« Sauvons la liberté, la liberté sauve le reste. »           - Victor Hugo

Cela fait une semaine que l’incendie de Notre Dame de Paris a eu lieu et il est venu le temps pour moi d’apporter une réponse personnelle et politique à ce qui a pu se passer la semaine dernière.

     Dans la soirée du 15 avril, la nouvelle d’un début d’incendie sur la charpente de la Cathédrale de Notre-Dame-de-Paris éclate dans les médias et sur les réseaux sociaux. Les réactions fusent rapidement, dont la mienne. La saturation immédiate des sphères médiatiques et les injonctions à l’émotion dans mes cercles militants plus proches m’ayant passablement agacé, j’ai donc exprimé mon opinion immédiate sur la question, dans deux volontés : celle de dédramatiser le fait de se désintéresser d’un sujet d’actualité immédiatement surexposé, et celle d’anticiper le discours qui le rattacherait au concept d’identité nationale, concept qui ces dernières années a été calibré pour exclure de, remettre en question l’appartenance des minorités ethniques à la société française. Cette opinion, je l’ai exprimé sans la préciser, sur mon compte twitter personnel, sans vraiment me soucier de porter ou non l’opinion politique unanime de l’ensemble de mon organisation, à tort.  Une campagne de harcèlement s’en est immédiatement suivie, impulsée par la fachosphère (qui m’avait déjà prise pour cible il y a deux ans en relayant de faux tweets), et alimentée par les médias traditionnels.

     On m’attaque alors car je ne prends pas part à l’émotion collective qui entoure un accident qui ne fait ni morts, ni blessés graves, qui n’est pas le fait d’un attentat, d’une guerre ou d’un acte politique. Pire, on m’accuse de m’en réjouir, on m’accuse d’inculture, d’insensibilité. J’ai évidemment conscience de ce que peut représenter Notre-Dame-de-Paris, considérant son importance tant pour la valeur intrinsèque de ce patrimoine, qu’en tant que lieu de culte, ou encore les souvenirs personnels ou collectifs qui peuvent y être attachés. En conséquence, je n’ai à aucun moment dit que mon avis devait être partagé par tous et toutes et que la réaction du reste de la population à cet égard était infondée. C’est pourtant ce que l’on me demande, de partager de fait une indignation symbolique, sans me reconnaître le droit à l’indifférence. Je ne m’excuserai pas d’être insensible à l’hypocrisie d’une cohésion nationale fabriquée de toute pièce par la surenchère médiatique. Je fais le choix personnel de réserver mon indignation aux drames humains qui traversent notre pays au quotidien, à l’urgence sociale qui tue, aux manifestant-e-s mutilé-e-s, aux salaires qui sont vus à la baisse laissant des familles vivre dans la faim, aux mort-e-s du travail, aux urgences écologiques, aux réfugié-e-s et aux sdf qu’on laisse crever dans nos rues… C’est là que se porte ma sensibilité, et c’est mon droit.

     La veille de l’incendie, Marlène Schiappa, membre du gouvernement actuel, se saisissait des réseaux sociaux pour défendre Hugo, un jeune adolescent harcelé sur Twitter pour avoir plaisanté sur le lieu Saint des musulmans du monde, la Mecque. Elle y rappelait que la France était une république laïque, que le blasphème n’y était ni reconnu, ni puni par la loi, contrairement au cyber harcèlement. Un jour plus tard, la ministre de l’Enseignement Supérieure, décide de partager des captures d’écrans de mes propos et de ceux d’un syndicaliste lycéen. Elle ne choisit pas de faire la promotion de la liberté d’expression, pas de brandir les principes de laïcité ou de dénoncer le harcèlement raciste et sexiste dont nous étions victimes. Non. Elle choisit de jeter aux lions des syndicalistes lycéens et étudiants, qui s’opposent depuis plusieurs mois à la politique de l’enseignement supérieur et de la recherche qu’elle mène. Dans un pays où l’on nous rappelle quasi quotidiennement le droit à déroger à une pensée unique, le droit de critiquer, et le principe constitutionnel de liberté d’expression, ces traitements différenciés révèlent une réalité beaucoup plus brutale : celle de la non garantie de ces libertés pour une certaine partie de la population.

     Mais la réalité plus cruelle encore que cette affaire révèle, c’est celle de la banalisation du discours de l’extrême droite dans notre pays, et la facilité aux médias traditionnels comme au sphère de pouvoir à y adhérer et à l’alimenter. La polémique est ouvertement lancée et revendiquée par la fachosphère, et des milliers de personnes enfreignent la loi impunément, en perpétuant un harcèlement raciste, sexiste, d’une violence extrême. Ce sont des milliers de menaces d’agression, de viol, de meurtre par minute, et des réseaux fascistes mobilisés portant atteinte à ma sécurité.

Pourtant c’est à moi qu’on demande des comptes et c’est moi la cible médiatique.

     Ce harcèlement, je ne m’en apitoie pas. Il n’est pas véritablement issu de mes propos ponctuels, mais la conséquence de mon engagement politique contre l’extrême droite et la propagation de leurs idées néfastes et dangereuses, et me rappelle la nécessité de poursuivre cette lutte. Une lutte contre les idéologues qui ont provoqué une série d’attentats meurtriers il y a à peine un mois en Nouvelle-Zélande, faisant des dizaines de victimes, bien réelles.  Et c’est cet engagement pour une société plus juste et égalitaire que je poursuivrai, loin de me laisser intimider par les menaces de l’extrême droite ou les injonctions réactionnaires à adhérer à une pensée unique et à une unité nationale vide de sens. Je ne peux qu’espérer que le non événement que représente cette polémique finira par laisser place à des réflexions et des critiques plus intéressantes dont doit se doter la société française.

Hafsa Askar

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