Menu
Libération

Suicide de révolte en Chine

Un paysan cancéreux s'est fait exploser dans un bus à Fuzhou.
publié le 11 août 2005 à 3h16

Pékin de notre correspondant

Le suicide d'un paysan souffrant d'un cancer du poumon a déclenché un vif débat en Chine sur l'accès au système de soin public pour les plus pauvres. L'homme, 42 ans, avait, il est vrai, choisi de ne pas mourir dans la discrétion : il s'est fait exploser lundi avec une bombe artisanale dans un bus, à Fuzhou, dans le sud-est du pays, faisant 2 morts, dont lui-même, et 23 blessés.

Réformes libérales. Le paysan n'a pas laissé d'explication pour son acte désespéré, mais tout le monde, en Chine, l'a interprété comme un cri de révolte contre une société qui lui nie l'accès à des soins décents pour des raisons financières. Le traitement d'un cancer est en effet hors de portée pour l'immense majorité des Chinois, et, sans aucun doute, pour 100 % des paysans. Ce geste kamikaze intervient peu de temps après la sortie d'un rapport officiel accablant pour le bilan de vingt ans de réformes libérales dans le domaine de la santé en Chine.

C'est sur les forums Internet, une fois de plus, que l'on trouve les commentaires les plus percutants. Sur Sina.com, premier site du pays, les internautes parlent de «vengeance contre la société», estiment que beaucoup de gens, confrontés au même problème d'une santé devenue payante, «partagent l'état d'esprit de ce paysan», ou encore reprochent à la société de «ne pas donner une chance de vie aux plus pauvres». Bon nombre d'internautes soulignent, comme l'écrit l'un d'eux, que «toutes les personnes désespérées ne font pas autant de bruit» que le suicidé de Fuzhou, et n'attirent donc pas l'attention d'une société dans laquelle «les gens sont de plus en plus froids les uns envers les autres».

En démantelant le système collectif de l'ère maoïste, les réformateurs du communisme chinois ont laissé se développer ce que le ministre de la Santé a qualifié, la semaine dernière, de «commercialisation» des hôpitaux publics aux dépens des plus pauvres. Tout acte médical est désormais payant, une situation dont les premières victimes sont les paysans. Plus de la moitié des 600 à 700 millions de paysans ne vont pas dans les hôpitaux ou interrompent leurs soins faute d'argent, selon les chiffres officiels. Fin juillet, un rapport du Centre de recherches sur le développement rattaché au Conseil d'Etat, c'est-à-dire au gouvernement, a fait le bilan sans complaisance du système de santé publique. Des hôpitaux qui diagnostiquent des maladies imaginaires pour faire payer les patients, des médecins qui pratiquent des «extorsions de fonds» auprès des malades, des institutions publiques qui se concentrent sur les équipements qui rapportent le plus aux dépens de la médecine de base... Les chercheurs estiment que la médecine est devenue un «club de riches» et critiquent l'idée très répandue au sein de l'intelligentsia selon laquelle les lois du marché peuvent tout régler... Le rapport suggère que le gouvernement prenne en charge les dépenses de santé de base.

Outrances. Ces propositions se sont attiré une volée de bois vert de la part de Hu Shuli, la très libérale éditorialiste de l'hebdomadaire financier Caijing, qui les juge «irréalistes» dans la Chine actuelle, et met en garde contre «le vent communiste» dont serait porteur ce rapport, une expression qui évoque les outrances de l'ère collectiviste.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique