Le vingt-six mars deux mille dix-sept à onze heure huit, Eric Ciotti nous a gratifié du propos suivant : « il faut qu’un mineur soit jugé en fonction du crime ou délit qu’il a commis, pas en fonction de son âge ». Cette idée correspond à un élément du programme présidentiel de François Fillon, visant à « abaisser la majorité pénale à 16 ans face à une délinquance des mineurs qui n’a plus guère à voir avec ce qu’elle était lorsque fut écrite l’ordonnance de 1945 ».
Il se trouve que ma thèse est dédiée aux adolescents. Pas mis en cause, certes, mais adolescents quand même. Et en psychologie judiciaire, la littérature concernant cette population est pertinente tant pour les témoins ou victimes que pour les mis en cause. Sans vouloir tomber dans la prétention, je connais un peu le sujet. Allons donc droit au but : cette proposition est une aberration psychologique. Le propos d’Eric Ciotti ne correspond à aucune réalité développementale et dénote d’une particulière ignorance en ce qui concerne le fonctionnement psychologique des adolescents âgés d’entre 16 et 18 ans.
Profitons de ce billet pour détruire un petit lieu commun. L’adolescence a initialement été décrite comme une période de « tempête et de tension » (Hall, 1904). Pourtant, des travaux bien plus contemporains ont permis de nuancer cette vision, allant jusqu’à montrer que, globalement, l’adolescence est généralement bien vécue (Stepp, 2000). Ce n’est pas pour autant un long fleuve tranquille. Durant l’adolescence, entre 12 et 20 ans environ, se développe le cortex préfrontal (Giedd et al., 1999 ; Paus, 2005), se situant le plus à l’avant du cerveau (i.e., au niveau du front, donc, voir la figure ci-dessous). Et c’est cette zone qui va malheureusement mettre à mal l’argumentaire d’Eric Ciotti.
Les fonctions exécutives servent à la régulation des fonctions cognitives, à la façon dont les individus organisent leurs pensées et leurs comportements. Parmi eux, nous trouvons l’impulsivité (i.e., tendance à agir sans réflexion préalable, à prendre des décisions rapides, et à ne pas anticiper de possibles conséquences) et l’inhibition (i.e., processus cognitif interne permettant de réprimer une réponse comportementale ou psychologique à un stimulus extérieur) (Paus, 2005). Or, les fonctions exécutives, donc l’impulsivité et l’inhibition, sont localisées précisément dans le cortex préfrontal. Je pense que vous commencez à me voir venir. Les études utilisant l’imagerie cérébrale nous indiquent que pour des situations égales, les adolescents, alors en plein développement cérébral et a fortiori psychologique, seraient moins capables que des adultes de maitriser leur impulsivité et d’inhiber certains comportements. D’autres études ont montré que les adolescents, subissant de grands changements hormonaux, vont être en recherche de nouvelles sensations et de recherche de reconnaissance. Par exemple, il semble que les adolescents soient capables de plus grandes prises de risques afin d’obtenir des récompenses, quelles qu’en soient leur nature (Galvan, 2010).
Ces quelques données–qui sont loin d’être les seules–contredisent les propos de M. Eric Ciotti. Quel sens donner à ceux-ci considérant que, face aux défis de la vie, les adolescents ne sont pas capables d’y répondre comme des adultes ? Comment pourrions-nous considérer qu’un adolescent de 16 ans devrait être mis sur le même plan qu’un adulte de 45 ans alors même que son cerveau n’a pas achevé son développement ? Si ce blog n’est en aucun cas un lieu d’argumentaire politique, force est de constater que la position du candidat de droite et du centre et de son soutien politique ne repose que sur des croyances sur la façon dont les adolescents peuvent être amenés à commettre des crimes ou des délits. Mais ce n’est, du point de vue de la psychologie, pas le seul problème.
Les études sur la suggestibilité des adolescents viennent aussi mettre un sacré tacle, pieds décollés, par derrière, au niveau des rotules et avec des crampons rouillés, à la considération d’Eric Ciotti. A priori, lors d’auditions judiciaires, les adolescents ne sont pas particulièrement plus suggestibles que des adultes (Gudjonsson & Singh, 1984). Un facteur vient cependant moduler cette absence de différence : la pression interrogative que peuvent exercer des enquêteurs. Sous pression (i.e., retours ou commentaires négatifs sur les propos d’un adolescent, répétition de même questions, critiques, doute exprimé, etc.), les adolescents deviennent particulièrement suggestibles. En d’autres mots, dans un tel contexte, ils s’accorderont beaucoup plus facilement avec une suggestion faite par un enquêteur. Pire encore, puisque les adolescents peuvent être particulièrement complaisants dans des contextes judiciaires (Grisso et al., 2003) ; ils peuvent, dans de telles conditions, plus facilement procéder à de faux aveux (Drizin & Leo, 2004 ; Redlich & Goodman, 2003)–le documentaire Netflix Making a Murderer ou l’affaire Patrick Dils, âgé de 16 ans lors de ses interrogatoires, en sont de parfaits exemples. La question qui se pose ici est la suivante : peut-on juger de la même manière un adulte et un adolescent, dont les particularités psycho-développementales imposent la prudence quant à leurs déclarations ? Afin d’y répondre, j’invite le lecteur à prendre connaissance de la littérature scientifique mettant en avant la sur-utilisation des questions suggestives dans les auditions de mineurs (e.g., Korkman, Santtila, & Sandnabba, 2006), ces questions étant largement utilisées dans les méthodes d’interrogatoire coercitives (Gudjonsson, 2003 ; Kelly, Miller, Redlich, & Kleinman, 2013) utilisées avec des adultes et, donc… des mineurs (Cleary & Warner, 2016 ; Meyer & Reppucci, 2007).
Les différentes recherches menées au sein d’une population adolescente suggèrent que, tant d’un point de vue neuropsychologique que psycho-socio-cognitif, elle ne peut être considérée comme l’égale d’une population adulte. Les comportements que des adolescents peuvent adopter sont intimement reliés à une maturité cérébrale inachevée. Leurs capacités de résistance aux suggestions peuvent, sous certaines conditions, rendre leurs déclarations–par exemple, des aveux–largement sujettes à caution. En clair, pour répondre à M. Eric Ciotti, il faut qu’un mineur soit jugé en fonction des faits, mais aussi en fonction de son âge. C’est clairement indispensable. Postuler l’inverse est empreint d’ignorance et, par voie de conséquence, dangereux.
Références bibliographiques
Cleary, H. M. D., & Warner, T. C. (2016). Police training in interviewing and interrogation methods: A comparison of techniques used with adult and juvenile suspects. Law and Human Behavior, 40, 270-284
Drizin, S. A., & Leo, R. A. (2004). The problem of false confessions in the post-DNA world. North Carolina Law Review, 82, 891–1007.
Galvan, A. (2010). Adolescent development of the reward system. Frontiers in Human Neuroscience, 4, article 6.
Giedd, J. N., Blumenthal, J., Jeffries, N. O., Castellanos, F. X., Liu, H., Zijbendos, A., … Rappoport, J. L. (1999). Brain development during childhood and adolescence: A longitudinal MRI study. Nature Neuroscience, 2, 861-863.
Grisso, T., Steinberg, L., Woolard, J., Cauffman, E., Scott, E., Graham, S., . . . Schwartz, R. (2003). Juveniles’ competence to stand trial: A comparison of adolescents’ and adults’ capacities as trial defendants. Law and Human Behavior, 27, 333–363.
Gudjonsson, G. H. (2003). The psychology of interrogations and confessions: A handbook. Chichester : Wiley.
Gudjonsson, G. H., & Singh, K. (1984). Interrogative suggestibility and delinquent boys: An empirical validation study. Personality and Individual Differences, 5, 425-430.
Hall, G. S. (1904). Adolescence: Its psychology and its relation to physiology, anthropology, sociology, sex, crime, religion, and education (Vols. I & II). Englewood Cliffs, NJ : Prentice-Hall.
Kelly, C. E., Miller, J. C., Redlich, A. D., & Kleinman, S. M. (2013). A taxonomy of interrogation methods. Psychology, Public Policy, and Law, 19(2), 165–178
Korkman J., Santtila P., & Sandnabba, N. K. (2006). Dynamics of verbal interaction between interviewer and child in interviews with alleged victims of child sexual abuse. Scandinavian Journal Of Psychology, 47, 109-119.
Meyer, J. R., & Reppucci, N. D. (2007). Police practices and perceptions regarding juvenile interrogation and interrogative suggestibility. Behavioral Sciences and the Law, 25(6), 757-780.
Paus, T., (2005). Mapping brain maturation and cognitive development during adolescence. Trends in Cognitive Science, 9, 60-68.
Redlich, A. D., & Goodman, G. S. (2003). Taking responsibility for an act not committed: The influence of age and suggestibility. Law and Human Behavior, 27, 141–156.
Stepp, L. S. (2000). Our last best shot: Guiding our children through early adolescence. New York: Riverside Books.