Guillaume Nicoulaud

Parmi eux, il y a un soldat qui fait preuve d’une force absolument herculéenne : c’est le major Wojtek. Il est capable de soulever une caisse de munition à lui seul et de la transporter jusqu’à une pièce d’artillerie. Mieux encore : il fait ça alors qu’il est enchaîné.

C’est-à-dire que le major Wojtek, c’est un ours.

Son histoire commence au printemps 1942, quand l’armée d’Anders est évacuée d’Union Soviétique avec des milliers de civils polonais rescapés du goulag. Leur objectif : rejoindre la zone sous contrôle britannique à Alexandrie en passant par Téhéran.

Le 8 avril, lors d’une pause près d’Hamadan (actuel Iran), ils rencontrent un gamin qui a trouvé un ourson : manifestement sa mère vient d’être tuée par un chasseur.

Irena Bokiewicz, une jeune réfugiée, décide de s’occuper de la pauvre bête pendant les mois qui suivent. Pour le nourrir, elle utilise des bouteilles de vodka vides qu’elle remplit de lait concentré. Heureusement, ça fonctionne.

À partir de ce moment, Wojtek va passer sa vie avec les soldats, s’y faire un tas de copains — notamment Dymitr Szawlugo et Henryk Zacharewicz — et devenir une sorte de mascotte informelle de la 22e Compagnie.

Ensuite, il fume. Il n’accepte que les cigarettes déjà allumées (parce qu’avec des pattes d’ours… enfin bref), en tire une bouffée puis — allez savoir pourquoi — il mange le reste.

À part ça, il a appris tout un tas de choses utiles comme tourner le bouton des douches quand il a soif (et vider les réserves d'eau au passage), répondre aux saluts militaires ou secouer les bleus par les pieds en leur faisant croire qu’il va les bouffer.

Au passage, il devient ami avec les autres mascottes — notamment Kasha l’âne et Kirkuk le chien — et capture un voleur qui a eu la mauvaise idée de tenter de cambrioler le dépôt d’arme dans lequel il dormait. (Le type s’en est sorti vivant.)

(Ce qui signifie incidemment qu’il est plus gradé que les bleus qu’il s’amuse à secouer par les pieds.)

C’est comme ça que, début 1944, le major Wojtek se retrouve à la bataille de Monte Cassino en Italie.

Au début, évidemment, ses gardiens l’avaient laissé attaché à un camion en retrait de la zone de combat… Jusqu’à ce que ça barde tellement qu’ils ont été obligés de d’aller donner un coup de main au reste de la compagnie.

Et là, alors que ça canarde de tous les côtés, il se passe un truc dans sa tête d’ours : il comprend que le but du jeu c’est de porter des caisses de munitions du camion vers les pièces d’artillerie. Ça a l’air important et en plus ça a l’air drôle.

Bah du coup il fait ça.

À la fin de la guerre, alors qu’ils sont en Écosse, Wojtek est démobilisé comme les autres. Comme ses amis refusent qu’il rentre en Union Soviétique pour y devenir un symbole du communisme, ils lui trouvent une place au zoo d’Édimbourg.