Ma mission, si je l'accepte ? Passer toute une journée sans râler, le sport préféré des Parisiens (et des Parisiennes, dont moi, plus connue à la rédaction sous le surnom de « Godzilla »). Un challenge impossible (mais « “impossible” n'est pas français », dirait Tom Cruise), inspiré par l'inédite atmosphère idyllique qui a saisi, contre toute attente, la capitale et ses habitants pendant la parenthèse enchantée des JO. Durant quinze jours improbables, nul n'a prononcé les mots qui fâchent ( « dissolution », « Premier ministre », « LFI »), une pluie de médailles s'est abattue sur nos athlètes et une ambiance de joie et de légèreté a teinté de rose bonbon Paris, transformé en Lalaland. Et si cette trêve incroyable se prolongeait en cette rentrée et ce début de jeux Paralympiques ? On peut toujours rêver.                

8 H 10. J'ouvre un œil en me croyant encore dans le gîte de l' Aubrac où j'ai passé mes vacances. Dans mes narines, l'odeur (imaginaire) du café chaud et de la fouace maison de notre charmante hôtesse régionale…                

8 H 11. Je regarde par la fenêtre. Il pleut à verse, et un énorme pigeon vient de déposer une fiente sur mon balcon. Bienvenue à Paris, la Ville Lumière. Je me répète, comme un mantra, la formule magique de Tony Estanguet lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux : « On ne se laisse pas impressionner par quelques gouttes de pluie. »                

8 H 15. Impossible de distraire ma flemme. Je me rendors, ronchonne, en rêvant d'éviter d'écrire cet article. Le refourguer à une collègue ? Poser un arrêt maladie ? Repartir en vacances ? Prendre la nationalité aveyronnaise ?                

9 H. Je suis réveillée par un bruit d'aspirateur. Une copine londonienne, installée pour quelques jours chez moi, s'est mis en tête de nettoyer mon appartement, qu'elle trouve « very dirty », tout comme le métro et les rues – infestées de rats, selon elle.               

9 H 01. Je lui dis, en essayant de garder mon flegme, qu'elle exagère. Que, depuis le début des Jeux, une tornade hygiéniste s'est abattue sur la ville : les triathlètes se sont même baignés dans une Seine étincelante de propreté, et les paratriathlètes doivent remettre ça.                

9 H 02. Elle ouvre un placard de la cuisine et me montre de drôles de petits cylindres noirs. « Des cwottes de souwis !!! » m'assène-t-elle sur le ton de la tragédie. Pour gagner du temps, je feins de ne pas comprendre. Elle répète. Très Anne Hidalgo après s'être baignée dans la Seine (le 17 juillet, avec notre intrépide reporter, le Dr Aga), je lui réponds : « C'est du bonheur ! » en souriant de toutes mes dents.                

10 H. Une première épreuve m'attend : prendre le métro sans pester. Un défi sportif exigeant au moins la force de caractère de Teddy Riner et de Léon Marchand réunis. Mais l'esprit des Jeux serait-il soudain venu me visiter ? Paraphrasant notre génial Léon, je répète devant le miroir de la salle de bains : « Si je rate ce challenge, qu'est-ce qui se passe ? Il ne va rien se passer. Donc maintenant, je n'ai plus peur de l'échec et je suis en mode : je profite et j'essaye. »               

10 H 11. Texto de ma rédac cheffe, qui me dit de me grouiller de rendre le papier. « Sinon tu es virée » (humour de cheffe). Je lui dis que j'ai besoin d'une préparation mentale avec le coach de Léon Marchand. Pas de réponse.                

10 H 30. Je me rends au distributeur du métro pour recharger ma carte Navigo Easy. 32 euros le carnet de tickets, près du double du prix habituel, un « cadeau » des Jeux. Je serre les dents, approche ma CB du terminal et m'acquitte (gloups) sans trembler. Si Antoine Dupont et tous les valeureux athlètes français qui ont récolté des médailles n'ont pas flanché, je peux le faire.                

11 H. « Malaise de voyageur à Gallieni. » Le métro a à peine vingt-six minutes de retard. Pour diminuer la tension, je sifflote en visualisant la vasque lumineuse des Jeux au-dessus du jardin des Tuileries. Un exercice de pleine conscience que je recommande à une inconnue qui attend sur le quai avec moi. Elle s'éloigne brusquement en secouant la tête. Je la vois qui parle à un contrôleur en me désignant du doigt.                

11 H 04. Une rame arrive. Chouette, elle est bondée. Je vais pouvoir ressentir l'extase collective que m'ont décrite, avec des trémolos dans la voix, mes amis restés à Paris cet été.                

11 H 05. En fait de liesse et de félicité, tous les voyageurs sont penchés sur leur smartphone et ont l'air comme un lundi, déprimés.                

11 H 10. Au lieu de tomber dans le piège, trop facile, de la grogne et du pessimisme, tellement français (dont s'étaient gaussés les journaux étrangers en juillet, avant de convenir, estomaqués, que Paris s'était transformé en pays de Oui-Oui), je décide de réveiller la flamme de mes compagnons de rame. Je crie très fort : « Léon Léon ». Un type avec des lunettes rectangulaires à la Félix Lebrun me répond : « Ta gueule, pouffiasse. » Mentalement, j'adresse au malotru le message de Teddy Riner au judoka Tatsuru Saito : « Ton impressionnante performance force le respect de tes adversaires, mon respect. »                

11 H 30. Je profite d'un arrêt du métro (vingt minutes, rien) pour descendre et finir le chemin à pied. Je m'auto-attribue la médaille de bronze de la bienveillance. Amélie Poulain, c'est moi.               

12 H. J'arrive enfin au café où j'ai rendez-vous avec un ami pour passer ma deuxième épreuve, dite de la « confrontation avec un serveur parisien ».                

12 H 30. Le garçon n'est toujours pas venu prendre la commande.                

12 H 45. Il a oublié la carafe d'eau que nous réclamons en vain depuis une demi-heure.                

13 H. Ma viande n'est pas « à point », mais il prétend que c'est de ma faute.

13 H 30. Il s'est trompé dans l'addition.                

14 H. Pendant toute cette épreuve, je reste aussi stoïque et de bonne humeur que Snoop Dogg à Roland-Garros. Admiratif, mon ami me souffle : « Tu me fais penser à la queen Céline Dion chantant “L'Hymne à l'amour” en haut de la tour Eiffel malgré sa grave maladie. » Médaille d'argent ?                

16 H. Après cette mise en jambe, je suis prête pour la troisième épreuve : me rendre dans une boutique branchée du Marais sans rien acheter.               

17 H. Finalement, je déclare forfait devant l'obstacle. Telle Simone Biles aux JO de Tokyo de 2021, je tiens à préserver ma santé mentale. « C'est tout à ton honneur », commente sobrement ma meilleure amie, à qui j'ai confié mes doutes par texto.               

19 H. Dernière épreuve, la plus redoutable, qui pourrait bien me permettre de décrocher une médaille d'or de la joie de vivre à Paname, sur laquelle cependant beaucoup d'athlètes se sont cassé les dents : le trajet en taxi.                

20 H. Contre toute attente, le chauffeur de taxi : 1) a accepté de me prendre, même s'il rentrait chez lui et que je n'allais pas dans sa direction ; 2) n'a fait aucun commentaire grincheux, est resté aimable, gai et optimiste ; 3) m'a confié qu'il a adoré les jeux Olympiques et qu'il a des billets pour les Paralympiques. Après tout, parfois, Paris est vraiment une fête !