« En France, il faut faire la manche pour les femmes victimes de violences qui ont besoin d’écoute et que l’État abandonne », proteste le collectif « Femmes en marge ». Ce collectif se mobilise depuis des mois pour la réouverture d’un accueil de jour à Lorient, dans le sud de la Bretagne. Pilotée par le centre d’information sur le droit des femmes et des famille du Morbihan (CIDFF) et l’association Sauvegarde 56, l’antenne lorientaise du dispositif « Moments Pour Elles » était ouverte trois demi-journée par semaine. Le lieu voyait passer près de 100 femmes chaque année, reçues par une psychologue, une travailleuse sociale et une juriste.
Un lieu pour souffler et être soutenues
« L’accueil de jour – qui existe aussi pour les SDF, les personnes handicapées ou les personnes âgées – offre un lieu de convivialité où l’on peut se ressourcer, en parlant de ses difficultés autour d’un café ou d’un goûter. Les femmes victimes de violences peuvent y reprendre confiance en elles, explique Charline Houet, présidente du CIDFF du Morbihan. La convivialité peut être un tremplin, ensuite, pour entamer un combat juridique contre le conjoint violent. » À l’annonce d’une coupe de plusieurs milliers d’euros dans la subvention allouée par l’État, le CIDFF a décidé, la mort dans l’âme, de fermer l’accueil de jour de Lorient pour se concentrer sur un seul lieu, à Vannes. « Le territoire de Lorient reste couvert par notre juriste, qui assure des permanences dans divers endroits de la ville », précise Charline Houet.
« Beaucoup de femmes nous ont témoigné leur reconnaissance pour le travail d’écoute et d’accompagnement proposé par l’équipe », souligne le rapport d’activité 2017 du CIDFF. Certaines nomment comme un « déclic » la rencontre avec ce lieu d’accueil, qui leur a été indispensable pour entrevoir autre chose dans leur existence que la violence subie. Les femmes qui élèvent seules leurs enfants ont pu y trouver des relais. La fermeture de cet endroit où elles pouvaient être reçues sans rendez-vous, souffler et être soutenues, leur semble totalement incompréhensible.
Silence du côté du ministère
« Dans le Morbihan, il n’existe donc désormais plus qu’un seul lieu d’accueil de jour pour les femmes victimes de violences. Cela laisse de côté environ les 4/5èmes de la population du département, constatent Marilyn et Aurore, porte-paroles du collectif en lutte pour la réouverture de l’antenne lorientaise. On sait combien la proximité est importante pour les femmes victimes de violences, dont beaucoup sont surveillées par leur conjoint ou ex-conjoint. » Le collectif a commencé par lancer une pétition qui a recueilli 30 000 signatures. Puis, sans réponse aux courriers envoyés à la Caf, à la Préfecture, aux élus locaux et régionaux, au ministère et à l’Élysée, Aurore, Marilyn et le reste du collectif décident d’organiser une série de mobilisations et de rendez-vous pour rencontrer des élus et responsables administratifs.
En fin de semaine dernière, le collectif s’est invité à l’ouverture de l’université d’été du féminisme organisé par la ministre en charge de l’égalité femmes-hommes Marlène Schiappa. Sollicitée par le collectif à plusieurs reprises, elle n’a jamais donné suite. Elle n’a pas non plus, à ce jour, répondu à Laurence Cohen, sénatrice PCF du Val de Marne qui lui a demandé « comment elle entendait intervenir pour permettre la réouverture [du lieu d’accueil] et accorder les moyens nécessaires aux associations accompagnant les femmes victimes de violences ». Entre 40 000 et 60 000 euros sont nécessaires pour ouvrir à nouveau l’antenne de Lorient. Une somme bien moindre que celle consacrée à l’université du féminisme de Marlène Schiappa, qui aurait coûté 300 000 euros selon le Canard enchaîné.
225 000 femmes subissent des violences dans leur couple chaque année
Avant d’arriver à Paris, le collectif a fait escale à la communauté d’agglomération de Lorient, où aucun élu n’a pris le temps de les rencontrer. Reçues par le directeur de cabinet du maire (PS) de Lorient Norbert Métairie, Aurore et Marilyn se sont entendues dire que le financement d’un tel lieu n’entrait pas dans les compétences de l’agglomération. Au conseil régional de Bretagne, où la vice-présidente chargée de l’égalité, Anne Patault, n’était pas non plus disponible, les citoyennes ont rencontré des membres du pôle « Égalité des droits », qui ont également évoqué un budget « restreint » pour les droits des femmes. Pas de budget non plus du côté de la Préfecture, où l’on ne pense pourtant que du bien de l’accueil de jour, et où l’on concède que 40 000 euros, ce n’est pas grand chose. Seule la Caf pourrait peut être allouer quelques milliers d’euros....
« Il est difficile de mobiliser des fonds sur la problématique des violences, constate Charline Houet. C’est beaucoup plus facile d’obtenir des financements sur ce que l’on considère comme "positif" : la sensibilisation des scolaires à l’égalité, ou la communication autour des métiers qu’il faut féminiser. Il y a vraiment des réticences à prendre en compte l’accompagnement des victimes de violences. C’est comme si on ne voulait pas regarder le problème en face. » Massives, les violences faîtes aux femmes nécessiteraient pourtant un vrai plan d’urgence (lire notre article ici). En France, 225 000 femmes subissent des violences dans leur couple, la plupart du temps de manière répétitive. Plus de 10% des femmes déclarent avoir été violées. Près de 150 femmes sont tuées chaque année par leur conjoint ou ex-conjoint.
0,007% du budget de l’État
Le 25 novembre 2017, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes, Emmanuel Macron avait fait observer une minute de silence en hommage aux 123 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2016. Il avait déclaré l’égalité entre les femmes et les hommes « grande cause du quinquennat ». L’accompagnement des victimes faisait partie des « priorités ». Malheureusement, aucun financement exceptionnel n’est venu appuyer ces déclarations. En pourcentage du budget total de l’État, la « grande cause nationale » plafonne à 0,007%... Les associations qui prennent en charge les victimes continuent à compter leurs sous et à bricoler avec des budgets qu’il faut sans cesse négocier. Celles qui font de l’accueil téléphonique travaillent à flux tendu, d’autant que le mouvement #Metoo a encouragé les femmes à dénoncer les violences qu’elles subissent.
La situation du lieu d’accueil de Lorient « n’est malheureusement pas isolée, rappelle la sénatrice Laurence Cohen dans la question qu’elle a adressée à Marlène Schiappa. Nombre de structures associatives dans ce domaine se trouvent en difficulté faute de financements suffisants. » Le collectif Femmes en marge rappelle dans l’un de ses communiqués qu’à Boulogne- Billancourt (92), « c’est carrément le CIDFF (centre d’information sur les droits des femmes et des familles) qui a mis la clé sous la porte. À Saint-Denis (93), l’existence de la maison des femmes est menacée, aucun financement pérenne n’étant prévu. À Lille (59), l’association l’Échappée qui prend en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles a dû lancer un appel aux dons pour boucler les 15 000 euros qui manquaient à son budget pour ne pas fermer en 2018 ».
On se souvient également qu’en janvier 2018, l’AVFT, association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, avait dû fermer son accueil téléphonique faute de moyens pour faire face aux demandes. « On s’inquiète du maintien des permanences juridiques en milieu rural, ajoute Charline Houet, dans des endroits où les femmes ont de réels problèmes de mobilité. C’est bien d’encourager les femmes à se séparer d’un conjoint violent mais derrière, qui les accompagne ? Comment ? »
Nolwenn Weiler
Photo de une : CC Chris Richmond