Comment alors expliquer le désintérêt que lui portent
généralement les vignerons ?
Sa grande sensibilité à la coulure, un phénomène
naturel qui aboutit en période de froid au dessèchement de la
fleur non fécondée ou des jeunes raisins, constitue indéniablement
le principal frein à son développement. Le moindre petit pépin
climatique peut ainsi et très rapidement réduire à néant
les efforts consentis à cette vigne, qui mérite l'attention
de tous les instants.
Mais sitôt les vendanges effectuées, la partie n'est pas encore
gagnée pour autant. Le muscat, ou plutôt les muscats - puisque
deux variétés, le muscat ottonel et le muscat d'Alsace, se partagent
les faveurs de l'AOC -, ont la réputation d'être difficiles à
vinifier.
Pas facile en effet d'accorder de façon harmonieuse le nez à
la bouche. Le résultat final, en terme de rendement et de qualité,
s'avère ainsi très aléatoire chaque année.
Muscat d'Alsace : il bouge encore !
Le muscat est incontestablement le mal-aimé de la viticulture alsacienne
avec seulement 3% du vignoble qui lui sont consacrés. Une véritable
misère si l'on compare cette proportion à celle dédiée
à chacun des trois autres cépages nobles d'Alsace. Le riesling
représente en effet 23% de l'encépagement régional, le
pinot gris 12% et le gewurztraminer 18%.
Et pourtant, les qualités organoleptiques des muscats alsaciens n'ont
parfois rien à envier à leurs frères de noblesse. Dotés
d'une très grande richesse aromatique sur des saveurs croquantes de
raisins fraîchement cueillis, ils régalent le palais à
l'apéritif et peuvent se marier avec de nombreux mets exotiques, qu'ils
soient africains, asiatiques ou sud-américains.
De
quoi décourager la profession qui, au fil du temps, s'est peu à
peu détourné de ce cépage ô combien capricieux. Envers
et contre tout, certains vignerons ont néanmoins tenté de faire
front en essayant d'apprivoiser ce satané muscat et de lui offrir leurs
plus belles parcelles.
Francis et Joseph Burn font partie de cette race-là. Sur les coteaux
du Clos Saint-Imer, sur le grand cru Goldert, ils bichonnent leurs vignes de
muscat qui, bien souvent, le leur rendent bien, en leur offrant au bout du compte
des vins aux parfums insoupçonnés. Frédéric Mochel,
à Traenheim, Etienne Loew, à Westhalten, le domaine Hugel, à
Riquewihr, ou encore René Muré, pour ne citer qu'eux, participent
également et d'une certaine manière à la survie du cépage
en lui portant une attention toute particulière.
Mais
l'avenir du muscat en Alsace pourrait bien connaître un tournant décisif
dans les prochaines années avec l'arrivée éventuelle d'une
nouvelle variété, le muscat cendré,
issu d'un croisement effectué au début des années 70 à
l'Inra de Colmar entre le muscat ottonel et le pinot gris.
Cette variété, plus résistante à la coulure et donc
plus facilement exploitable, a fait l'objet d'une expérimentation sur
100 pieds à Bergheim entre 1985 et 1996, avant d'être confiée
en 1998 à trois viticulteurs pour une production en conditions réelles
sur trois parcelles différentes. La juxtaposition, en quantités
égales sur ces parcelles, de muscat ottonel et de muscat cendré
a permis de comparer les deux variétés sur plusieurs millésimes.
L'étude touche aujourd'hui à sa fin, mais pour l'heure, les résultats
définitifs de ce test grandeur nature ne sont pas connus. Christophe
Schneider, chercheur à l'Inra de Colmar en charge de cette étude,
livrera ses conclusions dans quelques mois seulement. Des conclusions
dont la nature devrait conditionner à terme le positionnement de l'Inao
pour l'utilisation ou non de cette nouvelle variété dans l'espace
AOC.
Gageons que ces trente années de recherche et d'expérimentation
débouchent sur une réussite. Voilà qui donnerait en tout
cas un sacré coup de fouet au muscat d'Alsace qui, comme le nom de cette
nouvelle variété l'indique presque malicieusement, pourrait ainsi
renaître de ses cendres.
