« C’est une vidéo qui sera triste, je pense que vous vous en doutez en cliquant sur cette vidéo. » Sur sa chaîne YouTube, la créatrice de contenu Sirennessence a partagé il y a un an l’histoire de sa rupture amoureuse. « J’ai plein de photos, j’ai sa serviette de bain… C’est compliqué », avoue-t-elle les larmes aux yeux dans un plan où il est indiqué « Jour 1 ». Au fil des jours, elle filme son processus de deuil dans le but « de montrer ce qu’est la vraie vie » et d’aider des abonnés dans la même situation.  

De longues réflexions, des larmes, et de la musique triste… En 2020, à travers la vidéo « Il m’a quitté par mail », de la Youtubeuse et humoriste Swan Périssé, on découvrait le phénomène du journal de bord d’une rupture amoureuse. Dans la vidéo en question, qui avait cumulé 260 000 vues, elle décrivait le processus de deuil par lequel elle était passée à la suite d’une rupture difficile. Douze jours plus tard, la créatrice de contenu Horia s’emparait à son tour du concept avec la diffusion de la vidéo « J’ai filmé ma rupture ». Avec ses plus de 2,9 millions de vue, elle est l’une des plus populaires de sa chaîne. Et pour cause : La Youtubeuse s’adresse à la deuxième personne du singulier, filme ses crises d’angoisse au fil des mois et ses étapes vers la guérison. Un message y est diffusé comme un mantra : le temps fait les choses et si je (créatrice de contenu) peux le faire, tu (internaute) peux le faire.  

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« Il y avait un effet cathartique dans le fait de regarder les autres pleurer une relation » 

Et les abonnés y trouvent leur compte. Barbara a traversé sa première séparation amoureuse à 22 ans : « c’était mon premier amour et, dans mon esprit, l’amour de ma vie. J’avais l’impression que rien ni personne ne pourrait jamais m’aider à aller mieux », confie-t-elle. À l’époque, Horia et Swann Périssé viennent de publier leurs vidéos. L’étudiante y trouve du réconfort mais, surtout, « une impression de ne plus être seule dans (sa) douleur ». « Je me souviens avoir pleuré toutes les larmes de mon corps devant la vidéo d’Horia car son histoire me renvoyait à ma propre situation. » La jeune femme se rappelle avoir machinalement tapé « rupture amoureuse » sur YouTube à plusieurs reprises dans l’espoir de trouver des récits similaires. « Il y avait un effet cathartique dans le fait de regarder les autres pleurer une relation perdue sur fond de musique triste et de citations larmoyantes. »  

« Il y a en effet une forme de catharsis quand nous sommes face à une souffrance qui nous raconte la nôtre », analyse la psychanalyste et autrice Emma Scali. « Sur le même principe que la fiction, il y a un effet de sororité et de communion avec une personne qui traverse les mêmes épreuves que nous. »  

Barbara a depuis tourné la page de sa relation passée et affirme que les messages positifs des influenceuses qu’elles suivaient à l’époque ont eu « un rôle à jouer » dans son processus de deuil. « Ce sont des vidéos construites de manières assez similaires : d’abord il y a l’annonce de la séparation, la tristesse, le déni, la colère… Et puis il y a l’après : la reconnexion avec soi-même et l’envie d’aller mieux. Toutes ces étapes, nous les vivons aussi derrière notre écran. » 

Il y a quelques mois, Maelyss, connue sous le pseudo « toutsimplementmae » sur Instagram, partageait, elle aussi, la fin de son histoire d’amour avec ses abonnés. Une vidéo courte, sans musique mélodramatique ni montage, dans laquelle elle se filme en pleurs quelques minutes seulement après avoir mis un terme à sa relation. « Je m’étais toujours dis que si un jour je revivais une peine de cœur, je documenterais ce moment pour aider les autres et leur faire comprendre qu’on se remet d’un cœur brisé. » La jeune femme de 23 ans filme ses réactions à chaud sans savoir dans un premier temps si cette vidéo finira sur Internet. « Quand je me suis sentie prête, j’ai décidé de la publier. C’était comme si le fait de revendiquer ma rupture sur les réseaux sociaux m’aidait à l’accepter », admet-elle. Publier de telles vidéos serait en effet un moyen d’agir sur une situation qui nous échappe. « C’est une façon de reprendre le pas sur la rupture. Car si nous ne contrôlons pas une séparation, nous pouvons contrôler la façon de vivre la chose », appuie Emma Scali. 

 Injonction sociétale, exhibition et narcissisation 

Mais derrière cette volonté d’aider les autres dans leur propre séparation et celle de reprendre le contrôle de sa propre histoire se pose la question de l’exhibition. Pour la psychanalyste Emma Scali, derrière ce besoin de raconter aux yeux de tous sa rupture, il y a bien sûr un besoin de reconnaître sa souffrance, mais aussi de la mettre en scène. « Dans cette période, nous pouvons avoir un besoin de narcissisation qui explique que l’on se filme. En gardant une trace de cette douleur, cela permet aussi de se rendre compte que l’on va mieux par la suite », explique-t-elle. 

Pour la psychanalyste, ces créateurs de contenus peuvent à la fois être dans une recherche inavouée de réconfort auprès de leur public, mais aussi répondre à une demande sociale. « Annoncer sa rupture sur les réseaux sociaux est presque devenu une injonction sociétale au même titre que la publication des bans au moment d’un mariage ou d’un décès », met en avant la professionnelle. C’est, entre autres, dans cette recherche d’officialisation que Maelyss a été motivée par le fait de mettre en ligne sa rupture. Une démarche qui n’a pas été comprise par tous.  

« J’ai mis ma sensibilité à nue sur Internet »  

Sur Instagram, la vidéo sa vidéo fait sensation. « Je viens de mettre un terme à la plus belle histoire que j’ai vécu de ma vie », annonçait l’étudiante à sa communauté, les yeux bouffis et les joues couvertes de larmes. Un extrait regardé par 1,9 millions d’internautes, du presque jamais vu pour la jeune créatrice de contenus. Une exposition qui lui aura valu certes beaucoup de messages bienveillants, mais aussi de nombreux commentaires haineux : « J’ai mis ma sensibilité à nu sur Internet et cela a été beaucoup critiqué ». Des critiques qui lui feront presque regretter d’avoir partagé ce moment si intime à des millions de personnes dans une période où elle était elle-même vulnérable. Une réaction parfaitement normale pour la psychanalyste : « Lors d’une rupture, nous pouvons être motivés par une pulsion avant de nous demander si nous avons bien fait de poster la vidéo, notamment parce qu’une part de nous n’était pas prête à recevoir des commentaires négatifs. » Et cela concerne tout le monde : l’année dernière, la chanteuse Britney Spears avait elle aussi publié du contenu concernant son divorce avec Sam Asghari, avant de supprimer la publication.  

À la question « Une part de vous a-t-elle publié ses vidéos dans le but que votre ex tombe dessus ? », Maelyss répond que non. « Quand la relation s’est terminée, j’ai informé mon conjoint qu’il serait bloqué de tous mes réseaux sociaux afin que nous n’ayons aucune chance de nous recontacter », retrace l’étudiante en marketing « Je ne voulais pas qu’il ait connaissance de cette vidéo car ce n’était en aucun cas un message caché ou une envie de le reconquérir. » 

« Le fait de se manifester dans l’espace public peut en effet être une façon d’envoyer un signal à l’autre », alerte Emma Scali. « Dans ce cas il y a une dimension de dépendance affective. Certains envoient des messages, des lettres… Ici on est dans une manière détournée d’attirer l’attention de l’autre. La personne ne cherche pas directement à manipuler l’ex mais à susciter une réaction toujours dans une forme de séduction. » Une technique que l’on vous déconseille si vous voulez le reconquérir… 

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