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L'eldorado des circuits courts

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La revue de sociologie lo-fi

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Titre: L'eldorado des circuits courts
Auteur initial: Benjamin Grassineau
Création de l'article:
Dernière modification de l'article: 24-07-2016 à 07:11
Rubrique: La revue de sociologie lo-fi
Etat de la rédaction: ébauche / Droit de rédaction: ouvert / Licence: Licence culturelle non-marchande






Cet article a connu une terrible mésaventure : j'ai beaucoup travaillé dessus, j'ai collecté de nombreuses données et après l'avoir finalisé..., je l'ai effacé par mégarde en trafiquant les fichiers sur le serveur. Je réécris actuellement une version, mais bon... Elle elle est moins complète, moins sourcée et sûrement moins pertinente... BenjaminGrassineau 13-07-2016

C'est devenu le nouveau graal des écologistes, gauchistes, partisans de l'ESS et désormais, nationalistes qui surfent sur la vague régionaliste1 : il faut favoriser les circuits courts, manger local, ou plus exactement, acheter local. Au point qu'un nouveau mouvement s'est constitué : les locavores, des adeptes acharnés de l'achat à des entreprises locales.

Sur quoi repose la doctrine locavoriste ? Sur quelques idées simplistes. Passons-les en revue.

Examen des arguments pro-marchands

Dans une optique pro-marchandiste2, trois arguments sont généralement avancés par les locavores.

Le recentrage de l'économie marchande sur le commerce local favoriserait :

  • La réduction des coûts de transport des marchandises entre le producteur et le consommateur, d'où un impact environnemental moindre.
  • Le développement d'entreprises à dimension plus humaine.
  • La croissance de l'emploi local.

Examinons la validité des différents arguments d'un point de vue théorique.

L'impact du transport

Il existe plusieurs limites de taille à l'argument du transport moins polluant3.

Un contre-argument aujourd'hui relativement bien admis, est que l'impact environnemental de la distribution d'une marchandise ne dépend pas exclusivement de la distance qu'elle parcourt. Il est également fonction du mode de transport utilisé pour l'acheminer. Conséquence, il peut être moins polluant d'importer des bananes du Brésil en cargo, que des oranges du sud de l'Espagne en camion. Il n'est pas inutile de souligner, à cet égard, que le prix des marchandises finales incorpore généralement ces différences de coût - financier - de transport. Lorsqu'on vit dans les Dom-Tom, on apprend très vite qu'un magazine "par avion" coûte plus cher qu'un magazine "par bateau" !

Dans le même ordre d'idée, il faut tenir compte des économies d'échelle favorisées par le transport massif de marchandises. Dans les gros circuits de distribution, en effet, le transport des marchandises est optimisé. Confié à des entreprises spécialisées, celles-ci le rationalisent. Par exemple, la logistique permet d'optimiser le taux de charge, et de modifier ainsi les émissions par tonne de marchandises transportées. On peut supposer qu'il n'en va pas de même dans les circuits courts. Si chaque producteur amène, en petit camion ou en voiture, ses produits dans les points de vente, le coût financier est probablement plus élevé, de même que l'impact environnemental. Mais ce contre-argument a ses limites car les grosses structures génèrent nombre d'activités indirectes, elles-mêmes polluantes. Par exemple, "l'information grise". J'entends par là, l'énergie dépensée pour le fonctionnement des activités immatérielles nécessaires à la réalisation de l'activité de transport. Mais quoi qu'il en soit, le débat reste ouvert ; et force est d'admettre que le rapport entre la pollution globale générée par un système fondé sur les circuits courts et celui d'un système à circuits longs, est plus complexe qu'il n'y paraît.

Enfin, il importe de tenir compte de la pollution générée par l'intégralité du processus qui va de la production à la consommation. D'abord, rappelons qu'un bien fabriqué localement à partir de ressources produites ailleurs, n'est pas vraiment "local". Aussi, il faut s'interroger : un bien produit avec des ressources locales, mais importé par le consommateur final n'est-il pas plus "local" qu'un bien produit sur place à partir de produits provenant de lieux très éloignés ? La question est à mon avis pertinente quand on compare des ressources produites avec des intensités techniques différentes. On peut raisonnablement faire l'hypothèse qu'une structure de production hautement technicisée fera appel à davantage de ressources distantes qu'une structure faiblement technicisée.

En généralisant, il faut comptabiliser, dans la pollution générée par un bien, l'ensemble du processus de production, de distribution, de consommation et de destruction. Or, la grande inconnue est de savoir si, étant donné les contextes différents de production des biens, les fonctions de production n'induisent pas un niveau de pollution différent à niveau de pollution équivalent. Trivialement, la production d'une banane en Europe est plus polluante en Europe du Nord qu'aux Antilles.

Des entreprises plus humaines ?

Il y a deux arguments à l'appui de cette idée :

  • Les entreprises locales s'insèrent dans des contextes de travail plus respectueux de la personne humaine.
  • Les entreprises locales peuvent être mises plus aisément sous le contrôle des consommateurs.

A priori, le premier argument est difficilement contestable. Sauf si on daigne le replacer dans une comparaison relativiste qui tient compte des différences de conditions de travail et surtout des critères d'appréciation de celles-ci. Auquel cas si, d'un certain point de vue, les conditions de travail sont déplorables dans certains pays dits en voie de développement, elles ne sont pas non plus très enviables dans les pays dits développés. Que dire, par exemple, de la restauration, de la santé, du bâtiment (travail local par définition), où les conditions de travail sont extrêmement dures ? Quant au travail à l'usine, sa dureté n'est qu'édulcorée par des réglementations plus ou moins appliquées. Car là est le fond du problème ! 1. L'existence d'un différentiel de conditions de travail suppose que le droit du travail soit parfaitement appliqué. Or, il est difficile, par définition de le savoir. Pourquoi serait-il mieux appliqué dans les pays développés ? 2. Les situations contextuelles de travail, incluant des variables comme le pouvoir d'achat, l'ambiance au travail, la formalisation du travail, etc., rendent les comparaisons difficiles, si ce n'est impossibles.

Le deuxième argument ne cesse de m'étonner car il revient à croire que la séparation entre production et consommation va s'effacer, comme par miracle, du fait de la réduction de la distance entre le lieu de fabrication et le lieu d'achat final. Certes, pour accéder à un lieu de production, il est préférable qu'il ne soit pas trop éloigné - encore qu'avec la démocratisation des dispositifs d'observation à distance (caméras, traceurs gps, etc.), la question paraît quelque peu désuète ! Néanmoins, le cœur de la problématique est ailleurs. Le fait est que l'intégration directe du consommateur final dans le processus de production, en tant qu'évaluateur ou même en tant qu'observateur, ne coule pas de source. Au contraire ! D'une part le travail de contrôle et d'observation effectué par le consommateur final est coûteux et chronophage, aussi préfère-t-il le déléguer à des structures spécialisées4. D'autre part, même si cela dépend du contexte, les entreprises n'ont pas nécessairement intérêt à ouvrir à tous leurs lieux de production, pour ne pas risquer de ternir leur image. Tout particulièrement dans l'industrie où les conditions de production sont souvent déplorables, ou du moins, peu attrayantes !

L'emploi local

L'argument - très keynésien - de l'emploi local est le suivant :

Δ (consommation locale) ⇒ Δ (production locale) ⇒ Δ (emploi local).

Tout d'abord, on pourrait s'interroger sur les aspects éthiques de la relation. Est-il souhaitable d'avoir plus d'emploi ? Ne serait-il pas plus judicieux de le partager ? N'est-il pas préférable d'améliorer la productivité ? Mais laissons de côté ces arguments pour examiner la pertinence de la relation.

Toutes choses égales par ailleurs, et dans un système hermétique, cette relation de cause à effet semble aller de soi. Mais dans un système mondialisé, la mécanique se grippe !

D'abord, comme on l'a vu, la relation entre production et emploi locaux peut s'avérer bien moins forte qu'escomptée. En effet, dans des domaines où l'intégration verticale est faible, voire impossible si les ressources ne sont pas disponibles, notamment s'il s'agit de secteurs à haute intensité technique, la production locale risque bien d'être réduite à une "quasi consommation finale" - l'essentiel de la production étant délocalisé. Les entreprises locales se contentent d'acheter des produits industrialisés et de les "assembler" pour les revendre. C'est désormais le cas pour une partie de l'artisanat (entreprises du bâtiment, boulangeries, notamment).

Ce système présente de nombreux inconvénients :

  • Il est fragile car les entreprises qui vendent les produits pré-assemblés peuvent changer de stratégie pour viser directement le consommateur final ; soit en adaptant les produits (vrai dans l'artisanat), soit en proposant directement les services (dans la boulangerie, par exemple). Auquel cas, l'impact sur l'emploi marchand est indirectement négatif.
  • Il pose la question de l'identité, de l'autonomie et du caractère réellement local de la production. Si l'entreprise est une multinationale, si les produits sont intégralement importés, que reste-t-il de local ? Que va-t-il se passer si l'entreprise décide d'abandonner une région, faute de rentabilité ? Qu'en est-il de l'identité d'une région, si elle se résume à une succession monotone d'enseignes standardisées qui surplombent les rues commerçantes ou les centres commerciaux ?
  • Les marges de profit, de plus en plus rognées par les intermédiaires, peuvent s'amenuiser, ce qui augmente le prix du produit final pour le consommateur, et donc, le rend non compétitif - c'est ce qu'on observe empiriquement, les produits locaux sont souvent plus chers.
  • Ces secteurs où les entreprises locales sont acculées, ont, pour une grande partie d'entre eux, une faible intensité en main d’œuvre. C'est le cas pour une grande partie des secteurs primaires et secondaires, en particulier l'agriculture.

Mais ce dernier point doit être replacé dans le contexte moderne de mobilité des travailleurs. Dans de nombreux cas, l'impact de la production sur l'emploi local est contre-balancé par deux facteurs.

  • Premièrement, dès qu'il s'agit de travail qualifié - ou pénible (?) -, les entreprises sont souvent contraintes de recruter ailleurs que dans le bassin d'emploi où elles sont installées - ou de sous-traiter. Par conséquent, l'accroissement de la production laisse sur le carreau nombre d'actifs locaux.
  • Deuxièmement, il n'y a pas forcément "d'enracinement" des travailleurs sur place. Ce phénomène est flagrant dans le cadre des emplois saisonniers, en particulier le long du littoral. Peut-on alors parler d'emploi local ? Difficile à dire. Ce qui soulève, en tous les cas, la question de la définition de ce qu'est un emploi local. Faut-il situer le caractère local dans le processus de production proprement dit, ou dans la "localisation" de la personne à qui l'emploi est attribué ?

Examinons désormais la relation entre achat et production. A priori, elle est presque mécanique : une augmentation de l'achat local doit entraîner une augmentation de la production locale. Sauf qu'en réalité, il n'est pas impossible que ce soit justement l'inverse qui se produise, en raison de ce qu'on pourrait appeler la "quadrature de l'emploi local" ! En effet, si l'achat de produits locaux est quantitativement faible et s'il est dirigé vers des petites entreprises artisanales, alors, comme nous l'avons vu, d'une part, les prix des biens locaux vont rester trop élevés par rapport aux biens fabriqués en masse pour induire une véritable demande - sauf différenciation qualitative significative -, d'autre part, la production va rester marginale et l'impact sur l'emploi sera peu conséquent. Le seul moyen de concurrencer les biens "importés" est donc de produire localement en masse, mais, dans ce cas, on retombe dans les travers de la logique de mondialisation - toutes proportions gardées - examinés plus haut : l'accroissement de la sous-traitance, l'achat de produits standardisés, l'exportation des biens produits localement, etc. On pourrait certes espérer contourner cette quadrature en développant des systèmes de production artisanale de masse largement distribués et qui conservent les caractéristiques de la petite entreprise. Ce n'est pas impossible. La conchyliculture française dans le sud-ouest, par exemple, malgré la tendance récente à l'externalisation de la reproduction des huîtres, a réussi à conserver un modèle qui allie un mode de production du type artisanal et familial, avec une production de masse. Mais le modèle est-il généralisable ? Il est difficile de le déterminer, tant il dépend des conditions socio-techniques de production, de distribution et de consommation. Par ailleurs, le passage d'un système de production-consommation local et artisanal à un système où seule la production est locale, peut avoir un effet négatif sur l'emploi à long terme du fait des externalités générées par la production de masse : pollution, épuisement des ressources, etc.

Je soulève enfin une question quelque peu hors-sujet. Quel sera l'impact de la vente à distance sur les circuits courts, et surtout sur les circuits de distribution ? Que va-t-il se produire si les circuits sont progressivement remodelés par la vente sur Internet ? Va-t-on assister à la mort des rues commerçantes ? Avec les pertes d'emploi qui pourraient s'en suivre. Auquel cas il faudra alors peut-être recentrer la problématique des circuits courts sur celle de la relocalisation des circuits de distribution.

Tout cela montre, en définitive, que ce qui est en jeu pour l'emploi, ce n'est pas la distance du circuit de distribution pris isolément (le circuit court), mais plus généralement, les modalités d'interaction entre producteurs et consommateurs sur un territoire. Et il est regrettable à cet égard qu'il soit toujours question de recentrer localement l'achat alors que c'est plutôt la vente qu'il faudrait recentrer, pour limiter les effets pervers de la fuite des ressources naturelles dont les habitants locaux finissent par être privés.

Le commerce local est antagoniste à l'économie non-marchande

Dans ce qui précède, j'ai montré que, dans un cadre théorique « pro-marchand », l'idée selon laquelle les circuits courts peuvent favoriser l'économie marchande locale est largement infondée. Sortons désormais de ce cadre pour envisager la question sous l'angle du rapport entre les échanges non-marchands et marchands. Comment les modalités de distribution, circuits courts ou circuits longs, impactent sur ce rapport ?

En particulier, le passage à des circuits marchands courts interroge sur les points suivants :

  • Quel est le rapport entre les circuits courts et longs ? En particulier l'impact sur l'accès aux ressources locales (par exemple, accès à des matières premières) et distantes (vaut-il mieux acheter local ou récupérer non-local !?) du passage à des circuits marchands courts ? Et quel est l'impact macro-économique de la généralisation des circuits marchands courts, envisagé du point de vue du rapport entre le volume des échanges non marchands et celui des échanges marchands ?
  • L'abandon de l'auto-production, ou des structures d'échanges non marchands, au profit de l'échange marchand est-il cohérent et légitime ?

Généralités sur la relation entre circuits courts et circuits longs.

Indépendamment de la modalité d'échange (marchande, non-marchande, coercitive), quel impact a le développement des circuits courts sur celui des circuits longs, et réciproquement ?

L'idée la plus couramment admise est celle d'un antagonisme entre le développement des circuit longs et courts. La croissance des circuits longs impacterait négativement sur la croissance des circuits courts, car pour satisfaire certains besoins, les usagers se tourneraient vers des biens acquis et, on le suppose, produits à distance plutôt que vers des biens acquis et produits localement.

Autrement dit, on aurait :

Δ+ (échanges longs) ⇒ Δ- (échanges courts)

et, réciproquement,

Δ+ (échanges courts) ⇒ Δ- (échanges longs)

A priori, la relation semble presque mécanique. Elle s'apparente à une simple relation de concurrence. Mais ce n'est pas si simple. Car à bien des égards, un accroissement des circuits longs induit également un accroissement et une diversification des circuits courts.

Premièrement, les circuits longs rendent disponibles des biens matériels indispensables au développement des circuits courts. C'est le cas pour quantité de biens auto-produits, généralement intégrés dans des circuits courts, puisque produits et consommés localement. Pour ne citer qu'un exemple : l'énergie ! L'importation de la ressource énergétique, aisément convertissable en travail, permet de produire sur place une gamme très étendue de ressources. L'argument est également valable pour les circuits courts marchands.

Deuxièmement, les circuits longs rendent disponibles des biens immatériels indispensables au développement des circuits courts. La circulation des informations, des techniques, des langues, permet un développement quantitatif et qualitatif des circuits courts.

En fait, d'une manière générale, en présence de processus reproductifs, tels que l'imitation, le transfert de technologies, la reproduction à faible coût, des mécanismes biologiques (transferts de semences, virus, etc.), le rapport entre les circuits courts et les circuits longs cesse d'être purement concurrentiel. En faisant usage d'une ressource distante, je la reproduis localement, sciemment ou non. Symétriquement, par le biais d'un modèle diffusionniste, les circuits courts peuvent s'agréger pour faciliter la diffusion de « biens » sur de longues distances. C'est ce qui est recherché, typiquement, dans l'effet réseau. Une connexion étant établi entre des entités proches géographiquement, à travers, par exemple, l'utilisation d'un support, d'un bien, d'une technologique commune, peut servir de canal de transmission entre des entités distantes.

Troisièmement, on peut supposer qu'il y aurait une baisse des échanges courts en cas de baisse des échanges longs. Pour deux raisons. La première est que d'un point de vue méthodologique, il peut être difficile de séparer rigoureusement un échange long d'un échange court. Tout dépend de l'échelle d'observation et du critère juridique qu'on retient pour caractériser l'échange. L'existence d'un intermédiaire peut transformer un échange long en une succession d'échanges courts. Il est à noter, à ce titre, que les localistes rejoignent cette idée en introduisant, plus ou moins explicitement, le concept de « degré d'intermédiation » qui mesure, formellement, la quantité d'échanges entre le producteur du bien et l'usager final. Mais, si, dans une perspective d'anthropologie économique, on se cantonne à une représentation purement descriptive du circuit que suit un bien, indépendamment des modalités d'échange, toute personne qui possède à un moment donné le bien, qui le stocke, en est potentiellement un intermédiaire. On conçoit alors toute l'importance du choix de l'échelle d'observation pour établir une discrimination entre circuits court et long. Et, par ailleurs, si on suppose qu'un échange long est parfois composé d'échanges courts, une baisse des échanges longs conduit mécaniquement à une baisse des échanges courts. La deuxième raison est qu'un baisse des échanges longs, a forcément un impact sur la quantité d'échange dans son ensemble. Tout d'abord parce que l'échange est en soi générateur de nombreuses activités annexes. Par conséquent, une réduction des échanges longs supprime tout un ensemble d'échanges courts qui, potentiellement, génèrent par ricochet des activités diverses. Ensuite, une réduction des échanges longs conduit potentiellement à une raréfaction des biens sur un territoire donné, et, donc à une baisse des activités nécessaires à la maintenance, à l'usage des biens, et à une baisse des activités permises par ces biens. Certes, symétriquement, on peut supposer qu'une baisse des biens acquis via des circuits longs, et qui sont souvent à haute intensité technique, conduit à accroître la quantité d'activités réalisées dans une économie, en limitant l'accès à des techniques qui se substituent au travail humain. Idée séduisante mais difficilement exploitable en pratique, tant la relation entre échange, activités et technique est complexe. Difficile en fait de généraliser à tous les biens une hypothétique relation quantitative du type:

Δ-(techniques) ⇒ Δ+(activités locales) ⇒ Δ+(échanges locaux)

Relation entre économie marchande et non-marchande en fonction de la distance d'échange.

Le problème des conséquences du passage d'une économie centrée sur les circuits longs à une économie centrée sur les circuits courts sur le ratio quantité d'échanges non-marchands / quantité d'échanges marchands, est généralement laissé pour compte dans l'idéologie localiste ? De même que l'impact du développement des circuits courts marchands sur les circuits courts non-marchands. Examinons-les successivement.

Effets du développement des circuits marchands courts sur les circuits non-marchands courts - et réciproquement.

Le développement des circuits courts marchands a potentiellement plusieurs effets.

Tout d'abord, il provoque une captation des ressources locales pour l'approvisionnement des marchés locaux.

Concrètement, cette captation suit deux voies :

  • La diminution des ressources localement disponibles pour un usage non-marchand. Celles-ci étant allouées à la production locale. On peut l'observer concrètement dans le domaine de la pêche. Le phénomène est par ailleurs largement amplifié, lorsque le commerce local est orienté vers la production locale, et non pas la consommation locale (voir la quadrature de l'économie locale exposée plus haut). En effet, une partie des ressources locales est alors dirigée vers des échanges marchands distants. Et à terme, s'il s'agit de ressources non-renouvelables, il n'est pas exclu que les populations locales en soient privées.
  • Une privatisation croissante des ressources locales et une élimination des circuits d'approvisionnement non-marchands locaux. Le processus est ici plus hypothétique, mais néanmoins observable en ce qui concerne l'approvisionnement en ressource alimentaire. Si les marchands locaux agissent rationnellement, il est très probable qu'ils tentent de limiter la production et la consommation non-marchande.

Ensuite, du point de vue des extrants, il crée une forte concurrence sur le secteur non-marchand.

Effets du développement des circuits marchands courts sur les circuits non-marchands longs

Autres effets.

Qu'en est-il des effets du développement des circuits marchands longs sur les circuits non-marchands longs - et réciproquement.

Réflexions sur la pseudo-éthique des circuits courts.

L'essentiel de la pensée localiste se résume en une phrase : achetez local ! Tel est le mot d'ordre de ces nouveaux croisés, d'obédience écologiste, gauchiste ou nationaliste. Mais qui dit achetez local dit achetez ! Et c'est là que le bât blesse !

Annexe

Formellement, on pourrait poser le problème ainsi.

Appelons E, la totalité des échanges dans une économie, notion qui comprend les échanges en tant que transfert de propriété (don, vente) et les échanges en tant que transfert d'usage (prêt, location).

Techniquement, chaque échange (e) peut s'écrire sous la forme d'un vecteur à deux dimensions, dont les coordonnées représentent d'une part, le « degré de marchandisation de l'échange » (m1), d'autre part, le « degré de distance de l'échange » (d1).

On a alors :

e = (m1,d1)

Sous une forme discrète, le vecteur prend quatre valeurs intéressantes : (marchand,court), (marchand,long), (non-marchand,court), (non-marchand, long)

Notons qu'on pourrait également mesurer le « degré de coercition » (c1), dans le cas d'échanges coercitifs.

Passons désormais à un niveau macro-économique et appelons L, le degré de localisme des échanges totaux, mesuré par le rapport Quantité d'échanges locaux (l) / Quantité d'échanges distants (d).

L = l / d

Appelons M le degré de marchandisation des échanges, mesuré par le ratio quantité d'échanges marchands (m) / quantité d'échanges non-marchands (nm).

M = m / nm

Notons qu'on a :

E = m + nm = l + d

La formule prend alors tout son sens dans une perspective dynamique :

M = f(L)

 

1 C'est ce que j'ai pu constater en parcourant les tracts envoyés aux électeurs pour les élections régionales de 2015 en Languedoc-Roussillon.

2 Doctrine surprenante par son exactitude et sa simplicité qui prône le recours au marché pour avoir plus de travail, plus d'emploi, donc plus de bonheur. Amen.

3 Quelques sources consultées : http://blog.cereza.fr/wp-content/uploads/2014/12/Cereza-Etude-Les-Emissions-de-CO2-du-fret-ferroviaire-face-au-transport-routier.pdf, http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Freight_transport_statistics/fr

4 Les formes ludiques, comme l'ouverture des fermes au grand public, n'ayant pas la même fonction.




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