Que l’on soit triste, en colère, anxieux ou confiant, on a tendance à croire que nos émotions dépendent des autres et des circonstances extérieures. Dans son livre « Les clés de l’indépendance émotionnelle » (Éd. Larousse), Carole Rinaldi, coach en développement personnel, tord le cou à cette fausse croyance. En effet, ce que l’on ressent dépend uniquement de nos pensées et de nos perceptions. Une prise de conscience qui permet de se libérer du regard des autres et de gagner en sérénité. 

ELLE. - Qu’est-ce que l’indépendance émotionnelle ? 

Carole Rinaldi. L’indépendance émotionnelle se base sur une prise de conscience : les circonstances de la vie sont neutres, et nos émotions ne dépendent pas de l’extérieur. Être joyeux, triste, anxieux ou en colère, est avant tout lié à nos pensées ou à notre interprétation de la situation.  

« L’indépendance émotionnelle, c’est un état dans lequel on prend l’entière responsabilité de ce que l’on ressent. »

Par exemple, certaines pensées liées au regard des autres auront tendance à jouer sur l’estime de soi. Imaginons que je mange seule au restaurant, ou que je porte une tenue colorée. Si des regards se posent sur moi et que je les perçois comme insistants, le problème, ce n’est pas le regard de l’autre, mais ce que je suis en train de me dire à ce sujet. Peut-être que cette personne est simplement perdue dans ses pensées, peut-être qu’elle n’aime pas ce que je porte, mais peut-être aussi qu’à l’inverse, elle trouve mes vêtements très jolis. Dans tous les cas, ça lui appartient. L’indépendance émotionnelle, c’est un état dans lequel on prend l’entière responsabilité de ce que l’on ressent, sans se laisser imposer ses émotions par la vie ou par les autres. 

ELLE. - Pourquoi est-il important de se détacher de nos pensées automatiques ? 

C.R. - Plusieurs de nos pensées sont tellement imprimées en nous qu’elles sont automatiques, nous menant instantanément aux émotions correspondantes. Parmi elles, certaines nous ont été transmises, d’autres tellement pratiquées qu’elles façonnent notre personnalité. C’est de ce « mode de pensées par défaut » qu’il est intéressant de se détacher quand nous avons le sentiment qu’il nous conduit à subir nos émotions plutôt que de les choisir.

ELLE. - D’où vient le besoin d’être aimé et validé par les autres ?  

C.R. - Le besoin d’être aimé et validé par les autres est utile à notre survie car il contribue à la qualité de nos liens et à la force de connexion de nos relations. Ce besoin est plus ou moins intense et handicapant, parce qu’il dépend aussi des blessures d’attachement ou des blessures émotionnelles. Néanmoins, nous y sommes tous sensibles, y compris les personnes qui ont un type d’attachement sécure. Quand il est nourri, ce besoin apaise nos peurs du rejet, de l’isolement, classifiées par le cerveau comme potentiels dangers de mort. C’est pourquoi nous y sommes tous sensibles et que son existence est capitale. 

ELLE. - Pourquoi la recherche de validation extérieure peut-elle nous faire souffrir ? 

C.R. - La recherche de validation extérieure ne fait pas toujours souffrir. Elle est douloureuse quand le regard de l’autre est le garant de notre valeur personnelle. Sans lui, nous en doutons constamment, nous ne savons pas si nous faisons « ce qu’il faut », et si nous sommes dans le droit chemin et prenons les bonnes décisions. On vit alors sous l’autorité d’un autre à l’extérieur, détenteur de nos vérités, solutions, mieux placé que nous pour nous guider. De plus, elle est épuisante car même en consacrant une énergie folle à cocher toutes les cases qui nous garantissent mérite, soutien et reconnaissance, on ne peut jamais faire l’unanimité ni être validé de tous. 

ELLE. - En quoi l’indépendance émotionnelle peut-elle aider à se libérer du regard des autres ? 

C.R. - Avec l’indépendance émotionnelle, on comprend que nous ne souffrons pas du regard des autres mais de ce qu’il signifie pour nous. La bonne nouvelle est qu’en sortant du stress occasionné par ces situations, on peut apprendre à donner un sens nouveau au regard de l’autre. Par exemple, si vous dînez seule au restaurant et que certains regards se font insistants, peut-être votre voisin de table vous envie-t-il d’oser faire ce qu’il vous plaît sans vous soucier du reste !  

« Avec plus d’indépendance émotionnelle, le regard de l’autre reste important mais n’est plus primordial pour être et vivre en accord avec soi. »

Aussi, quand on intègre que c’est à soi-même qu’on se doit de se sentir bien, les jugements et critiques des autres nous effraient moins. Ils ne déterminent plus notre valeur, et notre bonheur n’en dépend plus car même la méchanceté des autres n’a plus le pouvoir de nous condamner à des émotions pénibles si nous n’en faisons pas le choix. Avec plus d’indépendance émotionnelle, le regard de l’autre reste important mais n’est plus primordial pour être et vivre en accord avec soi.  

ELLE. - Quelles principales clés donneriez-vous pour atteindre l’autonomie émotionnelle, afin de se libérer du regard des autres et prendre confiance en soi ? 

C.R. - Tout d’abord, il faut s’habituer à faire la différence entre nos pensées et les faits. S’exercer à faire le lien entre nos émotions agréables ou pénibles, et nos pensées. Néanmoins, quand on est trop émotionnel, il peut être compliqué de dissocier les faits de l’interprétation, parce qu’on a basculé en mode "insécurité", ou parce que l’émotion fait appel à des traumatismes. Dans ces cas-là, il existe des systèmes de thérapies qui permettent de travailler sur ces sujets-là. 

Ensuite, on peut intégrer le fait qu’une émotion n’est pas néfaste ni dangereuse. Chacune d’entre elles a sa raison d’être, une utilité. À nous de les accueillir et d’en tirer profit pour mener la vie qui nous correspond. Enfin, on peut apprendre à déjouer les biais et à se défaire des croyances qui empêchent de reconnaître sa valeur personnelle et de s’en accorder. 

« Naturellement, le cerveau est paramétré pour filtrer les situations, en accordant une importance émotionnelle plus forte à ce qui est négatif, plutôt qu’au positif. »

ELLE. Dans votre livre, vous conseillez de dresser la liste de ses ressources et accomplissements dans un carnet, pour reconnaître davantage sa valeur... 

C.R. - Ça, c’est pour la partie activité mentale. Mais avant d’y recourir, d’autres outils comme le travail sur la respiration, sur le corps, par la méditation par exemple, peuvent être utiles. Ensuite, en complément, on peut en effet lister ses accomplissements. Naturellement, le cerveau est paramétré pour filtrer les situations, en accordant une importance émotionnelle plus forte à ce qui est négatif, plutôt qu’au positif. L’objectif est de contrecarrer le biais négatif du cerveau en se disant que oui, il y a peut-être des choses que je n’ai pas su faire au mieux, mais que si l’on regarde d’où l’on part, et où l’on en est aujourd’hui, il y a aussi des réussites. 

ELLE. - Vous recommandez aussi de s’adresser intérieurement à des versions passées de soi. En quoi cet exercice est-il efficace et comment procéder concrètement ? 

C.R. - Je vais vous donner un exemple concret. Il y a un an, je ne parvenais pas à terminer le chapitre 3 de mon livre. Je n’étais pas bien, parce que j’avais peur de ne pas arriver au bout du livre, et cela m’a amenée à repartir complètement de zéro. Aujourd’hui, un an plus tard, je me souviens de cette période-là, et de la version de moi qui vivait ces émotions-là, à ce moment-là. Je suis la version de moi un an plus tard, qui sait que la sécurité va revenir tôt ou tard, et que je vais mener à bien ce projet. L’exercice consiste donc à s’adresser intérieurement à la partie passée de soi, pour ancrer à l’intérieur de soi que l’on s’en sort toujours. On peut se dire “Là, il y a ces émotions, tu es stressée, mais moi je te dis que tu peux avoir confiance, tu peux avancer. Tu peux le faire et ça va bien se passer.” Cela permet de renforcer son état de sécurité intérieure, en se disant que si l’on est en vie aujourd’hui, c’est que d’une manière ou d’une autre on a toujours su s’adapter ou trouver les ressources.