Aller au contenu

Salafistes et djihadistes : quelles différences, quels points communs ?

Salafistes et djihadistes : quelles différences, quels points communs ?
L'imam de Brest, Rachid Abou Houdeyfa, lors d'un prêche le 20 novembre FRED TANNEAU/AFP

FIGAROVOX/ANALYSE - Deux semaines après les attentats du 13 novembre, Romain Caillet fait le point sur la rivalité qui divise les salafistes quiétistes et les djihadistes.


Chercheur et consultant sur les questions islamistes, Romain Caillet est un historien spécialiste de la mouvance djihadiste globale (Organisation de l'État islamique et al-Qaïda). Il a vécu de nombreuses années au Moyen-Orient: trois ans au Caire, deux ans à Amman et près de cinq ans à Beyrouth.


La question du salafisme en France ne s'est jamais posée avec autant de force que depuis les attentats du 13 novembre. A l'instar de toutes les idéologies, le salafisme (signifiant littéralement suivre les pieux prédécesseurs «ittiba' as-salaf as-salih») est traversé par de nombreux courants rivaux, ayant souvent des positions politiques totalement opposées et contradictoires. Si certains salafistes combattent les régimes arabes (rappelons que l'acronyme du GSPC, ancêtre d'AQMI, signifie Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat) d'autres, au contraire, en sont parfois les soutiens les plus véhéments. A titre d'exemple, certains cheiks salafistes ont exhorté l'armée égyptienne et le général Sissi à tuer les membres des Frères Musulmans, qu'ils assimilaient aux Kharijites. Le terme «Kharijites», désignant à l'origine une secte apparue au début de l'histoire islamique, est devenu aujourd'hui une appellation polémique par laquelle les salafistes quiétistes désignent tous les opposants aux régimes arabes, des plus modérés aux plus radicaux. Pour les salafistes quiétistes, la plupart des régimes arabes sunnites sont en effet des autorités légitimes contre lesquelles toute contestation est interdite contrairement aux djihadistes qui en font des cibles prioritaires. Si la plupart de ces régimes sont légitimes aux yeux des salafistes quiétistes, c'est cependant l'Arabie saoudite qui constitue pour eux le modèle idéal de l'Etat juste. Quant aux djihadistes, dont la référence militante a longtemps été l'organisation al-Qaïda, aujourd'hui vieillissante, c'est à l'Etat islamique, ayant revendiqué les attentats du 13 novembre à Paris, que va désormais l'allégeance de la plupart d'entre eux.

Il existe un tronc commun doctrinal entre ces deux courants du salafisme.

On pourrait donc légitimement se demander pourquoi désigner sous la même dénomination des courants ayant des positions politiques aussi différentes? En réalité il existe un tronc commun doctrinal entre ces deux courants du salafisme, les réunissant sur un certain nombre de points où ils se distinguent d'autres mouvements islamistes tels que le Tabligh ou les Frères Musulmans. En premier lieu, tous les salafistes s'accordent sur les interprétations théologiques d'Ibn Taymiyya (1263-1328) et de Muhammad Ibn ‘Abd al-Wahhab (1703-1792) mais aussi sur la validité du concept d'al-Wala wa-l-Bara (l'alliance et le désaveu), concept définit au XIXe siècle par l'un des petits-fils de Muhammad Ibn ‘Abd al-Wahhab, Sulayman b. Abdallah Al ash-Shaykh (1786-1818). Si pour les djihadistes ce dogme d'al-Wala wa-l-Bara doit pousser à la confrontation avec les infidèles, les salafistes quiétistes n'y voient qu'un appel à une rupture symbolique avec l'Occident, notamment par leurs tenues vestimentaires et le rejet du mode de vie des occidentaux. Autre spécificité du salafisme à l'époque contemporaine, la «Hijra», c'est-à-dire l'émigration d'un pays non-musulman vers une terre d'Islam. Pour les djihadistes, comme il n'existe aucune terre d'Islam à notre époque, hormis les territoires de l'Etat islamique (EI), il s'agit d'un départ vers une terre de djihad mais pour les salafistes quiétistes, la Hijra signifie rejoindre leurs pays d'origine ou n'importe quel autre pays musulman. Enfin, autre spécificité des courants salafistes, le refus de suivre l'une des quatre écoles juridiques de l'islam sunnite, même si de plus en plus de salafistes commencent à abandonner cette position, comme par exemple l'imam de Brest Rachid Abou Houdeyfa ayant depuis peu décidé d'enseigner le rite malékite, suivi traditionnellement au Maghreb, plutôt que la jurisprudence saoudienne à laquelle il se référait auparavant.

On l'aura compris, l'enseignement religieux salafiste, toutes tendances confondues, va donc à l'encontre des valeurs défendues par la majorité des Français.

On l'aura compris, l'enseignement religieux salafiste, toutes tendances confondues, va donc à l'encontre des valeurs défendues par la majorité des Français. Les tenants du courant salafiste quiétiste peuvent donc être éventuellement des indicateurs des services de renseignements, notamment en raison de leur hostilité envers leurs rivaux djihadistes, mais ils ne sauraient être des partenaires du gouvernement, contrairement à ce qui se fait dans certains pays arabes ou européens, évoluant en dehors d'un cadre laïc. Sans même parler du cadre laïque français, si la lecture littéraliste des textes scripturaires par les salafistes ne pose pas de problème majeur dans des pays conservateurs de culture musulmane ce n'est pas le cas en France, où leur refus de la mixité, de serrer la main d'une femme, des représentations d'êtres vivants, y compris les poupées des fillettes, et l'exhortation à la pratique de la polygamie sont très mal perçus par l'opinion publique. Pour certains experts, la diffusion massive en France d'une norme islamique ultra-orthodoxe, en d'autres termes «la banalisation du salafisme», même quiétiste, dans les banlieues, susciterait un rejet de la République au sein des populations issues de l'immigration. Sans partager complètement cette analyse, nous pouvons cependant constater qu'aujourd'hui, pour les responsables politiques français, le salafisme quiétiste est davantage considéré comme une partie du problème plutôt qu'une partie de la solution.

Romain Caillet
Le Figaro Premium

Abonnez-vous pour 1€ seulement

Annulable à tout moment

Réagir à cet article

Pour commenter cet article, veuillez vous connecter avec votre compte Mon Figaro.
Connexion

83 commentaires
  • R_C

    Qu'ils prennent l'avion et aillent discuter de ces subtilités dans un pays musulman. Pas chez nous.

  • Anita13

    "Pour les salafistes quiétistes c'est l'Arabie saoudite qui constitue pour eux le modèle idéal de l'Etat juste". Ca fait peur de lire cela, pour moi les saoudiens sont responsables de par leur intégrisme religieux de ce que font les terroristes et il n'y a pas de de gentils salafistes contrairement à ce que certains essaient de nous faire croire.

  • theodora17

    cet article n'est pas clair.

  • guy.h

    Je retiens que les salafistes , toutes tendances confondues, sont à l'encontre des valeurs de la République française ...Alors on fait quoi , une fois que nous avons fait ce constat.mmm

  • 2394223 (profil non modéré)

    Si les Salafistes contestent la modernité et surtout la démocratie ,

    Les djihadistes , eux, souvent formés , nourris au lait salafiste l'ont dépassé et appellent , phase suivante, à la conquête des territoires , non encore dirigés par un musulman .

    En fait , ils se complètent malgré quelques tiraillements internes secondaires

    Les djihadistes appellent donc à la guerre surtout contre des Etats non musulmans mais aussi au terrorisme en particulier contre des civils

    De ce fait, ce sont des criminels de guerre .

    Nommons les choses : appelons un chat un chat.

  • dinah moukne

    Ils ont le meme livre de reference qui dicte leurs actes.

  • Louis Sergent

    Les textes du Coran doivent être réinterprétés par les dignitaires musulmans !
    En tenant compte de l'histoire des sociétés musulmanes, j'irai jusqu'à proposer une réécriture du Coran lui-même ! Travail impossible ?

  • moorea50

    Il est plus que temps de retirer la nationalité française à tous ces fous . Et puisque nos valeurs ne leur plaisent pas qu'on les envoie au Qatar ou en Arabie Saoudite, pays tellement "copains" avec nos gouvernements qu'ils nous doivent bien cela .

  • Avatar Abonné
    delalune

    la différence?
    le djihadiste veut nous exterminer tandis que le salafiste veut nous "salafiser "

  • L.Michel.D

    heu...? en gros svp, merci...;'p

  • paymarl

    J'ai proposé un avis ce matin
    Hier également sur les crèches ...
    Je ne me vois jamais dans les publiés !
    Bizarre ? !!!

  • Finot18

    Personnellement je suis bien des émissions politiques , mais j'avoue n'être pas capable de tout suivre , comprendre ... c'est d'une telle complexité ... Mais j'aimerais savoir ... Qui dans les décideurs , arrivent à suivre - Quel décodeur ? ... pas celui du ministère du travail... j'espère ... CDD , CDi .. pas facile ?

  • nordicus

    Des connaissances certaines mais une tendance à rendre plus confus ce qui l'est déjà beaucoup. Mon maître disait "quand vous avez écrit 3 mots, dites vous bien qu'il y en a 2 de trop". Sauf à être payé à la ligne, c'est une réflexion qui peut intéresser l'auteur de l'article!

  • Avatar Abonné
    2221275 (profil non modéré)

    L'intérêt de cet article est qu'il clarifie une situation pour le moins confuse sur ce que sont les différents courants islamiques. On peut croire sans difficulté qu'un grand nombre des commentateurs ici sont loin d'avoir ces connaissances. Ce qui ne les empêche pas de faire des commentaires hors de propos.

  • André Electron

    Il y a deux jours : fil d'attente pour des papiers devant le commissariat du XIVe à Paris. Une femme en niqab patiente assise sur une chaise. Il y a des dizaines de policier. Aucun ne réagit.

  • les murs ont des oreilles

    Article intéressant mais certainement de trop haut niveau pour la plupart qui ne comprennent que les arguments simplistes.

  • André Electron

    Comme le rappelle cet article, nous sommes loin de nos valeurs héritées de notre histoire.
    L'Islam, et pas seulement une de ses branches, est la religion du sabre. Elle porte en elle l'idée de guerre sainte pour obtenir une place au paradis. Voir le drapeau de l'Arabie saoudite et le Coran. Rien de semblable dans le bouddhisme ou le christianisme, même s'il existe partout des individus exaltés.
    Certains politiques ont offert à l'Islam, chez nous, une belle place, pour des raisons financières (internationales) et électorales (remplacer les électeurs ouvriers perdus). Ils ont beau jeu maintenant de se présenter comme nos protecteurs, nos pères...

  • Geff Roy

    Salafistes et djihadistes...qu'est ce que c'est que ces mots...?qui ne sont pas dans notre dictionnaire...et s'il n'y avait que ceux-là !

  • Avatar Abonné
    PAPANG13

    Ils sont arrivés jusqu'à Brest, je ne l'aurais jamais cru....Les Bretons ne leur ont pas mis le "bonnet rouge" ? ! Il y a pire que l'écotaxe !!

x En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies et de technologies similaires par notre société ainsi que par des tiers comme les régies publicitaires partenaires, permettant l'utilisation de données relatives à un même utilisateur, afin de réaliser des statistiques d'audiences et de vous proposer des services éditoriaux, une offre publicitaire adaptée à vos centres d'intérêts et la possibilité de partager des contenus sur des réseaux sociaux. En savoir plus/paramétrer