L’État français comparaitra t-il bientôt au tribunal ? Quatre organisations non gouvernementales – Notre Affaire à Tous, Greenpeace, la Fondation pour la Nature et l’Homme, et Oxfam – ont décidé d’attaquer l’État pour « carence fautive » du fait de son « incapacité à mettre en œuvre des mesures concrètes et effectives » pour lutter contre le changement climatique. Pour rappel, la France s’est engagée dans le cadre de l’Accord de Paris signé en 2015 à « tout mettre en œuvre pour contenir la hausse des températures à un niveau nettement inférieur à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels afin de limiter les risques d’atteinte à l’environnement et la santé ». Mais le gouvernement actuel ne semble pas avoir saisi l’urgence de la situation : la France a ainsi brillé par son absence lors de la 24e conférence sur le climat.
Selon la « demande préalable indemnitaire » qu’a pu consulter Basta !, les ONG accusent la France de ne pas respecter ses objectifs de court terme que ce soit en matière de réduction de gaz en effet de serre, de développement des énergies renouvelables ou d’amélioration de l’efficacité énergétique, « faute de mise en œuvre de mesures pourtant identifiées comme indispensables à la transition écologique et solidaire ». Cette demande, envoyée ce 18 décembre à Emmanuel Macron, Édouard Philippe ainsi qu’à plusieurs ministres, est l’étape préalable obligatoire à l’enclenchement d’un recours devant le tribunal administratif de Paris.
Des impacts du changement climatique déjà visibles en France
Depuis 1900, la température moyenne en France a augmenté d’environ 1,4°C sur le territoire métropolitain. Les impacts se font déjà sentir : les glaciers des Alpes ont perdu 25 % de leur superficie en seulement 12 ans, le littoral s’érode dans de nombreux régions côtières, une grande part des oiseaux et de nombreux mammifères ont déjà disparu. La qualité de l’air, elle, ne cesse de se dégrader...
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Le changement climatique se traduit aussi par des phénomènes météorologiques extrêmes avec des conséquences sur la santé et la sécurité de la population. Les épisodes de canicules ont entrainé une forte surmortalité ; notamment chez les personnes les plus vulnérables - les vagues de chaleur des étés 2003 et 2018 ont provoqué respectivement 15 000 et 1500 décès supplémentaires [1]. A cela s’ajoutent l’augmentation de l’intensité des sécheresses, des épisodes de précipitations, des ouragans dans les territoires d’Outre-Mer, et l’aggravation des feux de forêts.
Pollens allergisants, moustiques tigres, tiques...
Les ONG font également valoir la hausse des pathologies imputables au changement climatique. Les allergies respiratoires liées aux pollens allergisants touchent 30 % de la population adulte et 20 % des enfants, contre moins de 4 % en 1968. Le changement climatique conduit en effet à des floraisons et pollinisations précoces. Des études montrent par exemple que la quantité de pollen de bouleau a significativement augmenté entre 1989 et 2018 entraînant une augmentation des allergies. De même, l’ambroisie, une plante invasive dont le pollen est hautement allergisant, a déjà colonisé la Bourgogne, l’Auvergne et la région Rhône-Alpes. Cette plante pourra, avec le changement climatique, s’établir dans des régions où le climat ne lui était auparavant pas favorable [2].
Le changement climatique favorise également l’expansion des insectes vecteurs d’agents infectieux. Le moustique tigre, espèce originaire d’Asie, est désormais présente dans plus de 80 pays, dont la France depuis 2004. Les maladies transmises par les tiques se développent également dans toutes les régions, avec 27 000 cas par an en moyenne entre 2009 et 2011. « La borréliose de Lyme a augmenté significativement en 2016 avec 84 cas déclarés pour 100 000 habitants, une conséquence de plusieurs hivers doux. Cette tendance se confirme pour la France en 2018 », soulignent les ONG.
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Les associations environnementales demandent à l’État de « mettre sans délai un terme à l’ensemble de ses carences » et de « prendre toute mesure utile permettant de contribuer à stabiliser, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations de gaz à effet de serre à un niveau qui permette de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète à 1,5 °C ». Les organisations françaises s’inspirent d’une action judiciaire qui a porté ses fruits aux Pays-Bas : le 24 juin 2015, le juge de première instance néerlandais a enjoint les Pays-Bas à réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
Le 20 novembre dernier, le maire de Grande-Synthe, Damien Carême, a été le premier à introduire un recours contre l’État pour exiger que la France réduise ses émissions de gaz à effet de serre. « A notre niveau, nous faisons déjà beaucoup d’efforts pour lutter contre les effets du réchauffement climatique, mais l’État, lui, laisse complètement s’échapper ses émissions de CO2, dénonce Damien Carême. Cela met en danger ma ville, nos habitations et toutes les mesures politiques que nous avons prises pour nous protéger » (notre reportage).
L’État dispose de deux mois pour adresser une réponse « satisfaisante », délai au-delà duquel le tribunal administratif peut être saisi. Les ONG appellent au soutien de leur action à travers une pétition accessible sur le site laffairedusiecle.net.