A la grande époque des blogs, on pouvait encore crier dans le vide. Pour se rendre compte que personne ne lisait sa logorrhée, il fallait installer des outils statistiques complexes. Avec Twitter, le nombre de lecteurs est en permanence visible sur la page d’accueil et il n’est plus possible d’ignorer que sa prose est vaine. Ce compteur est celui des «followers», le nombre de gens qui «suivent» le compte.
Sur le réseau, une hiérarchie sociale s’établit entre l’aristocratie twitterienne, gavée de «followers», et ceux qui restent désespérément en bas de l’échelle. En France, on pourrait situer la frontière de la lose à 50 followers. En dessous de cette barre, pas la peine de gesticuler, personne ne vous entend. Entre 50 et 500 followers, vous êtes tranquillement installé dans le ventre mou, formant le gros des troupes, le bataillon des Twitter ordinaires. Au-delà de 500 followers, vous pénétrez dans l’aristocratie du réseau et vos amis vous supplient de les «retwitter» (reposter leurs messages) afin de gagner en visibilité.
Pour rentrer dans ce cercle fermé, certains misent sur un long travail de sape, multipliant les twitts (messages) gentillets en rêvant d’une hypothétique célébrité. D’autres, plus malins, recourent à des techniques sournoises que Slate vous fait partager. Pour que vous aussi vous deveniez une star du réseau.
Chercher un mec et l’annoncer sur Twitter
Twitter est un réseau qui reste très masculin. Si l’on en croit Google Ad Planner, 81% des visiteurs de twitter.com sont des hommes. Malgré la concision, l’instinct de drague n’y est pas absent et à twitts constants, une jolie fille aura toujours plus de followers qu’un mec lambda. Mais pas de quoi faire exploser les compteurs. Il y a cependant une méthode pour capitaliser sur ce déséquilibre démographique: chercher un mec et l’annoncer publiquement.
C’est ce qu’a fait Marion_ MdM, paisible twittereuse devenue une icône en un seul tweet: «Je cherche un mec, please RT» [«please RT» est une formule classique pour demander aux internautes de reposter un statut]. Le message est immédiatement reposté par de nombreux utilisateurs. Les vœux de Marion sont exaucés avec la création d’un profil @unmec qui lui répond sous les vivas de la foule: «@Marion_MdM Je suis là». Une histoire d’amour est née en direct. Pendant plusieurs jours, les deux tourtereaux font monter la sauce en s’envoyant des messages publics. Ils se rencontrent par la suite pour un rendez-vous ultra-médiatique. La soirée se finit visiblement par un bisou. Twitter n’en saura pas plus mais entre temps, @Marion_MdM a gagné des centaines de followers.
S’embrouiller avec toute la communauté Twitter
C’est la règle de base d’Internet: l’essentiel, c’est de faire parler de soi. En bien ou en mal, peu importe. Si l’ère des blogs avait occasionné quelques jolis «clashs», il faut bien avouer que Twitter est vraiment le réseau idéal pour cela. En 140 signes, les insultes et les coups bas partent très vite devant les yeux incrédules de toute la communauté qui s’amuse à «retwitter» les meilleures saillies.
Orfèvre du clash, Xavier Ternisien est un journaliste du Monde d’une quarantaine d’années connu pour avoir écrit un article sur les «forçats de l'info». Sur un réseau où dominent les jeunes et les spécialistes du web, Ternisien n’a à priori pas les faveurs du jury. Mais plutôt que de jouer profil bas et de se laisser chambrer sur son côté has been comme Edwy Plenel, rédacteur en chef de Médiapart, le journaliste lance sans cesse des piques à la jeune génération. Succès garanti. «Quatre followers de plus en cinq minutes. Ça sert de raconter des conneries sur Twitter...», écrit-il, lucide, après une énième attaque.
Parler de Twitter sur son blog
C’est l’arme du faible (trop classique, trop facile), mais c’est toujours efficace. De manière générale, la communauté Twitter ne s’intéresse qu’à Twitter (et un peu à l’Hadopi et à l’Iran). Pour se faire un nom, il suffit donc de faire un classement, un graphique ou une typographie de la twitterosphère. En citant, si possible, le maximum de gens, qui remplis de fierté, renverront vers le blog en question.
De nombreux aristocrates du réseau ont utilisé ce subterfuge pour gravir l’échelle sociale: Henry Michel (Top 10 des relous sur Twitter et sa carte de la Twitto France), Nicolo (Annuaire des journalistes sur Twitter, Classement des politiques sur Twitter) ou Alphoenix et Aimeaile (Plan de situation de la twittosphère média). Je dois avouer que je suis moi-même tombé dans la facilité en publiant un «top 10 des twitterers français» qui m’a fait gagner une centaine de followers à peu de frais.
Tricher à un examen et l’annoncer sur Twitter
Les médias survendent l’impact de Twitter sur les événements actuels en Iran mais la réalité quotidienne est moins glorieuse: le site est surtout le repaire du «FAIL», ces menues moqueries dont raffolent les internautes. Devenir, l’espace d’un instant, la cible unique des ricanements du réseau est une expérience douloureuse. Mais aussi l’assurance de faire exploser le nombre de ses followers.
Romain L., étudiant en graphisme, est entré dans l’histoire de Twitter en postant ce statut: «En partiel de Flash, qui veut m’aider? (reward !!! :p)». Un internaute le contacte alors par chat, refuse une première proposition d’aide à 100 euros et lui annonce qu’il va appeler son école pour le dénoncer. Ce qu’il fait. Une capture d’écran de la discussion est balancée sur le web et en quelques minutes, tout Twitter est au courant. Romain L. a maintenant des ennuis avec son école, son nom est synonyme de «FAIL» intersidéral mais son compte de followers a explosé. Quand je l’ai ajouté sur Twitter, il m’a envoyé un message privé: «Welcome :-)» suivi de l’adresse de son site perso. Tant qu’à être ridicule, autant se faire un peu de promo.
Casser les codes politiques
A part Nathalie Kosciuko-Morizet, «ministre du web» et à ce titre déesse de Twitter, et Benoit Hamon, qui twitte sa déprime post-électorale, les hommes politiques français ont beaucoup de mal à investir le réseau. Leurs comptes ne sont souvent qu’un pâle copier-coller de leur agenda.
Vieux routier du blog, Alain Lambert, sénateur UMP, spécialiste des arides questions budgétaires, a trouvé le moyen d’intéresser ses followers. Au milieu de considérations politiques, il livre ses meilleures blagues de bistrot: «Attendu circonstances du décès de D. Carradine, S. Berlusconi va se sentir obligé de proposer des obsèques nationales pour mort au combat?» ou encore «Pourquoi cela ne m'arrive jamais ? Pourtant j'ai moi aussi des lunettes! http://tinyurl.com/nno7ev». Le temps d’un tweet, il avoue son secret: «J'ai fait mes classes chez Philippe Bouvard aux «grosses têtes» sur RTL».
Ajouter n’importe qui
C’est la honte du réseau, le dopage dont personne ne parle mais que tout le monde connaît. Il existe une méthode infaillible pour faire gonfler son nombre de followers: ajouter à la volée des centaines de personnes en ami. C’est arithmétique: sur 100 personnes «followées», il y en aura toujours une trentaine qui vous «followera» en retour. Ne serait-ce que par correction.
A ce petit jeu, n’importe qui peut atteindre la barre des 500 followers. Mais à quoi bon? Gagner le Tour de France alors qu’on ne sait pas pédaler, c’est forcément un peu vain.
Ecrire cet article
Cet article est l’exemple parfait de ce qu’il faut faire pour gagner une centaine de followers. 1) Je parle de Twitter. 2) Je fais du name-dropping Twitter, les gens cités feront certainement un lien vers cet article. 3) Je lance des piques à Xavier Ternisien, Alain Lambert ou Henry Michel qui ne devraient pas manquer de m’apostropher en public. 4) Je vais signer l’article avec mon compte Twitter.
Malheureusement, je ne cherche pas de mec. Mais «please RT» quand même.
Vincent Glad (@vincentglad)
(Photo: L'oiseau Twitter taggé sur un mur. Flickr/CC/Wonderferret)
Vincent Glad Journaliste