« Partir, partir, on a toujours un bateau dans le cœur », chantait Julien Clerc… Oui, mais pour aller où ? À Monaco ? À Saint-Jean-Cap-Ferrat ? Que nenni. Ce qui fait fantasmer aujourd’hui, ce ne sont plus des vacances hyper luxueuses. Non, c’est un arbre, un ruisseau, la nature partout et la simplicité, surtout : nous rêvons de cabanes. C’est ce qui ressort d’une étude récente basée sur plus d’un milliard de requêtes à travers le monde sur le réseau Pinterest : notre désir le plus profond, c’est une cabane en pleine campagne. La demande « lieux paisibles » a ainsi augmenté à elle seule de 500 % par rapport à 2023 !

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© Studio Payol 

Un refuge hors du temps

« Dans ce monde où nous nous sentons dépassés par la technique, absorbés par elle, où l’on nous parle d’intelligence artificielle, la cabane est un refuge, explique Nathalie Moine, chargée de recherche au CNRS et autrice de “Refuges. Ces abris dont on rêve” (éd. Payot). C’est rassurant d’habiter un monde à notre mesure. La cabane nous ressemble par sa petitesse, par sa construction, elle est imparfaite, unique. Construire sa maison ou passer quelque temps dans une maison qu’on aurait pu construire ou réparer, c’est la liberté absolue. »               

Il y a un engouement pour le bois

Un monde sans mots de passe, où l’on fabriquerait nous-mêmes une table et trois tabourets. Karine Vallon, directrice développement de La Cabane Perchée, qui construit des abris dans les arbres depuis vingt ans, l’a constaté : « Depuis le Covid, les demandes ont fait un boom. Les gens ont envie d’échapper au stress, à leur quotidien. La cabane, c’est un retour aux sources. » Côté tourisme, on ne compte plus les séjours Robinson Crusoé. Et la tendance gagne les logements de longue durée, comme l’atteste le phénomène des tiny houses (micro-maisons).

Sans compter que, dans le bâtiment, les constructions en bois progressent sur le béton, notamment pour les logements sociaux ou les écovillages, car plus écologiques et plus faciles à construire. « Il y a un engouement pour la matière, assure Karine Vallon, pour l’artisanat, le fait main. Mais je crois qu’il s’agit avant tout de se simplifier la vie. Chez nous, on sent toujours un engouement pour la cabane traditionnelle, mais c’est la version minimaliste, ouverte sur la nature qui l’emporte. »

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© Matthieu Salvaing

De nouveaux robinssons          

La cabane, c’est l’échappée belle vers un monde plus libre, plus beau. « Nous sommes tous à la recherche du “bon paysage”, assure Marielle Macé, directrice de recherche au CNRS et autrice de “Nos cabanes” (éd. Verdier). Le paysage qui nous fait du bien, c’est la quête d’une vie ! En vacances, nous sommes proches de ça, et l’enthousiasme pour ces abris en bois symbolise notre soif d’habiter autrement le monde. » Car la cabane est le lieu des réparations. On pense à Sylvain Tesson dans ses forêts de Sibérie, ou bien à Robin Wright dans « Land », son premier film en tant que réalisatrice, sorti en 2021 : elle y montre comment le silence, la solitude, le dénuement dans les montagnes du Colorado offrent à une mère qui vient de perdre son enfant la possibilité de retrouver le goût de la vie.

La cabane, c’est l’échappée belle vers un monde plus libre, plus beau.

« Le philosophe Jacques Ellul, reprend Nathalie Moine, disait que, à force de se fier à la technique, nous allions finir par devenir une chose parmi les choses. » Dans une cabane, nous redevenons vivants parmi les vivants. « L’écrivaine Deborah Levy le raconte très bien dans “État des lieux” (Éditions du sous-sol), abonde Marielle Macé. Après un divorce, elle quitte une maison cossue pour un petit appartement, et, pour écrire, elle loue des cabanes de jardin. Ces lieux ne lui appartiennent pas, elle n’en possède que l’atmosphère. La vie s’y pose autrement. On écrit, on jardine, on bricole, on rêve, on imite Henry David Thoreau [philosophe américain (1817-1862), auteur culte de “Walden ou la Vie dans les bois” (éd. Futuropolis), ndlr], ou Emily Dickinson, qui écrivait ses poèmes dans sa véranda. On y a d’autres gestes, qui ne sont pas ceux de la vie de famille ou de la vie domestique. »                

Se réparer, et réparer aussi un peu la nature ?

« Nous nous sentons coupables vis-à-vis de la planète, avance Débora Fajnwaks, psychanalyste, nous l’avons dégradée et il y a dans le goût pour les cabanes une dimension expiatoire. C’est la main de l’homme qui n’a pas quitté la nature, qui la respecte même s’il continue de s’en différencier. » Car, bien sûr, la cabane est en pleine forêt, au bord d’un lac, en haut d’une montagne…

« Forcément ouverte aux quatre vents !, sourit Nathalie Moine. De quoi entrer en dialogue avec la beauté du monde, en toute humilité, nous obliger à respecter notre environnement, à l’écouter. » En somme, faire avec ce qui est, plutôt que de chercher à faire plus. « C’est le lieu d’autres abondances, explique Marielle Macé. Parce qu’on a moins, en réalité, on gagne : en temps de silence, en calme, en respiration, en beauté. En lien avec les autres aussi. » « Ce qui me touche, reprend Nathalie Moine, c’est que cette aspiration à plus d’humilité et de simplicité soit partagée par un milliard de gens. Cette communauté de rêve me donne beaucoup d’espoir. Cela veut dire que nous sommes très nombreux à refuser le monde tel qu’il va, c’est réjouissant. »

C’est une petite utopie qui a pris corps

Politique, la cabane ? Certainement, pour Marielle Macé : « C’est une petite utopie qui a pris corps. On peut penser aussi aux cahutes de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, construites pour préserver un sol, préserver la vie et affronter le monde collectivement. Les forces de l’ordre ont eu beau les détruire, elles n’ont pas pu détruire l’esprit qui les avait fait naître et les fera reconstruire. Même si le culte de la possession virile, du toujours plus, reste, hélas, encore bien en place. » Mais il y a aussi, dans cette envie de jouer les Tom Sawyer, une envie de réinventer le monde, à plusieurs. Il y a une communauté de la cabane. Il y a celle de l’enfance, souvenirs de constructions avec des cousins.

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© Studio Payol 

La cabane, ça vous gagne !                

Pour la troisième année consécutive, la Villa Médicis, à Rome, organise tout l’été son Festival des Cabanes, « pour imaginer une façon plus durable et moins invasive d’habiter le monde », avec l’installation de six abris originaux et éphémères. « Nous voulions raconter une histoire contemporaine, explique Sam Stourdzé, directeur de la Villa, montrer, avec ces constructions légères, la diversité infinie des nouveaux modes d’habitat écologique, qui vont de la tour au pont, en passant par le recyclage. La cabane rend concrète une écologie de la pensée. »

Plus de 40 000 visiteurs viennent chaque année admirer ces projets architecturaux, appelés ensuite à voyager à travers le monde. Des installations touristiques fleurissent aussi partout en France : côté Finistère, dans les Monts d’Arrée, où les cabanes de Douarenn proposent un temps de déconnexion ; en Camargue, où Les Bains Gardians vous immergent dans la nature sauvage ; dans les forêts landaises, à Cap Cabane, ou dans l’Oise, au Coucoo de La Réserve… Mais c’est en Suède que se trouve l’un des plus beaux hôtels abritant des cabanes perchées : au Tree Hotel, en Laponie, au cœur de la forêt. Sinon, on peut aussi se plonger dans des livres : « Cabin Porn » (éd. E/P/A), « Cabins » (éd. Taschen), ou, à paraître chez Ulmer, « Abrume, sur les traces des cabanes sauvages. »                                            

Il y a ce chalet qui sera aussi utilisé par d’autres, refuge de montagne, abri d’un été, bien commun. « C’est un espace à la fois très intime et collectif, explique Nathalie Moine. » Un point de vue que partage Débora Fajnwaks : « Quand des enfants font des cabanes, c’est leur maison dans celle de leurs parents. C’est, par le jeu, la première forme d’autonomie. » Se dessinerait-il avec elle les prémices de la civilisation de demain ? « Combien de temps passons-nous dans notre journée à créer ?, reprend Nathalie Moine. Notre imagination, même celle des enfants, est partout bridée.

Ce que dit cette histoire, conclut Nathalie Moine, c’est qu’on a le droit de vouloir échapper à la brutalité de notre monde

La cabane est, en cela, une résistance, une métaphore de ce que l’on pourrait faire si l’on construisait nous-mêmes d’autres mondes. » Et de nous raconter cette histoire merveilleuse : le 18 juillet 452, Attila attaque Aquilée. La ville romaine tombe, les habitants sont asservis ou massacrés. La veille, des poètes effrayés avaient pris la fuite en bateau. Au bout de quelques jours, ils avaient choisi de s’installer sur des îles insalubres, persuadés qu’elles n’intéresseraient pas les Huns. Et c’est ainsi qu’est née Venise.               

« Ce que dit cette histoire, conclut Nathalie Moine, c’est qu’on a le droit de vouloir échapper à la brutalité de notre monde. Ce n’est pas seulement fuir, c’est aussi proposer autre chose. » Et Marielle Macé de conclure : « Faire des cabanes, c’est jardiner des possibles. »

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© Judith et Alex