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ENTRAÎNEMENT A LA DISSERTATION/
Manon Lescaut 
Eléments de correcon
SUJET
: A votre avis, pourquoi le personnage de Manon Lescaut est-il difcile à cerner ? Le tome VII des
Mémoires d’un homme de qualité
 de l’Abbé Prévost a été publié en 1731 sous le tre :
Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut 
. Cependant, au l des siècles, le tre a été raccourciet, des deux personnages éponymes, la postérité a retenu le personnage éminin, l’héroïne du roman qui lui donne désormais son seul tre,
Manon Lescaut 
. Cee évoluon témoigne de la ascinaon exercée par ce personnage sur le public. Objet du désir et de la narraon, Manon est d’abord et avant tout une héroïne mystérieuse. Pourquoi est-elle si difcile à cerner ? Comment expliquer qu’elle échappe sans cesse à l’interprétaon ? Nous montrerons que le personnage éminin possède plusieurs acees et qu’elle est toujours vue à travers le regard d’un homme. Ne permet-elle pas aussi des interprétaons et des lectures diverses ? (Plan)
I/ Manon : un personnage aux mulples facees
A.Un personnage énigmaque, mystérieuxB.Un personnage versale, changeantC.Un personnage paradoxal, complexe 
Tout d’abord le personnage de Manon est un personnage très dicile à cerner car il présente de nombreux visages, parfois très diérents les uns des autres
. En eet, l’absence d’une descripon physique, et surtout le manque de ocalisaon interne rendent Manon énigmaque, voire mystérieuse. Le lecteur ne connaît ni la couleur de ses cheveux ni celle de ses yeux, ni sa amille ou ses origines, ni même ses movaons : est-elle réellement amoureuse de Des Grieux ou pas ? Lors de la scène de la rencontre amoureuse le coup de oudre est bien réel pour Des Grieux qui se sent « enammé jusqu’au transport », tandis que du côté de la jeune emme on peut s’interroger sur les raisons qui la poussent à suivre ce jeune homme qu’elle vient à peine de rencontrer : l’amour a-t-il rappé ou la jeune lle, opportuniste, saisit-elle l’occasion de uir le couvent prévu par ses parents ?
D’autre part Manon est un personnage versale et changeant
 et elle échappe donc à toute maîtrise psychologique. D’un côté elle trahit, à trois reprises, son amant, avec M.de B…, M. de G…M…et le ls de M. de G..M… ; d’un autre côté elle lui déclare un amour indéecble. Dans la scène du parloir, alors même qu’elle n’a pas vu Des Grieux depuis près de deux années, préérant proter de laprodigalité du vieux M. de G…M…, elle revient vers son amant lui déclarant : « je prétends mourir (…)si vous ne me rendez votre cœur sans lequel il est impossible que je vive ». Lors de l’épisode du Prince italien elle afrme aimer Des Grieux en ces termes : «Tous les princes d’Italie ne valent pas un cheveu que je ens », exhibant une mèche de cheveux de son amant devant un prince interloqué et un Des Grieux gêné par tant de grossièreté. Enn le lecteur assiste à une métamorphose étonnante du personnage entre le début et la n du roman : de liberne qu’elle était, elle devient une emme aimante et dèle, prête à épouser Des Grieux et à onder une union heureuse.
Qui est donc vraiment Manon ? Car le personnage est paradoxal et complexe
. Certes, elle trahitDes Grieux et le reconnaît elle-même. Mais sa philosophie de l’amour qui est celle de la « délité du cœur » n’est pas incompable avec son goût pour le luxe et le diverssement. Des Grieux lui-même comprend cee stature paradoxale lorsqu’il dit de sa maîtresse : « Elle pèche sans malice (…) ; elle est légère et imprudente, mais elle est droite et sincère. » Manon est une roturière, mais son allure est celle d’une emme noble ; elle est vénale, mais elle porte un amour sincère à Des Grieux ; elle est
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à la ois vulgaire et rafnée ; elle vit en liberne, mais elle connaît une n digne d’une héroïne tragique.
Ensuite, si le personnage est si dicile à cerner, si Manon paraît coupable dans le roman, c’est aussi parce que celui-ci privilégie le regard masculin…II/ Manon : un personnage perçu uniquement du point de vue des hommes
A.Une emme vue par des hommesB.Une emme séduisante et ascinante : un obstacle à l’objecvité masculine ?C.Regards masculins et sociépatriarcale
III/ Manon : un personnage qui se prête à de mulples interprétaons
A.Un personnage qui connaît une transormaon radicale entre le début et la n du romanB.Une emme vicme ou une emme atale ?C.A chaque lecteur ou lectrice « sa » Manon(Conclusion) Personnage énigmaque, contradictoire, complexe, Manon Lescaut est une héroïne dont on ne sait  jamais vraiment ce qu’elle pense ou ce qu’elle ressent. Qui est donc Manon ? Cee queson reste insoluble dans la mesure où elle n’est jamais présentée et perçue qu’à travers des regards masculins, quece soit celui de Renoncour, du père de Des Grieux ou, principalement, celui du narrateur de l’histoire, le chevalier Des Grieux. « Can », comme la qualiait Montesquieu, emme atale ou héroïne tragique, vicme impuissante de sa condion, Manon se prête aux interprétaons les plus diverses. Et c’est bien là la orce d’un che-d’œuvre qui n’enerme jamais la lecture dans un sens et qui laisse le lecteur libre, maître de son interprétaon.
Autre sujet de dissertaon/
Manon Lescaut 
 , un roman moral ? I.UN ROMAN MORAL QUI DENONCE LES ÉGAREMENTS DE LA PASSION AMOUREUSEA. Le personnage de Des Grieux : un exemple à ne pas suivre
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« Avis au lecteur » : le roman veut instruire en aisant de DG un contre-exemple : « Il verra, dans la conduite de M. Des Grieux, un exemple terrible de la orce des passions. » / « Il ne reste donc que l’exemple qui puisse servir de règle à quanté de personnes dans l’exercice de la vertu »
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Au l du roman, les réexions de DG narrateur conrment cee interprétaon : avec le recul, lui-même constate son aveuglement et condamne ce qui l’a conduit à la déchéance : « Je suis erayéde la acilité avec laquelle j’ai pu les rompre », en parlant de ses vœux. Même au cours de son aventure, il a des éclairs de conscience.
B. L’histoire d’une passion tragique moralement condamnée
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Structure : les héros n’accèdent jamais à une situaon de bonheur stable ; au contraire la passion les entraîne vers une dégradaon croissante : c. le cours, une œuvre de la atalité : toujours le même schéma (enlèvement/ installaon du couple/ indélité de Manon/ internement) avec à chaque épisode une amplicaon tragique.
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Dénouement moral : le mariage n’est pas permis, grâce à la mort nécessaire de Manon, vue comme un châment divin que DG n’a pas ni de subir, même s’il est désormais revenu à une vie réglée + Dimension morale renorcée par la construcon enchâssée : en choisissant d’ouvrir son récit par la n, Prévost donne au lecteur le senment de l’irrémédiable. Sorte de « catharsis »
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tragique censée s’opérer, pour dissuader les lecteurs de se comporter comme les héros... qui touteois n’ont pas vraiment la grandeur des héros tragiques.
II.MAIS UNE DÉNONCIATION AMBIGUË A. Des Grieux, un narrateur complaisant
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Prévost/Renoncour dénonce DG dans « l’Avis au lecteur » mais lui laisse la parole dans toute l’œuvre...DG rapporte avec légèreté des acons immorales : péripées de roman d’aventure pourséduire le lecteur (c. LL1) – les préoccupaons morales passent au 2d plan... parois même scènes comiques comme le souper avec le vieux GM où DG passe pour le rère de Manon (c. double sens grivois : « c’est que nos chairs se touchent de bien proche ») ou LL2 : lorsqu’il emploie un lexique tragique (atalité, Ciel, desnée, Fortune...), c’est surtout pour se décharger de sa responsabilité. Sa conession vise à persuader Renoncour (on connaît son talent rhétorique parois ulisé à des ns immorales, à montrer l’écart entre ce qu’il est et ce qu’il ait (c. « [Tiberge] comprit qu’il y avait plus de aiblesse que de malignité dans mes désordres ».
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Même à la n, il connue à idéaliser Manon ; c’est même le but de son récit, dont il re surtout un plaisir mélancolique...
B. Manon : une femme mystérieuse qui devient un mythe
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Totalement absente de « l’Avis au lecteur », elle reste insaisissable tout au long d’un récit sans narrateur omniscient et avec peu de discours direct (ses propos sont rapportés au discours indirect).On ignore tout de son passé, ses origines, son physique. Quand elle s’enuit ou qu’elle est en prison, personne ne la recherche. Elle a une certaine culture et de l’élégance (Renoncour ladisngue comme appartenant à son monde), mais un rère criminel et des réacons vulgaires (dans ses billets, ou avec le prince italien). Est-elle une « lle de joie », une coursane ?
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Son portrait est ambigu : elle est un mélange de charmes et de vices (« charmante et perde créature »). Elle est paradoxale : « quelque dèle et quelque aachée qu’elle me ût dans la bonne ortune, il ne allait pas compter sur elle dans la misère » / « Jamais lle n’eut moins d’aachement qu’elle pour l’argent, mais elle ne pouvait être tranquille un moment, avec la crainte d’en manquer. »/ « Lorsqu’il n’est queson que du plus ou du moins, je ne la crois pas capable de m’abandonner pour un autre » suivi de « Il n’y aurait que la grandeur des ores qui pût l’éblouir. » / le lieutenant de police parle de Manon comme une « dangereuse personne ».
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Elle n’est nalement jamais condamnée... Au dénouement, sa mort rédemptrice sauve les apparences de la morale, mais ait surtout de Manon un mythe qui provoque moins la condamnaon que la ascinaon (c. LL3) Par le récit à la P1, les personnages, bien que coupables,sont nalement sympathiques et émouvants, et leur condamnaon morale n’est pas si évidente. Est-ce vraiment eux qu’il s’agit de dénoncer ?
III.UN ROMAN PRÉCURSEUR DES LUMIÈRES – SOCIAL ET PHILOSOPHIQUE PLUTÔT QUE MORAL A. Des personnages vicmes de la société
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Roman réaliste qui représente la n du règne de Louis XIV et la Régence (classes sociales diverses et gures en marge de la société comme Lescaut, peinture de la vie quodienne voire de l’inmité d’un couple, importance de l’argent chacun cherchant à s’enrichir, montée du libernage, répression par la prison avec les leres de cachet puis déportaon...
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Cee dimension l’écarte de la simple leçon morale. Les héros sont vicmes d’une société parisienne corrompue qui constue un véritable modèle de dissipaon. Lorsqu’ils échappent à ce milieu, en Amérique, leur amour se purie et s’anoblit. La mort de Manon apparaît alors comme une injusce envers la jeunesse et ses possibilités d’amour pur.
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Manon est vicme d’une société masculine et religieuse où les lles n’ont aucune liberté, ne
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peuvent vivre selon leurs désirs mais doivent obéir à leur père ou leur mari. Moins liberne que libre, moins révoltée qu’indépendante, Manon est rejetée parce qu’elle ne se conorme pas à ce qu’on aend d’elle (reus du couvent, du prince italien...), et qu’elle afrme son droit au bonheur.
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DG est vicme d’une société patriarcale et aristocraque. Il encourt la malédicon amiliale pour avoir transgressé un interdit : vouloir épouser une roturière à la réputaon entachée, alors que le mariage d’amour n’a aucune légimité. Toutes les gures paternelles (sau Renoncour) se liguent contre lui (son père, son rère aîné, le Supérieur de Saint-Lazare, le vieux GM, le gouverneur) car ilmenace l’ordre aristocraque, bien que noble lui-même (par ses manières, son reus du travail auquel il préère le jeu, sa bravoure dans l’aaque du convoi ou contre Synnelet) – même si l’associaon contre lui de son père, vieil aristocrate, et de M. de GM, nancier, est aussi révélatrice des proondes transormaons de la société.
B. Une réexion moderne sur le bonheur et la passion
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Les quesons soulevées par Prévost dépassent le contexte historique et social : sans apporter de réponses catégoriques, il engage une réexion sur le bonheur et la passion. Le roman est traversé par des aspiraons contradictoires (qui seront aussi les contradicons des Lumières) et concurrentes : raison et sensibilité, vertu et passion, bonheur terrestre et morale chréenne (c. scène du parloir)
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Du côté de Manon : bonheur terrestre (amour charnel, nature, diverssements, biens matériels, vie sociale). DG afrme que l’homme est porté vers ces plaisirs proanes et valorise la passion, même s’il l’associe à la sourance.
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Du côté de Tiberge : l’utopie d’une retraite vertueuse (« aussi peu d’inquiétudes que de désirs »). Tiberge est présent jusqu’au bout lorsque DG revient au Havre pour chercher à obtenir la grâce divine. La n de sa vie s’annonce en accord avec la morale chréenne, mais peu heureuse (« pour n’avoir rien à désirer dans la plus charmante solitude, il allait y être avec Manon. »)
Peut-on concilier la recherche du bonheur sur terre et la recherche de son salut ? C’est nalementla queson principale du roman, dont la réponse apparaît plutôt négave. La contradicon que relève Tiberge entre les « idées » et la « conduite » de DG ne trouve jamais vraiment de résoluon : le roman est pessimiste, DG ne parvient pas à concilier amour et vertu, bonheur et morale.
CONCLUSION
Le roman n’apparaît pas vraiment comme un « traité de morale » en raison de l’ambiguïté de ses héros, à la ois immoraux et sympathiques : la vérité n’apparent à personne, DG est à la ois un ou et un amant sublime, Manon une liberne et une martyre. Cee œuvre a donc toute la complexité de la vie.Prévost n’est pas moralisateur, ne cherche pas à inspirer l’horreur du mal, mais montre comment un êtrehonnête est conduit à la déchéance par la société, et plus ondamentalement peint le malheur d’un homme ace à l’impossibilité d’accéder au bonheur en conciliant l’amour authenque, la vertu et la oi... C’est là une posion audacieuse et moderne, qui valut au roman d’être aussitôt condamné par la censure.
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