encore cette urgence à agir. Nous sommes convaincus que les grandes priorités tracées plus haut permettront d’améliorer significativement l’employabilité des jeunes issus de l’ASE ; objet de toutes nos préoccupations. Ces jeunes n’attendent qu’une chose : que l’on croit en eux.