Emmanuel est parti il y a six mois. Pourtant, dès qu’il approche des locaux de la Cooperl, son estomac se noue encore. Et les souvenirs affluent : les réveils à 4 h du matin pour embaucher à 5, dix années passées à découenner les cochons avant d’occuper un poste de manutentionnaire, le corps qui souffre, un salaire oscillant entre 1 300 € et 1 400 €… Sans oublier les machines en panne. « À la fin, quand le transpalette électrique ne fonctionnait pas, je refusais de travailler et de pousser 500 kg à la main », expose celui qui s’apprête à démarrer une nouvelle vie de chauffeur, chez un transporteur.
Le 23 janvier dernier, jour de ses 45 ans, l’ex-ouvrier a franchi une dernière fois les portes de l’usine lamballaise « pour dire au revoir aux collègues. Je ne voulais pas partir comme un voleur ». Deux semaines plus tôt, Emmanuel avait démissionné. Le jour du départ, Emmanuel se souvient d’un responsable lui faisant comprendre que ce qui se passe à la Cooperl reste à la Cooperl, rapporte le quadragénaire, qui rétorque alors : « Si j’ai envie de parler, je le ferai. »
Le coude, l’épaule, le poignet et le dos blessés
Au cœur de l’hiver dernier, la parenthèse Cooperl, commencée par une mission d’intérim, s’est donc refermée, après dix-huit ans. « Je n’aurais pas pu partir dix ans plus tôt. Mais aujourd’hui, la maison est payée et les enfants sont grands. » La Cooperl, Emmanuel l’a quittée le corps meurtri : une opération du coude, une épaule qu’il ne peut plus lever malgré d’innombrables séances de kiné et des douleurs au dos et au poignet, à force de travailler « sur des machines trop vieilles » et de voir défiler jusqu’à 5 000 pièces de cochon chaque jour. Au moment de sa démission, la tête allait à peine mieux. « J’en avais ras le bol. J’étais à côté de la plaque. Au bord du burn-out. »
« Malheureusement, je n’étais pas le seul, poursuit Emmanuel. Rien qu’en 2023, 12,5 % des salariés ont quitté la coopérative. Les gens ont mal partout », décrit l’ex-délégué syndical CFDT marqué par le souvenir de tous ces collègues en arrêt de travail et ceux, licenciés pour inaptitude, qu’il a accompagnés. « Si je devais passer un message aux jeunes, ce serait de faire autre chose s’ils le peuvent, au risque d’être complètement cassés à 50 ans. »
« Les salaires stagnent, les conditions de travail ne s’améliorent pas »
Lui estime que son salut est passé par l’engagement syndical. « C’est ce qui m’a permis de tenir aussi longtemps ». Parmi les leaders lors de la longue grève de 2016, l’ouvrier a été élu représentant du personnel, deux ans plus tard, sous les couleurs de la CFDT. « Malheureusement, nous n’étions pas suffisamment écoutés par la direction », déplore celui qui ne comprend pas pourquoi la Cooperl investit des millions d’euros dans un nouveau siège social, « alors que les salaires stagnent et les conditions de travail ne s’améliorent pas ».