Jerzy Grotowski bouleverse le rite du Collège de France

UNE BONNE centaine de personnes ont piétiné longtemps sous le crachin parisien, devant le Théâtre des Bouffes du Nord, dans l'espoir, déçu, d'assister à la leçon inaugurale de Jerzy Grotowski, nouvellement élu professeur au Collège de France. Pendant ce temps, les invités gagnaient leurs places, sous l'oeil vif du maître des lieux, Peter Brook. L'ambiance était à la fois internationale on entendait parler italien, anglais, polonais, espagnol et religieuse : pour certains, le rendez-vous des Bouffes du Nord renvoyait au temps mythique de la fin des années 60, où ils découvraient en Grotowski une figure révolutionnaire du théâtre. Au milieu de cette société, où l'on croisait Jack Lang, Pierre Bergé ou Alain Crombecque, les membres du Collège de France avaient la fraîcheur d'une classe d'élèves contents de sortir de leur cadre les leçons inaugurales se donnent d'ordinaire dans le prestigieux bâtiment de la rue des Ecoles et heureux d'accueillir un « nouveau ».

On n'attend pas un mythe impunément. Et Jerzy Grotowski en est un, qui a apporté au théâtre une méthode comme il en naît une ou deux par siècle, remettant en cause le processus de création du jeu, dans un art où l'héritage pèse de tout son poids. Jerzy Grotowski a signé ses dernières mises en scène il y a plus de vingt-cinq ans. Les spectacles qui ont fait sa gloire, Le Prince Constant de Slowacki, Akropolis, d'après Wyspianski, Apocalypsis cum figuris, d'après des thèmes bibliques, ont été créés entre 1962 et 1969. Ce furent sans conteste des moments historiques dont le rayonnement a très largement dépassé le cercle des spectateurs, volontairement restreint. Depuis, Grotowski continue ses recherches à travers le monde en dirigeant des stages, des ateliers, des séminaires. Il est au centre d'un foyer de réflexion qui court de la Californie à l'Italie, où il dirige un Work Center, à Pontereda, depuis 1986.

UNE COQUETTERIE INTACTE Plusieurs fois, dans sa vie, l'homme a changé d'aspect. Il est passé des tenues noires masquant un corps opulent à une maigreur toute hippie accompagnée de cheveux longs. Aujourd'hui, le poids de la vie ralentit sa démarche. Aux Bouffes du Nord, il arrive par la salle, avec un costume bleu et un sac en bandoulière, comme s'il débarquait de l'aéroport. Ce n'est pas un mythe qui s'approche de la scène, mais une apparition à chevelure et barbe blanches. Jerzy Grotowski a soixante-trois ans et une coquetterie intacte. Aussitôt assis à une table posée dans le décor de Jouer avec le feu la pièce de Strindberg actuellement donnée aux Bouffes du Nord , il entame sa leçon, armé de deux feuilles de notes manuscrites.

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