Idées
Vladimir Poutine : à l’origine de sa popularité, le redressement économique de la Russie
Sélection abonnésAlors que son pays est ciblé par des sanctions économiques de grande ampleur en réponse à l’invasion militaire de l’Ukraine, Vladimir Poutine affiche sa confiance. En 1999, héritant d’une situation extrêmement dégradée, il avait réussi à redresser progressivement l’économie russe.
Elsa Margueritat© Tony Cenicola/The New York Times
« Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie ». Même si Bruno Le Maire a rapidement rétropédalé après sa déclaration, le ministre de l’Économie a donné le ton : en parallèle des opérations militaires qu’elle mène en Ukraine, la Russie va se retrouver confrontée à une rude bataille sur le front économique.
Dans son allocution du 2 mars, Emmanuel Macron affirme assumer « une croissance économique [russe] immanquablement affectée » par ces sanctions économiques. Pourtant, rien ne semble pouvoir freiner la volonté de Vladimir Poutine en Ukraine… Il faut dire que le pays en a vu d’autres : après presque un siècle de communisme entre 1917 et 1991, il a subi le choc du passage au capitalisme dans les années 1990, puis a été repris en main par l’actuel maître du Kremlin à partir de 1999.
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En quelques années, cet ancien agent du KGB a remis l’économie russe sur pied, et s’est ainsi assuré une grande popularité au sein de la population. Mais peu connaissent les idées de Poutine en la matière, ainsi que la politique qu’il a menée pour redresser son pays. Des éléments pourtant essentiels pour appréhender la manière dont le chef d’État autoritaire pourrait faire face à la crise économique qui s’annonce pour la Russie.
« Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie ». Même si Bruno Le Maire a rapidement rétropédalé après sa déclaration, le ministre de l’Économie a donné le ton : en parallèle des opérations militaires qu’elle mène en Ukraine, la Russie va se retrouver confrontée à une rude bataille sur le front économique.
Dans son allocution du 2 mars, Emmanuel Macron affirme assumer « une croissance économique [russe] immanquablement affectée » par ces sanctions économiques. Pourtant, rien ne semble pouvoir freiner la volonté de Vladimir Poutine en Ukraine… Il faut dire que le pays en a vu d’autres : après presque un siècle de communisme entre 1917 et 1991, il a subi le choc du passage au capitalisme dans les années 1990, puis a été repris en main par l’actuel maître du Kremlin à partir de 1999.
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En quelques années, cet ancien agent du KGB a remis l’économie russe sur pied, et s’est ainsi assuré une grande popularité au sein de la population. Mais peu connaissent les idées de Poutine en la matière, ainsi que la politique qu’il a menée pour redresser son pays. Des éléments pourtant essentiels pour appréhender la manière dont le chef d’État autoritaire pourrait faire face à la crise économique qui s’annonce pour la Russie.
Les années Eltsine et l’échec de l’expérience ultralibérale
1992, en ex-URSS. Le bloc soviétique est tombé à la faveur d’une prise de conscience des limites de la planification et d’une situation économique difficile.
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Éco-mots
Planification
Organisation, au niveau d’un État, d’un programme économique avec ses objectifs et ses moyens pour plusieurs années à venir. Elle peut-être de deux types : indicative qui ne comporte aucune mesure obligatoire pour les entreprises ; et impérative, comme en URSS, qui caractérise l’économie centralisée et dirigée.
Le nouveau dirigeant, Boris Eltsine, croit fermement en l’entrée dans la modernité de la Russie et tient à ce que son pays s’inscrive rapidement dans la logique libérale.
Mais il doit tenir un pari audacieux : parvenir, en dix ans, à multiplier les réformes (privatisations, dérégulation) que ses homologues occidentaux avaient échelonnées sur plus d’un siècle. Et la transition sera douloureuse.
Conseillée par des économistes libéraux comme Jeffrey Sachs, la nouvelle Fédération de Russie met en place la « thérapie du choc » qui induira « une libéralisation totale des prix et une privatisation de la totalité de l’appareil économique » décrypte Françoise Daucé, directrice du Centre d’études des mondes russes, caucasien et centre-européen de l’EHESS au micro de France Culture.
La libéralisation à marche forcée du pays ne se produit pas sans dommages après 70 ans en dehors de l’économie de marché. Dès 1994, plus de 50 % de l’économie russe est effectivement privatisée. Alors que le chômage était résiduel en URSS, le taux de chômage passe à 7,5 % cette même année 1994. Une étude du Lancet attribue même une augmentation de plus de 18 % de la mortalité en Russie aux privatisations des années 1990.
Pour assurer sa réélection en 1996 malgré son impopularité, Eltsine s’appuie sur les anciens membres de la nomenklatura soviétique, les oligarques. En échange du financement de sa campagne, le président russe laisse à cette aristocratie la mainmise sur plusieurs secteurs clefs de l’économie mais également la vie politique et médiatique. Au lendemain de sa réélection, le pays s’enfonce davantage dans la crise, les taux d’inflation passant de 1 000 % à 2 000 % par mois.
L’arrivée au pouvoir de Poutine : la reprise en main
Lorsqu’arrive au pouvoir le jeune Premier ministre d’Eltsine en 1999, la Russie commence d’ores et déjà à remonter la pente, en dévaluant sa monnaie.
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Dévaluation (monnaie)
Baisse délibérée de la valeur d’une monnaie par rapport aux autres, décidée par l’autorité monétaire ou la banque centrale d’un pays ou zone monétaire. Cela modifie taux de change officiel d’une monnaie, c’est-à-dire sa valeur exprimée en or ou dans une autre monnaie internationale de référence, en l’abaissant. La dernière, en France, date de 1983.
Le nouveau président compte bien rompre avec l’image dégradée de son prédécesseur : il renoue avec des logiques de pouvoir verticales, sans abandonner le libéralisme économique. « Au départ, il trouve un point d’équilibre pour restaurer l’économie russe et n’évoluera qu’à partir des années 2001-2002 en sortant les oligarques de la politique » analyse l’économiste expert de la Russie, Jacques Sapir. Poutine ne prend toutefois pas pleinement son indépendance, cette classe dominante demeurant une source de financements importante.
Après la période des années 1990, le nouveau président apparaît comme celui qui réinstaure l’ordre et l’autorité, sans pour autant revenir à l’isolement. Le vœu du président est clair : développer le pays et moderniser les infrastructures. C’est ce redressement économique et politique de la Russie qui constitue la clé de la popularité de Poutine, notamment auprès des générations les plus âgées.
Vladimir Poutine, un idéologue ?
La Russie est-elle une économie de marché ou un État planificateur ? « Poutine est tout sauf un idéologue, juge Jacques Sapir. Il regarde ce qui fonctionne, ce qu’il peut faire, sans préjugé idéologique ». Julien Vercueil, professeur d’économie à l’INALCO approuve : « Il place l’économie sous la domination du politique et peut parfois prendre des décisions influencées par des considérations étatistes, d’autres fois promouvoir des réformes teintées de néolibéralisme. »
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Généralement caractérisé par une limitation du rôle de l’Etat dans l’activité économique. Il s’agit d’un terme plutôt vague, ayant une connotation péjorative qui peut désigner au choix une idéologie, une vision du monde, des modes de gouvernement… Il est le plus souvent utilisé pour critiquer les politiques de Margaret Thatcher (Royaume-Uni) et de Ronald Reagan (États-Unis) dans les années 1980 et l’action d’instances internationales comme le Fonds Monétaire International (FMI), l’Organisation Mondiale du Commerce, la Banque Mondiale dans les années 90.
Ainsi, malgré la poursuite du passage au capitalisme, de grands groupes nationaux restent sous le giron de l’État. « Poutine va distinguer trois secteurs importants de l’économie russe, expose Jacques Sapir : un stratégique, dans lequel l’État va reprendre la main, les industries militaires, la défense et le transport de l’énergie ; un secteur considéré comme décisif pour le développement économique et pour lequel il faut chercher des partenariats à l’étranger, comme c’est le cas pour le pétrole et l’automobile ; et enfin un troisième secteur dans lequel l’État n’intervient pas du tout. »
En 2021, l’État et ses entreprises représentaient environ 40 % du PIB russe. « Le capitalisme russe est caractérisé par la prégnance des principaux acteurs du secteur énergétique, et une forte concentration des richesses, mais tous ces acteurs ont dû construire une relation étroite avec les autorités publiques », résume Vercueil.
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Le deuxième grand tournant concerne les questions budgétaires, notamment à partir de 2004, quand Vladimir Poutine fait des services publics une priorité. Pour Sapir, « en vingt ans, les services publics et en particulier les transports et les infrastructures, se sont nettement améliorés : construction de différentes universités, développement des autoroutes, des chemins de fer… ».
En 2013, afin de soutenir l’économie, et comprenant qu’une monnaie artificiellement forte pouvait pénaliser l’économie russe, la banque centrale russe laisse le rouble se déprécier.
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Dépréciation (monnaie)
Constatation de la baisse de la valeur d’une monnaie sur le marché des changes, sans qu’elle soit le résultat d’une décision officielle des autorités monétaires du pays. À la différence de la dévaluation, son origine ne provient pas de l’action d’un État ou d’une banque centrale. Cette situation peut résulter d’un manque de confiance de la part des investisseurs ou d’une trop grande présence de déficit ou encore d’un excédent de monnaie mis en circulation sur le marché.
Autosuffisance et tournant asiatique
Longtemps pensée comme un point d’équilibre entre l’Asie émergente et les puissances européennes, la Russie est désormais pleinement tournée vers la Chine. C’est lorsqu’éclate la crise des subprimes en 2008 que la Russie prend ses distances avec l’Occident.
En juillet 2015, l’Organisation de coopération de Shanghaï et le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) se réunissent en Russie, affirmant ainsi l’indépendance de celle-ci par rapport à l’Occident.
La Russie semble posséder les armes de l’autosuffisance : puissance énergétique majeure, elle se situe au troisième rang mondial des pays exportateurs de pétrole et au deuxième pour le gaz. Les matières premières sont présentes en quantité abondante en Sibérie, où se trouvent presque tous les éléments du tableau périodique des éléments.
En termes d’armements, les chiffres officiels des dépenses placent le pays au cinquième rang mondial, derrière l’Inde et l’Arabie saoudite, mais devant la France avec une moyenne de 72 milliards de dollars (soit environ 4,5 % du PIB russe, contre 3,2 % pour les États-Unis et 2,3 % pour la France).
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Après sept ans d’embargo sur les produits alimentaires occidentaux, la production russe continue sa croissance, soutenue par l’État à partir de 2014. Cette politique a notamment permis au pays d’assurer son autosuffisance en matière de viande (à l’exception de la viande bovine) et de céréales.
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Des inégalités toujours présentes
Malgré les investissements dans le secteur public de lourds problèmes subsistent. Depuis 2008, le niveau de vie moyen en Russie marque le pas et a connu des périodes de baisse. Pourtant le revenu moyen par habitant (26 740 dollars par an et par habitant en parité de pouvoir d’achat) est supérieur de 50 % à la moyenne mondiale.
Mais ce chiffre masque de profondes inégalités notamment entre les grands propriétaires et le reste de la population, fossé qui ne s’est pas comblé depuis les années 1990.
Depuis la période Eltsine, la Russie est l’un des pays les plus inégalitaires d’Europe. Par ailleurs, la protection sociale demeure relativement faible dans le pays, malgré les volontés de mettre l’accent sur le secteur de la santé. Si le taux de pauvreté a été réduit, les minimas sociaux et les pensions de retraite moyennes sont toujours faibles.
De manière plus préoccupante, une période de turbulences économiques a débuté à partir des années 2010. « Celles-ci sont liées au fait que trop peu de réformes ont été entreprises pour libérer l’économie de l’influence des matières premières énergétiques » explique Julien Vercueil.
Pour les Russes, c’est le revers de la médaille : si le pays dispose de ressources naturelles abondantes qui assurent son autosuffisance, son économie reste trop dépendante du gaz et du pétrole. Reste à savoir si les sanctions imposées par la communauté internationale mettront ces vulnérabilités en lumière.
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