Marie Peltier

Parler de résistance et d’opposition ne revient pas à nier la présence active de groupes jihadistes sur place. C’est au contraire attirer l’attention qu’en abandonnant l’opposition démocratique, nous sommes en train de donner une force narrative très puissante à ces groupes.

Ces groupes prospèrent désormais sur le narratif de la revanche. Celui de la revanche sunnite entre autres. Ce n’est pas nouveau et ne risque pas de s’arranger avec la situation humanitaire désastreuse à Idlib et l’inaction de l’Europe pour protéger les civils dans la région.

Pourquoi parler d’Europe? Car c’est le grand absent de nos réflexions sur la région. On parle USA, Iran, Turquie, Arabie Saoudite, France éventuellement. Mais au niveau européen on propose quoi? Si ce n’est appeler vaguement à la « fin des bombardements » (quand on en parle)?

Les glissements sémantiques vers le narratif du régime de Damas à l’échelle européenne sont partout : à la fois l’islamophobie qui drape Assad d’un costard « fréquentable » et l’anti-impérialisme & antisémitisme qui fait des USA et/ou d’Israëls les seuls acteurs de la région.

On voit aussi s’imposer dans la bouche des leaders européens les poncifs du régime Assad : la protection des « minorités » et des « Chrétiens d’Orient », la nécessaire « reconstruction », la posture prétendument « humanitaire » pour ne pas se positionner en termes politiques etc.

Donc non seulement nous laissons faire les crimes de guerre en cours mais PLUS GRAVE ENCORE nous sommes en train d’apprendre, par nos discours, à les justifier. Le revirement de Macron par rapport à la position de Hollande est à cet égard édifiant.

Les leaders européens ânonnent désormais les mots mêmes d’Assad : se pensant en grands « réalistes », ils abandonnent l’héritage européen en matière de défense des droits humains. Le réalisme revient donc à laisser mourir les civils sous les bombes. Là est la victoire d’Assad.

C’est la victoire de la propagande des régimes autoritaires depuis 20 ans. Ns ns pensons « réalistes » et « anti-interventionnistes » qd nous laissons des dictateurs & despotes massacrer des civils. Nous pensons nous « racheter » d’un passé fantasmé en brandissant notre lâcheté.

Ne croyez pas que tout cela est étranger aux questions féministes sur lesquelles je suis, avec d’autres, attaquée. Il est bcp question de virilisme dans cette posture-là. La géopolitique est 1 affaire d’hommes, mesdames. Eux sont raisonnables qd ns gâchons tt par notre hysterie.

Il faut parler « raisonnablement », çàd en fait de manière désincarnée. Parler chiffres, influence, grandes puissantes. Évoquer les civils seulement quand c’est pour régler ses comptes politiques. Surtout éviter de se regarder ds le miroir. La cohérence c’est pour « les autres »

Brandir l’indignation sélective. Traquer les faux pas de l’autre. Engranger des likes, de la reconnaissance, des réseaux, des tapes sur l’épaule. Journalistes, chercheurs, militants, même enseigne. L’angle mort : ne jamais regarder en face ce que nous sommes en train de devenir.

La posture cynique et moqueuse est le parfait antidote à ce reflet dans le miroir : je me grise de ma toute-puissance en « prenant de haut ». Je pouffe, je raille, je me complais ds une posture de mépris. Cela est très politique. C’est le fruit d’un travail de sape au long cours.

Dans l’espace francophone Dieudonné fut un pionnier. Allons-y, moquons nous du génocide juif AVEC les négationnistes. Brandissons l’humour pour réduire au silence les survivants. Dieudonné est un fervent défenseur d’Assad. Et ce n’est qu’1 exemple d’1 continuité idéologique.

Parce que c’est cela dont nous manquons le plus cruellement. Non seulement d’une auto-critique mais aussi d’une vision globale, historique. C’est cela que nous sommes en train de faire payer aux Syriens - et à d’autres - dans une ignominie cynique la plus complète.