Médias - "C'est une question de survie..." : Matthieu Lartot se confie sur sa future amputation de la jambe droite

  • Matthieu Lartot avant le match entre la France et le pays de Galles
    Matthieu Lartot avant le match entre la France et le pays de Galles Icon Sport - Icon Sport
Publié le , mis à jour
Propos recueillis par Marc Duzan

Victime d’un cancer au genou à l’adolescence, Matthieu Lartot a récemment rechuté, une situation l’obligeant à se mettre en retrait de l’antenne avant de prochainement subir une amputation de la jambe droite. Pour nous, la "voix du rugby" se livre et soutient que malgré tout, l’espoir persiste…

Pourquoi avez-vous choisi de rendre publique cette nouvelle ?

Déjà, je savais que compte tenu de l’exposition que m’offre France Télévisions, le fait que je disparaisse de l’antenne pousserait les gens à se poser des questions. J’ai donc préféré prendre les devants. […] J’ai aussi souhaité jouer la transparence sur mon histoire personnelle parce qu’il y a trois ans, soit le jour où j’ai évoqué pour la première fois mon handicap dans l’émission de Faustine Bollaert, les messages reçus dans la foulée m’avaient bouleversé : des gens isolés par la maladie et souffrant probablement beaucoup plus que moi m’avaient remercié, s’étaient confiés… Dans des épreuves comme ça, on se sent plus fort lorsque l’on est épaulé…

Pouvez-vous développer ?

Quand j’ai publié ce message sur les réseaux sociaux, ce fut un tsunami d’encouragements et franchement, j’en ai pleuré : certaines de ces personnes me parlaient comme si j’étais un membre de leur famille. À tel point qu’à présent, je me dis que les jours où la fatigue se fera sentir, les jours où la douleur sera trop forte et le moral moins bon, je relirai ces milliers de témoignages et ils me donneront de la force. Je n’oublie pas, non plus, que la présidente de France Télévisions (Delphine Ernotte, N.D.L.R.) m’a appelé pour me dire qu’elle « m’attendait ». Ça m’a touché, forcément.

On peut l’imaginer…

Lors des derniers matchs de Champions Cup, j’avais vraiment mal mais je baissais la tête, en mode robot. Le jour où j’ai été à Toulouse pour le quart de finale de la compétition (Toulouse-Sharks), un monsieur m’a arrêté et m’a dit : "On pense souvent à vous, vous savez ». C’était comme s’il savait quelque chose et ça m’a ému. C’est aussi pour ça que j’ai décidé de jouer cartes sur table.

Dans les faits, vous avez donc rechuté d’une tumeur que vous pensiez pourtant éradiquée…

Oui. Et bientôt, après la chimio, les chirurgiens vont devoir m’amputer de ma jambe droite : c’est une question de survie. […] Derrière ça, il me faudra réapprendre à marcher et c’est un sacré challenge. (il soupire) Alors, quand on évoque un retour au micro pour la Coupe du monde, ça me semble loin : l’objectif, c’est surtout d’être sur mes deux jambes pour le match d’ouverture du Mondial, que je vivrai j’espère en tant que supporter du XV de France…

Le danger, c’est que ça se barre, que ça se dissémine dans d’autres parties du corps…

À quand remonte le premier cancer, au juste ?

Quand j’étais adolescent, on m’a diagnostiqué un synovialosarcome (tumeur maligne siégeant au niveau des articulations). J’ai alors fait de la chimio, j’ai eu des traitements, on m’a posé une énorme prothèse de reconstruction et depuis vingt-cinq ans, je vis donc avec une jambe malade, une jambe raide avec laquelle je ne peux rien faire. […] Au stade, les gens m’interpellent d’ailleurs souvent : ils pensent que je me suis fait les ligaments. Moi, j’élude simplement les questions…

Plus jeune, comment aviez-vous réagi à cette terrible nouvelle ?

On m’a dit : "C’est terminé, vous ne ferez plus de sport". J’ai eu un moment de digestion difficile mais j’ai foncé tête baissée. Surtout, mes parents ont tout absorbé pour moi et ont arrêté de vivre pendant deux ans. […] Aujourd’hui, c’est différent. J’ai dû annoncer les mauvaises nouvelles moi-même et pour autant, ça ne protège jamais totalement les autres : quand on parle de ça à ma fille au collège et même si je lui ai tout expliqué au préalable, elle est replongée malgré elle dans quelque chose de très sombre… C’est pareil pour mon fils, qui joue au rugby à Suresnes et passe son bac cette année… Par chance, mon épouse est d’une force incroyable.

Et vos parents ?

Ils sont jeunes retraités et quand j’ai été leur annoncer la rechute, je n’étais pas serein… Je ne voulais pas les replonger dans leurs années noires ; je ne veux pas faire du mal aux gens que j’aime, voilà tout…

Pourquoi la tumeur est-elle réapparue ?

Certaines cellules que l’on avait irradiées n’ont pas disparu et un sarcome trois fois plus gros que le premier est apparu. Ces cellules malignes étaient simplement en sommeil et se sont récemment réveillées, ce qui est extrêmement rare. Le danger, c’est que ça se barre, que ça se dissémine dans d’autres parties du corps…

Comment vous en êtes-vous aperçu ?

J’ai vécu un Tournoi des 6 Nations assez difficile : je ne pouvais pas marcher sans avoir pris des anti-inflammatoires, je dormais très mal la nuit à cause des douleurs… Là, je me suis dit que quelque chose clochait mais j’ai serré les dents, j’ai fait un peu le con : je voulais terminer le Tournoi, voilà tout. […] Des douleurs, j’en ai toute ma vie au niveau de la jambe mais bon an mal an, je m’y suis habitué. Sauf que là, elles sont rapidement devenues insupportables…

Qu’avez-vous fait ?

Le docteur Savigny (l’ancien médecin du Stade français) m’a ausculté et puis, tout s’est accéléré…

L'amputation ? Je le prends plutôt comme une libération

Quelles sont les échéances, désormais ?

Je commence la chimio ce lundi. Derrière ça, j’aurai trois semaines pour me refaire l’immunité que m’auront saccagé les premiers médicaments. Après, ce sera l’acte chirurgical (l’amputation) et enfin, l’appareillage et la rééducation. Je me donne tout l’été pour m’acclimater à ma nouvelle mobilité et pouvoir à ce terme assister au match d’ouverture de la Coupe du monde en tant que supporter du XV de France. Le seul objectif que je me fixe, c’est d’être debout, quoi.

Ce n’est pas anodin, une amputation. Appréhendez-vous l’après ?

Honnêtement, je le prends plutôt comme une libération. Ce travail, il y a d’ailleurs des années que je le fais dans ma tête.

Comment ça ?

La prothèse que j’ai depuis vingt-cinq ans a une durée limitée et ma jambe était trop abîmée pour en avoir une autre. Je savais donc que l’amputation arriverait tôt ou tard. Mais entre s’y préparer psychologiquement et se réveiller après l’opération avec un membre en moins, il y a un fossé que je ne maîtrise pas… Mais l’important, c’est le combat pour la vie ; ce n’est pas de garder ou pas ma jambe.

Une fois que l’amputation sera réalisée, cela mettra-t-il fin à la maladie ?

Je vous dirai ça après l’opération… J’aurai des examens de contrôle très réguliers pour savoir si l’acte chirurgical a suffi à faire disparaître le mal. Pour l’instant, il n’y a rien ailleurs mais la tumeur étant très rare et très agressive, je ne peux vraiment me prononcer…

Quid de la prothèse, à présent ?

Si je ne me mets pas en short devant les gens, personne ne verra la différence. Et puis surtout, je serai moins handicapé que je ne le suis aujourd’hui. Il existe des genoux biomécaniques qui me permettront peut-être de faire du vélo, du ski et des trucs que je n’ai jamais pu faire avec mes enfants… Et puis, le fait de pouvoir enfin me mettre à genoux me poussera peut-être à redemander ma femme en mariage, allez savoir…

Craignez-vous de perdre votre savoir-faire ? Et vous entraînerez-vous à commenter, à blanc ?

Je commenterai peut-être les matchs des Bleus de chez moi, je ne sais pas… Mais quoi qu’il en soit, j’ai de l’espoir : je ne serai jamais Alexis Hanquinquant (champion paralympique du triathlon) mais si dans quelques mois, je peux juste faire une balade à vélo avec mes enfants dans quelques mois, je serai le plus heureux des hommes…

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