La polémique autour d’Ibrahim Maalouf ne cesse de faire du bruit. Aude Hesbert, la directrice du Festival de Deauville, a annoncé sa décision d’écarter le trompettiste du jury de l’événement qui se tiendra du 6 au 15 septembre, dans « La Tribune du dimanche », évoquant « un malaise dans l’équipe » en lien avec la vague #MeToo. En réaction à cette décision, l’artiste de 43 ans a porté plainte contre le festival le lendemain. Pour rappel, le musicien a été relaxé par la cour d’appel de Paris en 2020 dans une affaire d’agression sexuelle sur mineure. Fin 2018, il avait été condamné en première instance par le tribunal de Créteil à quatre mois de prison avec sursis.
Cette affaire est l’occasion de se pencher de façon plus large sur les différentes décisions de justice qui mettent fin aux poursuites à l’encontre d’un individu. Quelles sont les différences entre le classement sans suite, le non-lieu, la relaxe et l’acquittement ? Quels sont les recours possibles des plaignant·es pour les contester ? Ces décisions signifient-elles qu’un accusé est innocent ? Réponses avec Me Marie Dosé, avocate au barreau de Paris spécialisée en droit pénal et autrice du livre « Éloge de la prescription, et Me Pauline Rongier, avocate pénaliste, engagée dans la défense des femmes et des enfants victimes de violences.
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Quelles différences entre un classement sans suite, un non-lieu, une relaxe et un acquittement ?
Ce qui distingue ces décisions de justice est qu’elles interviennent à des stades différents de la procédure.
Le classement sans suite
C'est une décision prise par le procureur de la République, c’est-à-dire l’autorité de poursuite. Cette décision intervient quand le magistrat considère qu’il n’y a pas assez d’éléments pour poursuivre le mis en cause, cible d’une plainte, à l’issue d’une enquête préliminaire qu’il a dirigée.
Après un classement sans suite, le ou la plaignante peut déposer une plainte avec constitution de partie civile, ou contester la décision auprès du parquet général. Elle peut aussi utiliser la citation directe et saisir ainsi directement le tribunal correctionnel.
L’ordonnance de non-lieu
Elle est délivrée à l’issue d’une une information judiciaire menée par le juge d’instruction, un juge indépendant et impartial, qui a l’obligation d’instruire à charge et à décharge. En prononçant une ordonnance de non-lieu, il considère soit qu’il existe des d’éléments à décharge qui mettent hors de cause le justiciable, soit qu’il n’existe pas suffisamment d’éléments à charge contre lui pour le renvoyer devant une juridiction de jugement.
La partie civile peut faire appel de cette ordonnance devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel puis, éventuellement, faire un pourvoi en cassation.
La relaxe
Cette décision est rendue par un Tribunal correctionnel ou un Tribunal de police après l’examen des faits à l’audience. Cette juridiction de jugement relaxe le justiciable soit au bénéfice du doute, soit en considérant qu’il n’y a aucun élément contre elle pour la déclarer coupable.
Une partie civile peut interjeter appel des dispositions civiles du jugement de relaxe, mais pas de la relaxe en elle-même. Le procureur peut quant à lui faire appel du jugement de relaxe en lui-même, et donc du dispositif pénal.
L’acquittement
Il est prononcé à l’issue d’une audience criminelle, par une cour d’assises ou une cour criminelle, lorsqu’il n’existe pas d’éléments suffisants pour déclarer l’accusé coupable.
L’avocat général peut faire appel de l'arrêt d'acquittement, mais la partie civile non, sauf des dispositions civiles. À l'inverse, en cas de condamnation, le condamné a le droit d’interjeter appel. Un nouveau procès peut donc avoir lieu devant une autre cour.
Ces décisions de justice innocentent-elles la personne mise en cause ?
Dans le cadre de l’affaire Ibrahim Maalouf, Me Jean-Baptiste Moquet, l’avocat de l’ex-plaignante, a déclaré sur BFMTV qu’« être relaxé ne vaut pas d’être innocenté ». De façon générale, la question de l’innocence fait débat dans l’espace public et médiatique. Faire l’objet d’un classement sans suite, d’une ordonnance de non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement signifie-t-il qu’une personne mise en cause est indéniablement innocente ? « Je trouve la façon de poser ces questions extrêmement dangereuse. S’il n’existe pas de preuve pour déclarer un justiciable coupable, la société doit l’acter. Sinon quoi ? Tout le monde est coupable, même lorsque la justice innocente ? », déclare Me Marie Dosé. « Oui, bien sûr, il y aura toujours des coupables que la justice innocentera faute de preuves, ajoute l'avocate. Cela s’appelle l’Etat de droit. Si l’on considère aujourd’hui qu’une relaxe au bénéfice du doute signifie qu’on est coupable en fait et pas en droit, alors nous sommes tous coupables et l’arbitraire règnera en maître. La vérité judiciaire doit s’imposer à toutes parce qu’elle s’impose des contraintes et des garanties procédurales qui n’existent nulle part ailleurs. »
« Cette question est à la fois très naturelle et dangereuse »
« On ne peut considérer que le mis en cause est déclaré innocent par la justice qu'après une décision judiciaire de relaxe ou d'acquittement devenue définitive (c'est à dire après épuisement de tous les recours – l’appel ou le pourvoi en cassation – ou à l'issue du délai de recours de la dernière décision) », précise, quant à elle, Me Pauline Rongier. « Avant cela, le mis en cause est présumé innocent. Après cela, son innocence devient la vérité judiciaire. S'interroger sur le fait de savoir si la vérité judiciaire correspond nécessairement à la réalité est à la fois une question très naturelle et une question dangereuse en ce qu'elle bouleverse les fondements de l'État de droit et du contrat social », ajoute l’experte. Et de conclure : « Le fait que cette question se pose de plus en plus aujourd'hui doit cependant nous conduire à nous interroger sur la santé de nos institutions judiciaires dont les dysfonctionnements semblent parfois palliés par d'autres institutions et par le corps social. »
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