Pas une semaine ne passe sans que quelque média ne s’émeuve de la « puissance » nouvelle que représenteraient les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). De petites start-up, ils seraient devenus « plus puissants que les États », voire les « nouveaux maîtres du monde ». Le sujet mérite sans nul doute d’être abordé, mais à la faveur de termes plus heuristiques et en évitant, autant que possible, l’écueil du sensationnalisme et de la réification. Le problème n’est guère aisé : à la manière de l’État, les GAFAM sont un « objet impensable », en ce sens que notre univers mental, nos catégories de perception et d’appréhension du monde sont de plus en plus tributaires d’outils et de procédés de formalisation du savoir forgés par ces entreprises. Aussi convient-il d’avancer prudemment.
Considérer les GAFAM comme de nouvelles « puissances » revient à ôter tout exclusivisme étatique à cette notion, contre la théorie réaliste dominant l’étude des relations internationales. Prédicat naturel de l’État westphalien, sa cession à des agents économiques, fussent-ils les « plus grands, les plus dominants et les plus prestigieux » dans leur champ spécifique, sanctionnerait une série de transformations fondamentales de la grammaire politique et internationale, non sans risque de les assimiler grossièrement à une manière de révolution copernicienne de la géopolitique. Dès lors se substituerait à l’orthodoxie statocentrique un système « gafamo-centré », dans lequel les États seraient relégués au rang de constellations orbitales, simple décor d’une scène dont les grandes entreprises des technologies de l’information américaines seraient les acteurs principaux…