Qu'est-il arrivé aux Tsiganes en France pendant l'Occupation? La question suscite rituellement gêne et confusion. Car il n'y a pas de réponse précise. La gêne vient du constat régulier que le sort de ces populations, dont la mémoire est plus orale qu'écrite, n'a guère éveillé l'intérêt des chercheurs, de l'Etat ou des hommes politiques. Le sentiment de culpabilité que provoque cette indifférence entraîne souvent, à son tour, le réflexe consistant à associer les Tsiganes à la tragédie des juifs de France. Cette méconnaissance favorise la confusion: à défaut d'études sérieuses, le flou et les approximations règnent. Depuis des années, les rares chiffres évoqués proviennent des mêmes sources et des mêmes auteurs. Il était ainsi admis que 30 000 Tsiganes avaient été internés entre 1940 et 1944 dans des camps de Vichy et que de 15 000 à 18 000 d'entre eux étaient morts en déportation (1).Ces chiffres, démesurés, sont faux. Cette certitude provient de la première étude d'ensemble effectuée en France. Réalisé par le CNRS (Institut d'histoire du temps présent), ce travail (2) est une commande officielle du secrétariat d'Etat aux Anciens Combattants et Victimes de guerre, du secrétariat général à l'Intégration et de la Fondation pour la mémoire de la déportation. L'administration des Anciens Combattants, après des dizaines d'années d'ignorance, sinon d'indifférence, souhaitait enfin disposer du minimum de données fiables et sérieuses sur la façon dont l'Etat français traita les Tsiganes de 1939 à 1946. L'historien chargé de cette étude, Denis Peschanski, a pu travailler sur les archives françaises et allemandes, en collaboration avec Marie-Christine Hubert et Emmanuel Philippon. Le dépouillement systématique des fonds de plusieurs dizaines de départements dans lesquels sont déposées les très riches archives des camps d'internement a été complété par l'étude des dossiers de l'Inspection générale des camps conservés aux Archives nationales. Leur travail dresse ainsi une première synthèse (3) des procédures de contrôle et d'exclusion des Tsiganes, à travers les traces précises que sont les rapports et circulaires des préfets, les procès-verbaux de gendarmerie et les rapports de chefs de camp et de médecins.Dès la déclaration de guerre, en septembre 1939, les Tsiganes sont la cible des traditionnelles mesures d'état de siège - visant les populations «peu sûres» - prises par le gouvernement. Un décret-loi du 6 avril 1940 interdit la circulation des «nomades» (tels qu'ils ont été définis par une loi de juillet 1912) sur la totalité du territoire métropolitain. Ils doivent se déclarer dans les quinze jours à la brigade de gendarmerie la plus proche et sont astreints à résider dans une localité désignée par le préfet dans chaque département. Ces mesures reposent sur l'équation nomade = espion, comme le souligne alors un rapport au président de la République: «En période de guerre, la circulation des nomades, individus errants, généralement sans domicile, ni patrie, ni profession effective, constitue, pour la défense nationale et la sauvegarde du secret, un danger qui doit être écarté. Les incessants déplacements des nomades leur permettent de surprendre des mouvements de troupes, des stationnements d'unités, des emplacements de dispositifs de défense, renseignements importants qu'ils sont susceptibles de communiquer à des agents ennemis.»Trois semaines plus tard, le ministre de l'Intérieur envoie une circulaire aux préfets pour qu'ils choisissent les communes d'assignation à résidence en dehors des agglomérations importantes. Recommandant aux préfets d'opter pour des zones où les nomades puissent trouver du travail, il ajoute: «Ce ne serait certainement pas le moindre bénéfice du décret qui vient de paraître s'il permettait de stabiliser des bandes d'errants qui constituent, au point

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