Chronique|

Hier, a-t-on frôlé la fin du monde?

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Les passagers coincés dans un terminal alors que les vols sont retardés en raison d'une panne technologique mondiale à l'aéroport international Harry Reid à Las Vegas.

CHRONIQUE / C’est la première chose que j’ai entendue quand, fidèle à mon habitude matinale, j’ai activé la radio sur ma tablette, deux minutes avant de perdre le signal: il était question d’avions cloués au sol dans plusieurs aéroports en raison d’une panne informatique mondiale liée à Windows.


Windows, sérieux?

J’ai tenté de rattraper l’émission sur la radio hertzienne, silence là aussi. Je ne suis pas de ces survivalistes qui attendent impatiemment la fin de la civilisation (je ne l’exclus pas non plus), mais jamais je ne me départirai de cet appareil muni d’une antenne, une coupure d’Internet est si vite arrivée. Je garde aussi en réserve un vieil iPod qui peut se brancher sur ma radio, une relique dans laquelle je conserve un noyau musical de dernier recours, pour les fois que ça tournerait vraiment mal, par exemple le wifi qui fait des siennes lors d’un souper d’amis.



Pour le grand effondrement total, comme dans le roman La route, de Cormac McCarthy, je devrais envisager une autre solution. Un Walkman à piles AA, peut-être, avec une cassette TDK de 90 minutes contenant la trame sonore de ma vie, de Help, des Beatles, à Highway to Hell, d’AC/DC, pourrait faire l’affaire.

C’est la même panne qui a fait que mon émission matinale me parvenait par intermittence. Ça venait me toucher, mais moins que les voyageurs qui s’entassaient dans les aéroports.



Le ton de la nouvelle, vaguement apocalyptique, contrastait avec l’humeur excitée des animateurs. Comme si les circonstances avaient permis à l’équipe estivale de Radio-Canada de se délester d’une couche de décorum.

Des banques, des médias, la bourse, d’innombrables entreprises ont été affectés, ici et ailleurs. Tout ce chaos à cause de Windows? On a su plus tard qu’une mise à jour d’un antivirus d’une entreprise tierce avait semé ce bordel mondial. Derrière un plantage majeur, on trouve souvent une opération de routine.

Sur le site Internet des médias, des spécialistes ont vite relevé qu’avec nos systèmes technologiques de plus en plus concentrés, ici entre les mains de Microsoft, nous devenons plus vulnérables.

Tu parles! Mais à quelles conséquences cette vulnérabilité nous expose-t-elle?

Des petites, comme voir son vol pour Cayo Coco annulé, ou des grosses, comme la paralysie d’un pan de l’économie, des communications ou du système financier.

À partir du moment où on apporte une solution technique pour résoudre un «problème» ou repousser une «limite», on crée un nouveau problème potentiel: le dysfonctionnement. Plus le procédé s’étend à grande échelle, plus on se repose dessus avec le temps, plus il devient familier, plus il fait partie intégrante de notre organisation, plus les conséquences d’une panne recèlent un potentiel catastrophique.

Je dis «panne», mais ce peut être «sabotage», «attaque» ou «erreur humaine».

Ce n’est pas le genre de menace qui remonte à bien long longtemps, je situerais la première manifestation avec l’invention de l’aviation.

Un avion commercial est toute une merveille d’ingénierie. Je ne suis pas certain, moi, qu’on aurait la fait la queue pour y embarquer il y a cent ans. S’envoler dans un gros tube en acier exige un haut degré de confiance envers les gens qui l’ont conçu et fabriqué. Il a fallu des riches un peu téméraires pour impressionner des mesdames, puis les vols se sont peu à peu démocratisés, jusqu’à ce que la cohue s’empare des aéroports pour toujours.

On peut faire Montréal-Paris en un après-midi, mais quand un avion tombe, ce qui finit toujours par arriver, c’est une catastrophe.



Prenez seulement l’argent. On n’en voit même plus la couleur! Ce ne sont plus que des chiffres qui voyagent en mode binaire, de façon abstraite, de serveur en serveur, par des réseaux de fils et des ondes hertziennes, grâce à des logiciels, peut-être ceux de Microsoft. Avouez qu’on doit drôlement faire confiance aux ingénieurs et informaticiens pour ne pas mettre son argent sous le matelas!

Plus personne ne s’oriente avec une carte routière, qui sait encore lire ça? Une auto neuve le moindrement haut de gamme se stationne aujourd’hui toute seule en parallèle. Vous riez de ça, mais un jour, plus aucun automobiliste ne saura se garer sans l’assistance d’un ordinateur, d’une caméra arrière et d’un satellite.

Dans un avenir pas trop lointain, le conducteur aura même oublié comment conduire, sa voiture allant toute seule, guidée par le GPS et les réseaux cellulaires. Ce sera joli sur les routes quand le système tombera en panne, un lundi matin.

Depuis l’avion, on rajoute des couches et des couches de systèmes technologiques, interreliés, enchevêtrés, toujours plus complexes, et bientôt avec de l’intelligence artificielle... dans les transports, la médecine, le pharmaceutique, l’agroalimentaire, le militaire, les télécommunications, les finances. C’est beau le progrès, mais quand ça plante, qu’est-ce qu’on a l’air dépourvu, dépendant, inapte, quasi suicidaire.

C’est ça, la vulnérabilité.


SUGGESTION DE FILM

Ça commence bien les vacances (les vôtres), et j’ai justement une proposition de film pour combler un après-midi pluvieux: Leave the World Behind (Le monde après nous).

On y trouve une famille en vacances, une des premières scènes se déroule alors qu’elle relaxe sur plage au bord de la mer. Un immense bateau, genre porte-conteneurs ou pétrolier, avance à l’horizon, imperceptiblement, car il progresse de façon perpendiculaire à la côte.

Dans l’enchaînement des plans, on remarque qu’il devient toujours plus gros. On finit par réaliser qu’il fonce vers la terre, et c’est ce qui se produit, dans une scène spectaculaire.



Tout se met ensuite à se dérégler: les médias s’éteignent, les avions tombent du ciel, les cellulaires ne reçoivent plus de signaux, les GPS ne fonctionnent plus, des Tesla sans conducteur s’emboutissent pour former des bouchons sur le réseau routier. On assiste en quelque sorte à une fin du monde, mais l’origine de cet effondrement reste ambiguë.

Est-ce une guerre? Un complot? On ne le saura pas. C’est angoissant à mort. Le film met justement en relief notre dépendance aux systèmes technologiques.

Même la présence de Julia Roberts, excellente et toujours aussi jolie, n’arrivera pas à vous rasséréner.

Ironiquement, sur Neflix.


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Daniel Germain

Daniel Germain, Les Coops de l'information

Daniel Germain pratique le journalisme dans le domaine de l’économie et de la finance depuis 20 ans. Journaliste, rédacteur en chef, chroniqueur, blogueur, il a porté plusieurs chapeaux durant sa carrière pour le Groupe Les Affaires, Le Journal de Montréal et maintenant Les Coops de l’information.

Commentaires

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Tous les commentaires

    1. Commentaire de YVES ROUSSEAU.

      Très bon texte M. Germain.

      Bonne suggestion de film.

      Sur un thème similaire il y a «Bug» un roman graphique d' Enki Bilal, un monstre sacré de la BD.

      Dans Bug, toutes les mémoires de tous les ordinateurs, téléphones, et mégaserveurs sont soudainement effacées. Même le «cloud» est effacé.

      Une des premières conséquences, c'est une épidémie de suicides d'ados soudain privés de leur cell...

      Toutes les nouvelles technologies de communication génèrent un nouveau type de catastrophes.

      Il y a quelques milliers d'années, le bateau a permis aux humains de sortir de leur petit village côtier et de rencontrer d'autres peuples et cultures, de faire du commerce avec eux, et parfois de les exterminer...

      Mon point est que quand on invente le bateau, on invente aussi le naufrage.

      Quand on invente le train, on invente le déraillement. Quand on invente l'avion, on invente le crash.

      C'est la même chose avec le web, sauf que la catastrophe ne touche pas que les passagers du bateau ou de l'avion. Ça touche tout le monde. Des individus et des institutions.

      Toutes nos activités sont dépendantes du web. Une grosse panne du web, qu'elle soit causée par une «erreur humaine» ou des intentions malveillantes, ferait que nos cartes de crédit et de débit, nos téléphones «intelligents», les guichets automatiques, les stations d'essence, les caisses des commerces, etc. deviendraient inutilisables.

      Avec les conséquences qu'on peut imaginer...

      Ce n'est pas pour rien que l'armée a tout un système de communication parallèle complètement indépendant des «médias» du civil.

      Vous avez raison de garder une vieille radio à piles.

      Perso, je «cash» sous mon matelas un bas de laine avec quelques milliers de $. Just in case...

      • Commentaire de Joël Pichette.

        La compagnie s'appelle "Crowd Strike" la pognes-tu ?