Edgar Lopez, la bohème arty chevillée au corps

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Il a réalisé ce jardin de cactus à l'entrée de l'hôtel Corazón ouvert en 2023 avec sa compagne, la photographe britannique Kate Bellm, célèbre pour ses photos de mode à la féminité rock. Avec son allure de « lonesome cowboy », l'artiste pluridisciplinaire d'origine mexicaine Edgar Lopez s'est tout de suite plu dans la Serra de Tramuntana, massif montagneux classé au patrimoine de l'Unesco. Avant de poser ses valises ici il y a dix ans, le couple, qui s'est rencontré en 2011 dans une résidence d'artistes à Tulum (Mexique), a mené une vie nomade à travers le monde. « On n'aurait jamais pensé ouvrir un hôtel », s'amuse Edgar. Accrochée à la montagne, dans le virage d'une route en lacet, cette vieille finca, abritant jusque-là un agrotourisme sans cachet développé par des Allemands, les convertit pourtant à la sédentarité. Épaulés par les designers et amis Oro et Tille del Negro (studio Moredesign), ils imaginent un éden à leur image, à la fois luxueux et sauvage, de quinze chambres toutes différentes. Au menu : formes organiques, rose poudré et vert menthe, lits à baldaquin, influences folk et seventies. Le tout peuplé d'œuvres d'artistes, celles d'Edgar et de Kate, mais aussi du peintre surfeur Ozzy Wrong. À travers des collaborations créatives – la styliste australienne Lucy Folk a dessiné les uniformes de l'hôtel tandis que la sculptrice et designer Yasmin Bawa a fabriqué le bureau de la réception –, des résidences d'artistes mais aussi des concerts et des cinémas en plein air, l'endroit se présente comme un lieu conçu par et pour les artistes.

Cocon ouaté

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Dans la suite El Corazón, comme dans le reste de l'hôtel, tous les angles ont été gommés grâce à des enduits de plâtre et du micro-ciment. Écrin barbe à papa, cette chambre prend des allures de niche troglodyte sortie d'un conte.

Dora Good, la terre en héritage

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Elle dégage une élégance naturelle, qui s'accorde avec la beauté pure des céramiques qui l'entourent. Il y a dix ans, Dora Good, 37 ans, décide de revenir sur l'île où elle est née pour s'installer dans le village perché de Deià au cœur de la Tramuntana. C'est d'abord en Floride, où elle grandit de 6 à 18 ans, qu'elle s'initie à la terre, dans le studio de sa mère céramiste. « Petite, j'ai toujours eu l'habitude de jouer avec l'argile », se souvient-elle. Pourtant, c'est la peinture qu'elle étudie à l'école d'art Massana de Barcelone au début des années 2000, avant de vivre à Rome, Londres et New York, cherchant sa voie en tant qu'artiste. En 2013, elle s'achète un tour et renoue avec la céramique comme une évidence. « J'ai tout de suite eu le sentiment que j'avais trouvé mon médium. C'était ce que j'étais censée faire », se souvient-elle. Se plaçant dans la lignée familiale, elle rejoint sa mère et sa tante qui partagent un atelier à Deià et applique les recettes secrètes d'émaillage de sa grand-mère sculptrice. Adepte des effets de texture, Dora Good ajoute de la cendre, du quartz naturel ainsi que des oxydes métalliques à la matière et utilise une technique ancestrale d'enfumage qui donne à certaines de ses pièces un noir crayeux. Inspirée par son environnement, la mer et la Lune au premier plan, la créatrice façonne des céramiques entre le brut et le délicat, la ligne et la courbe. Elles sont exposées à la Gres Galerie à Deià mais aussi chez Maud and Mabel à Londres et aux États-Unis.

Marc Bibiloni (Galerie La Bibi), galeriste défricheur

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À 32 ans, Marc Bibiloni est aux manettes de l'une des galeries les plus courues de Majorque, installée à Establiments, village à une vingtaine de minutes de Palma. Après des études de communication et de marketing à Barcelone, puis un master en art contemporain à Londres, il rencontre le créateur de mode Paul Smith qui lui confie la responsabilité des expositions de sa boutique-galerie à Mayfair (Londres) avant de se voir proposer un poste de directeur par un galeriste allemand de Majorque. De retour sur son île natale, Marc se rend compte qu'une communauté de jeunes artistes a émergé localement. En 2021, il décide de se lancer dans le grand bain en ouvrant la galerie La Bibi dans le village où il a grandi. Il y orchestre deux lieux, une résidence d'artistes et un espace d'exposition de 700 m2 abrité dans une ancienne fabrique de chaussures à la belle charpente en bois. Le jeune galeriste représente désormais huit artistes, internationaux ou locaux. Certains sont majorquins à l'instar de la jeune Ela Fidalgo ou habitant l'île tel le Madrilène Grip Face auquel la galerie consacre une exposition en juin prochain. Une sélection audacieuse complétée par un programme d'expositions pop-up à Paris – notamment à la galerie Joseph – et à New York.

  • Galerie La Bibi, carrer del Moli del Comte, 47A, Establiments/Palma. 
  • labibigallery.com

QG de la jeune garde 

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Formé à Barcelone et à Londres, Marc Bibiloni a su faire de cette galerie perdue dans la campagne majorquine un nouveau spot aux propositions pointues, comme ici des œuvres de l'artiste allemand Mario Klingemann et du duo norvégien Grönlund-Nisunen.

Ela Fidalgo, beautés imparfaites

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Ses sculptures textiles en forme de poupées géantes sont inspirées d'un souvenir d'enfance : celui des broderies de sa grand-mère, qui l'initie à l'art du canevas et de la mantille, un voile brodé traditionnel. Naturellement, Ela Fidalgo s'oriente vers des études de stylisme, à l'Institut européen de Design de Madrid, avant de participer en 2018 au Festival international de mode et photo à Hyères, où elle fait partie des huit finalistes, section vêtements. Son approche fait mouche mais ses créations sont trop loufoques pour être commercialisables d'autant qu'elle travaille essentiellement avec des chutes de tissus recyclés. Face à l'absence de business model, la jeune femme décide de se tourner vers le milieu de l'art et revient s'installer sur son île natale, à Majorque. Elle se met alors à développer un travail mixant broderie, textile et peinture. “La Gordita” – « grosse » en vf – est la première créature de cette artiste émergente qui interroge les standards de beauté avec ses personnages aux coutures apparentes telles des cicatrices, qu'elle appelle affectueusement ses « petits Frankenstein ». Représentée par la galerie La Bibi, elle a été récompensée par de nombreux prix et expose un peu partout en Espagne.

Marlene Albaladejo, l'art de revisiter la tradition

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Elle est l'une des pionnières à avoir ressuscité l'intérêt pour les savoir-faire locaux. Descendante d'une famille majorquine fabriquant des chaussures en cuir depuis 1866 – l'une des industries traditionnelles de l'île –, Marlene Albaladejo, qui a étudié le design à Barcelone et à Milan, a d'abord officié en tant que directrice artistique de l'entreprise familiale. En 2006, elle décide de fonder sa propre boutique, baptisée La Pecera – en vf, « le bocal à poissons », clin d'œil à l'ancienne poissonnerie installée dans ces murs. Dès lors, elle dessine des pièces contemporaines inspirées de l'héritage culturel majorquin, dans un respect absolu des techniques et du temps nécessaire à chaque réalisation. Céramique, bois, palme, « llengos » – un procédé de teinture et de tissage majorquin proche de l'ikat –, elle met à l'honneur les ressources de l'île et travaille avec une vingtaine d'artisans émérites. Parmi ses créations : un rocking-chair en cuir tressé, des tabourets et chaises en bois et fibres naturelles, des appliques en laiton, une table conçue avec un producteur de ciment mais aussi des sombreros tressés, des espadrilles... Attenante, la galerie Medina Mallorca, appartenant à son mari, est spécialisée dans le design du XXe siècle.

Claudia El Omo, la création en fil rouge

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C'est un véritable retour aux sources. En 2020, Claudia El Omo décide de revenir vivre à la Casa Balandra, cette maison où elle a grandi avec sa sœur Isabella jusqu'à l'âge de 14 ans, en pleine campagne. Ensemble, elles nourrissent le rêve de redonner vie à la bâtisse à l'abandon depuis une dizaine d'années, et imaginent un projet à la croisée de l'art, du design et de la gastronomie. Leur concept ? Proposer à la fois des résidences à des artistes de tous horizons et des évènements culinaires orchestrés par des chefs invités. Passionnée d'art et diplômée en design à l'université Goldsmiths de Londres, Claudia, l'esprit créatif du duo, s'attache à redécorer la maison. Elle dessine une table en pin de 3,5 mètres de long pour les dîners conviviaux, arpente les boutiques d'antiquaires et les ateliers de potiers, spécialité du village voisin de Pòrtol. Les œuvres des résidents – peintres, sculpteurs, photographes mais aussi musiciens, designers, vidéastes – peuplent les deux étages de la Casa Balandra qui, de mai à octobre, est également proposée à la location. Un point de chute idéal pour s'immerger dans la vie locale.

Résidence particulière

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Dans la maison de famille qu'elle a réinvestie, Claudia El Omo mixe les œuvres des artistes qu'elle accueille en résidence, sur la rambarde, une toile d'Anousha Payne –, des objets personnels comme ce kimono ayant appartenu à sa grand-mère japonaise ainsi que ses propres créations, à l'instar de cette table basse en verre et céramique réalisée par des artisans locaux.

Gemma Salvador et Eugenia Marcotte (Llanatura), la laine ressuscitée

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Elles se sont rencontrées au hasard d'un tournant de la vie, sur fond de remises en question professionnelles. La première, Gemma Salvador (à gauche), consultante en environnement, cherche un sens nouveau à sa vocation tandis qu'Eugenia Marcotte (à droite), licenciée d'une société de transport, s'est reconvertie dix ans auparavant dans l'artisanat de la laine. Ensemble, elles font un implacable constat : alors que les moutons sont l'une des ressources de l'île, rien n'est fait de leur laine, brûlée, enterrée ou exportée vers l'Asie. En pleine pandémie, elles décident de revaloriser cet or blanc et apprennent à gérer toutes les étapes nécessaires à sa fabrication : la tonte, le lavage jusqu'au feutrage à sec, qui ne consomme pas d'eau. Produisant deux tonnes de laine chaque année, elles ont relancé une filière locale, fournissant les artisans marjoquins, collaborant parfois avec des artistes et des designers pour créer des pièces exclusives, et proposant également des produits finis : coussins, couvertures, espadrilles, kimonos... Leur objectif ? Participer à l'économie de l'île en transformant un déchet en ressource textile. Grâce au soutien de la fondation Es Garrover, elles ont investi en 2021 une ancienne usine de chaussures de 600 m2 qui donne de l'amplitude à leurs ambitions.

  • Llnatura, calle Ramon Llull, 74, Inca. Sur rendez-vous. 
  • llanatura.com

Duo engagé 

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Gemma et Eugenia se sont associées il y a quatre ans pour relancer une filière de la laine à Majorque. Rouleaux de feutre brut de différentes teintes, ou produits fabriqués à la main, elles travaillent souvent en collaboration avec des créateurs et des artistes, revalorisant l'attrait de cette ressource locale et renouvelable auprès de toute une jeune génération.

Adrián Martínez Marí et Ola Kawalko (Accidente con flores), le goût des choses simples

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C'est la fusion de deux univers différents : ceux d'Adrián Martínez Marí, originaire d'Ibiza, et d'Ola Kawalko, native de Pologne. Après leur rencontre en 2014 à Anvers (Belgique), où elle étudie la mode à l'Académie royale des Beaux-Arts et où il lance sa carrière d'artiste, ils décident d'associer leurs sensibilités en fondant Accidente con Flores, un studio multidisciplinaire, installé à Ibiza puis à Majorque. Sur cette île, où ils investissent une maison sans prétention à laquelle on accède par une allée plantée d'orangers et d' oliviers, ils collaborent avec des artisans locaux, qui brodent, tricotent, crochètent, tressent, façonnent... à partir des modèles – vêtements, accessoires, tapis et céramiques – qu'ils conçoivent à quatre mains. Leur supplément d'âme ? Une poésie champêtre liée à la vie simple qu'ils mènent ici, utilisant les matières premières locales et recensant les artisans de Majorque – et à terme des Baléares – sur la plateforme howtheywork.org. Chaque mois, ils organisent des ateliers de tressage de paniers, d'autres dédiés à la peinture aux pigments naturels ou à la teinture à base de plantes – garance, écorce de grenade, feuilles d'olivier, ou d'eucalyptus. Une ode à l'ultralocal.

Adriana Meunié, cordes sensibles

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Installée près de Campos, à l'est de l'île, cette créatrice textile vit avec son compagnon, l'artiste Jaume Roig, entourée d'une arche de Noé : deux moutons, deux paons, des poules, un bouc... Après des études de mode à Barcelone et des stages auprès de stylistes espagnols et berlinois, elle réalise que ce monde « trop rapide et stressant » n'est pas fait pour elle. La découverte fortuite d'une tapisserie dans une galerie va déterminer sa carrière. Fascinée par cette technique, elle s'y forme, notamment auprès d'une Amérindienne Navajo, à l'occasion d'un stage d'été aux États-Unis, avant de revenir vivre à Majorque où elle est née, en 2014. La laine est la première matière qu'elle expérimente, apprenant à la tondre, la laver puis à la tisser sur d'immenses châssis pour créer des œuvres à la beauté sauvage. Travaillant également les fibres végétales, tels l'esparto ou le carritx, avec la même approche brute, Adriana Meunié revendique une « élégance monstrueuse ». « Je ne veux pas seulement que ce soit esthétique, précise-t-elle. Je veux aussi que ce soit un peu bizarre. » Une démarche sans concession qui séduit les architectes d'intérieur et les galeristes. Agrémentant les hôtels les plus en vue de Majorque et des résidences particulières dans le monde entier, ses œuvres sont également exposées à la foire d'art contemporain (ARCO) de Madrid, au salon PAD à Londres, en Corée ou dans les Hamptons. Une artiste à suivre.

En quête de bizarre 

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Inspirée par la beauté naturelle, la forme des roches et le mouvement des fibres, Adriana Meunié travaille la laine brute, les cordes ou encore le carritx (graminée), en laissant surgir la matière de ses tapisseries XXL.

Jaume Roig, épure des formes

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Majorquin de souche, Jaume Roig est initié très tôt à l'art de façonner la terre par sa mère qui fait de la poterie utilitaire. « Ayant grandi dans son studio, j'ai toujours peint et modelé », raconte ce grand brun au regard franc. À 18 ans pourtant, il cherche sa propre voie. « J'ai voulu échapper à la céramique, j'en suis même venu à la détester. » Plombier, maçon... il fait mille métiers. « Ce fut mon université, j'ai beaucoup appris », affirme-t-il. En 2012, c'est pourtant l'argile qui l'appelle à nouveau. Il revient à ce médium qui coule dans ses veines. « J'ai alors trouvé mon propre langage. » Un style organique, inspiré de crânes d'animaux, de masques et autres totems, et jouant sur l'équilibre des formes, qui se traduit dans des céramiques aux textures brutes et des peintures aux figures élémentaires. « Jeune, j'avais tendance à en faire trop. Mes œuvres étaient très chargées, agressives. Avec le temps, j'ai épuré. La beauté de ce métier, c'est de trouver l'essence de soi-même. » S'amorcent alors une série d'expositions dans des galeries et des centres culturels de l'île, puis des collaborations avec des architectes renommés, à l'instar du Majorquin Toni Esteva ou des Français de l'Atelier du Pont pour leur hôtel autosuffisant Son Blanc à Minorque. Après avoir travaillé avec le galeriste espagnol Miquel Alzueta, Jaume Roig est désormais représenté par la galerie Les Ateliers Courbet à New York. Et à voir les collectionneurs faire le déplacement jusqu'à son atelier en pleine campagne, nul doute que sa cote grimpe !