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SERIE. La folle histoire du rugby aux Jeux olympiques (2/3) : 1924, récit d'un bannissement de 92 ans où quand le rugby français sombra dans la violence
Par Jérôme Prévôt
Les Français ont totalement perdu leur maîtrise lors de ces jeux Olympiques de 1924.Dessin de Fabien Agrain-Védille - Dessin de Fabien Agrain-Védille
Publié le
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Le rugby aux JO, c’est finalement une vieille histoire, qui débute en 1900, avant de s’interrompre et de redémarrer en 2016. En cet été marqué par les JO de Paris, Midi Olympique vous fait revivre cette histoire chaotique en trois étapes. Pour ce 2e épisode, retour en 1924 où le rugby se déconsidère aux yeux de l’olympisme à cause de la stupidité des joueurs et du public français qui refusent de reconnaître la supériorité des Etats-Unis et sombrent dans la violence. Il sera donc banni pour 92 ans.
L’année 1924 fut donc une année noire du rugby français. Le tournoi olympique des Jeux de Paris déboucha sur un horrible spectacle, une démonstration de chauvinisme et de violence qui déconsidéra le rugby aux yeux des caciques de l’olympisme. En raison de son rayonnement limité à l’international, il avait déjà du mal à se frayer un passage dans le programme officiel.
Un tournoi à trois
Le Tournoi ne réunit que… trois équipes, la France, les États-Unis et la Roumanie, comme dans "L’école des fans" tout le monde était sûr d’avoir sa médaille. Les nations britanniques n’avaient pas voulu venir au prétexte que le rugby ne saurait se jouer après le 1er mai. La France était évidemment favorite, forte de ses résultats dans le Tournoi, et de sa popularité, la FFR comptait déjà 891 clubs et formait des talents tels que René Crabos, centre stratège, Aimé Cassayet, avant très actif, Marcel-Frédéric Lubin-Lebrère, dur au mal et dur à cuire ou Adolphe Jauréguy, ailier racé.
Ces jeux de 1924 furent l’histoire d’une formidable arrogance. Les Français se pensaient clairement au-dessus des Roumains et des Américains, même si cette équipe les avait battus à Anvers (mais dans des conditions particulières). Mais René Crabos, le cerveau de la ligne d’attaque n’est pas là, il s’est cassé une jambe durant le Tournoi des Cinq Nations.
Des Américains, débutants surdoués
Les Américains sont des élèves qui apprennent vite et ils sont très costauds. Leur centre R.F. Hyland semble tomber d’une autre planète, il combine la force des avants français à la rapidité de leurs trois-quarts.
Octave Léry, président de la FFR, reconnaîtra plus tard : "J’ai vu certains de nos avants, réputés pour leur bravoure, fuir devant ce phénomène humain." Le plus incroyable, c’est que la plupart de ces joueurs des universités de Californie pratiquaient le football américain ou le basket et n’avaient appris les règles du rugby que lors de leur premier rassemblement à San Francisco. Il leur restait dix mille kilomètres à parcourir.
Leur entraîneur Charlie Austin se fit fort de leur apprendre toutes les finesses de ce jeu, pratiqué sérieusement de 1904, quand le football américain fut interdit, jusqu’en 1914 avant de tomber en désuétude. Ils avaient simplement pris la précaution de s’arrêter quinze jours en Angleterre, le temps de récupérer le deuxième ligne A.C. Valentine qui étudiait et jouait à Oxford, et faire contre les meilleurs clubs quelques matchs amicaux, tous perdus. Mais c’était l’occasion de recevoir quelques conseils tactiques pour surprendre les Français.
Vol et querelle sur les droits de retransmission
Le séjour en France des Américains commence par un premier incident. À Boulogne, ils sont bloqués par douane à cause d’une histoire de visa. Exaspérés par les formalités, ils se lient comme dans un maul et passent la frontière en force. La presse les surnomme "bagarreurs de saloon". C’est le début d’une litanie de bisbilles, et encore le mot est faible.
Arrivés à Colombes, les Américains sont soumis à une série de polémiques. Le manager américain Sam Goodman veut récuser l’arbitre pour des raisons pas très claires, mais son capitaine Colby Slater le ramène à la raison. Puis les Français interdisent aux Américains de s’entraîner à Colombes ce qui les relègue vers un terrain vague près de leur hôtel. Goodman n’apprécie pas, il trouve une échelle et fait pénétrer son équipe par-dessus la clôture du stade dont les vestiaires restent bizarrement accessibles au tout-venant. Alors que les joueurs répètent leurs gammes, des aigrefins leur dérobent leurs portefeuilles. L’exaspération monte d’un cran.
Les Américains avaient peut-être l'inconvénient d'un long voyage. Mais ils en ont profité pour se préparer au mieux. Ce qui a plus que surpris la sélection française, battue à plate couture.Illustration Fabien Agrain-Védille - Illustration Fabien Agrain-Védille
Ça paraît incroyable, mais à l’époque, alors que la télévision n’existait pas, il y eut une querelle sur les droits de retransmissions du match France - Etats-Unis du 18 mai. Les deux délégations s’écharpent sur le droit de filmer la rencontre, les Américains ont leur caméra toute prête. Les Français leur parlent d’un contrat d’exclusivité avec une compagnie cinématographique. Les palabres sont serrées, mais Goodman argue que le contrat n’est pas valable pour les images de l’équipe américaine, après des heures de chamailleries, les Français baissent la garde.
Sommet de violence
Le triomphe français est prévu pour le 18 mai en conclusion de France – États-Unis. La foule prend d’assaut la gare Saint-Lazare pour assister à une apothéose. Le cercle traditionnel des connaisseurs du rugby avait été largement débordé par une foule bigarrée et rigolarde, peu avertie des subtilités du jeu.
Ce 18 mai, la foule en canotier et chapeau cloche comprend tout de suite qu’on l’a trompée sur le rapport de force. Sur chaque choc, les Américains prennent l’ascendant, leur mêlée torture celle des Bleus. Ces étudiants rayonnants de santé courent plus vite, plus longtemps et plaquent plus secs. Ils usent même de quelques combinaisons astucieuses qui ne s’improvisent pas. Les Bleus coulent à pic et le public n’apprécie pas. Sifflets, insultes, quolibets, et menaces quand Jean Vaysse et Adolphe Jauréguy sortent sur civière.
La foule se convainc qu’ils ont été visés par Cleaveland et Slater. Ce n’est qu’une méchante illusion, les deux plaquages étaient parfaitement réguliers, les Français ont été victimes de la malchance et de leur manque de préparation. La foule redouble de fureur alors que les Américains marquent cinq essais. Huit supporters américains enthousiastes sont rossés à coups de canne par une poignée d’énergumènes. Ils sont transportés à l’hôpital. Sur le terrain, ça s’énerve, Bioussa, Cassayet, Etcheberry ouvrent la boîte à gifles pour sauver les meubles, des échauffourées fusent. Les dirigeants français sont consternés par tant de médiocrité et de violence. Frantz Reichel, star des journalistes sportifs, se prend la tête à deux mains. Il sait que la réputation de la France va souffrir de ce désastre car cent journaux étrangers sont représentés en tribune de presse. Les Américains s’imposent 17 à 3. Ils sont les meilleurs, c’est tout.
Sentiment de désolation
Et le public couvre de ses lazzis la montée du drapeau étoilé et le "Star Spangled Banner". Ils lapident même le cameraman qui tente de filmer la scène. 250 policiers se déploient pour couvrir la sortie précipitée des joueurs, de plus en plus inquiets.
"Nous avons vraiment cru qu’ils allaient nous lyncher", témoignera Norman Cleaveland, le dernier survivant de l’aventure (il est mort en 1997). Un célèbre dirigeant franco-américain, Allan Muhr, résume la voix brisée : "C’est ce qu’on pouvait faire de pire sans couteaux ni revolvers." Les Français, si prompts à donner des leçons, comprennent que les Américains ont optimisé leur voyage en le transformant en stage de préparation intensive. Eux n’ont fait que se reposer en se regardant le nombril. Mais dans les jours qui suivent, la presse se confond en excuses, les journaux multiplient les articles à la gloire de ces héros venus de si loin et qui auront fait du rugby le sport le plus suivi des JO, devant l’athlétisme.
"Après le match, nous avions été choyés. Il nous suffisait d’arriver dans un café pour être invités à boire gratuitement", poursuivit Cleaveland. Des années plus tard, l’arrière américain Charlie Doe (mort à 106 ans en 1995) déclara : "Notre succès de 1924 fut encore plus fort que la victoire de nos jeunes hockeyeurs de 1980 sur la grande équipe d’Union soviétique. Mais avant l’arrivée de la télé, les jeux Olympiques n’avaient pas énormément d’impact. Avec la couverture médiatique d’aujourd’hui, notre succès aurait fait du rugby un sport majeur aux États-Unis."
Les successeurs effrayés
Le spectacle lamentable fut impossible à surmonter. Le rugby n’était en plus pas un sport de démonstration, soumis à l’approbation des organisateurs. Les décideurs des Jeux de 1928 firent rapidement savoir qu’ils n’avaient pas envie d’organiser un tournoi de ce sport si particulier.. Et chose importante, Pierre de Coubertin n’a plus la main sur les affaires olympiques. Il voulait prendre du recul : en 1925, à 62 ans, il quitte la présidence du CIO. "J’ai fait mon œuvre", déclara-t-il. Ce fut le début d’un long hiver qui dura 92 ans.
Le coup génial du Racing
Les Jeux de 1924 ont pu avoir lieu grâce à un coup de pouce décisif d’un club prestigieux, le premier champion de France de l’histoire, le Racing Club de France. C’est lui qui a mis fin à l’épineux débat sur la construction d’un grand stade indispensable à l’événement. Le Comité d’organisation, la Ville de Paris et l’État avaient du mal à se mettre d’accord. Le Racing est intervenu dans le débat en avril 1922 en proposant la schéma suivant : il construisait lui-même le stade sur les terrains qu’il avait achetés depuis dix ans à Colombes, mais demandait 50% des recettes des épreuves olympiques.
Le Comité d’Organisation présidé par Frantz Reichel fut soulagé de déléguer les travaux au RCF qui toucha directement les subventions publiques (4 millions de francs, somme jugée modique par rapport à d’autres projets). Le RCF a donc sauvé les JO et a récupéré des installations énormes (pour l’époque) : football, rugby, tennis, escrime. Mais le stade fut plus modeste que les projets initiaux. Il ne faisait que 60 000 places, virages non couverts, pas de façade ni de courbes majestueuses. Son architecte, Louis Faure-Dujarric, était bien sûr un ancien joueur des Ciel et Blanc, finaliste du championnat en 1893.
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