D'après "Citizenship and Ancestry of Belgian Foreign Fighters" de Pieter Van Ostaeyen et Guy Van Vlierden (Centre international de lutte contre le terrorisme de La Haye) :
- sur 505 djihadistes sunnites de Belgique, 76,6 % ont la nationalité belge (dont 2,6 % de Belgo-Turcs parmi ceux-ci), et on ne compte aucun immigré turc au sens strict du terme (qui ne détiendrait que la nationalité turque) ;
- sur 683 djihadistes sunnites, seulement 1,5 % sont d'ascendance turque (ce qui peut évidemment inclure
des Kurdes de Turquie).
Les Turcs représentent pourtant, en nombre, la deuxième communauté musulmane de Belgique, après les Marocains.
Source :
https://icct.nl/publication/citizenship-and-ancestry-of-belgian-foreign-fighters/
Dans "Identities ‘Betwixt and between’: analyzing Belgian representation in ‘homegrown’ extremism", Paige V. Pascarelli (Université de Boston) analyse la sous-représentation spectaculaire des Belgo-Turcs dans le djihadisme, en comparaison des Belgo-Marocains :
"ABSTRACT
Belgium has seen more foreign fighters leave for the ISIS ‘caliphate’ than any other western European country in per capita figures. But among Belgian foreign fighters, as well as among Belgian terrorists who did not travel abroad, a stunning majority have been Belgian-Moroccan. What factors can explain this phenomenon? Both groups live in relatively similar socio-economic settings, experience stigmatization and discrimination, and both are, relative to broader Belgian society, poorly integrated. However, in investigating this question, an interesting caveat emerges vis-à-vis the ‘integration deficit’ theory: Belgian-Turks, who are found to be comparatively less integrated than the Belgian-Moroccans, are underrepresented in extremist milieus. This paper argues that the insularity of the Belgian-Turkish population, a phenomenon not found to the same extent among Belgian-Moroccans despite also being poorly integrated (with some outliers), has protected the population from negative environmental elements, both criminal and extremist. That there are seen to be local factors that contribute to a ‘vulnerability’ to the pull of crime and extremism, means that such conditions are likely to remain even if a group like ISIS fades into irrelevance."
Source :
https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19434472.2017.1374988?journalCode=rirt20
Compte rendu de Nicolas Hénin :
"Publié sur 2 septembre 2017 par Nicolas Hénin
#STR2017 : actualités de la recherche sur le terrorisme
Ce billet est le troisième de mes compte rendus sur la 11ème conférence annuelle de la STR (mon premier traitait de la relation entre le niveau de démocratisation d’un pays et son exposition au risque terroriste, le second revenait sur la place à accorder à la psychiatrie dans le contre-terrorisme). Parmi la centaine de travaux de recherche présentés, le terrorisme djihadiste a occupé bien sûr une place importante, mais la conférence a évoqué l’ensemble du spectre des violences politiques (néo nazis et white supremacists, bien sûr, mais aussi extrême gauche, Irlandais, animaliste ou anti-avortement). Victimes de l’air du temps, beaucoup des tables rondes new yorkaises ont été consacrées à la prise en charge de la radicalisation (en anglais CVE, countering violent extremism). Sur ce thème très porteur, quelques chercheurs n’ont pas hésité à être iconoclastes en démontant des clichés pourtant tenaces.
Il m’aurait fallu des centaines de pages pour rendre compte de toutes les présentations dignes d’intérêts parmi la cinquantaine que j’ai suivie. Je ne reviens que sur un bref échantillon.
Je tiens tout d’abord à rendre hommage à Paige Pascarelli, de l’université de Boston, pour son étude comparée des communautés belge-marocaine et belge-turque dans les filières djihadistes, pour laquelle elle a obtenu les honneurs de la STR et sera publiée dans le journal de la société. La Belgique est un cas intéressant puisqu’elle est le pays d’Europe qui a produit, per capita, le plus de combattants terroristes en Syrie et en Irak. Lorsque l’on s’intéresse à ces combattants, on est frappé par le nombre de Belgo-marocains (binationaux ou originaires du Maroc). A l’inverse, les Belges d’origine turque sont pratiquement absents de ces filières (on ne trouve qu’un seul individu… dont la conjointe est une Belgo-marocaine). Pourtant, si l’on regarde les critères classiques permettant de considérer le niveau d’intégration, la communauté belgo-marocaine paraît mieux intégrée que la belgo-turque (elle bénéficie en particulier d’un niveau moyen d’études plus élevé). D’où la remise en cause d’un préjugé, qui voudrait que le déficit d’intégration soit facteur de radicalisation.
Il apparaît en fait que la communauté belgo-turque a un sentiment national plus fort, et surtout s’illustre par une certaine insularité. Cette insularité, qui la coupe d’une certaine façon du reste de la société belge, peut constituer un risque mais semble en l’occurrence avoir été protectrice, en offrant à cette communauté une certaine résilience. L’autre préjugé remis en cause est celui de la relation entre communautarisme et radicalisation. Dans ce cas précis, l’isolement relatif des Belges turcs, et le fait que la communauté ait été plutôt structurée, avec un contrôle social qui s’y exerce, lui a permis de résister.
La thèse que l’« islam consulaire » est une menace est là aussi battue en brèche. Certes, cet « islam importé », avec des imams liés à l’Etat turc, pose clairement un problème d’influence, mais il n’est pas nécessairement négatif lorsque l’on traite de radicalisation.
Paige Pascarelli a conclu son intervention en invitant à travailler sur les moyens de créer de la cohésion dans les communautés à risque.
Paige Pascarelli, Boston University, « Identities ‘betwixt and between’ : analyzing Belgian representation in homegrown terrorism »"
Source :
https://www.actionresilience.fr/fr/str2017-actualites-de-la-recherche-sur-le-terrorisme/
Pour rappel :
Selon Didier Leroy (spécialiste du terrorisme), très peu de Turcs adhèrent au salafisme djihadiste en Belgique
Syrie : la lutte turco-belge contre les recruteurs salafistes
Turcs et Marocains en Belgique
Immigrés turcs et marocains : deux populations radicalement différentes
Voir également :
Allemagne : un rapport corrobore la sous-représentation des Turcs parmi les djihadistes
Allemagne : la remarquable sous-représentation des Turcs chez les djihadistes
Génération "Daech" : "chez les jeunes Européens d'origine turque, on observe très peu d'engagement au martyre"
Olivier Roy : "on trouve beaucoup moins de Turcs que de Maghrébins dans les mouvements radicaux"
Olivier Roy sur le radicalisme islamique : "il y a très peu de Turcs parmi eux"
Peu de Turcs parmi les djihadistes en provenance d'Europe de l'Ouest
Syrie : davantage de djihadistes en provenance de Russie et de France que de Turquie (pays majoritairement musulman et contigu)