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Tableaux et Dessins Anciens et du XIXe siècle, Trésors de la Collection Veil-Picard
23 June 2010
Paris
JEAN AUGUSTE-DOMINIQUE INGRES (MONTAUBAN 1780-1867 PARIS)
Portrait de Madame Jean-Jacques-Joseph Anfrye, née Louise- Jeanne-Hyacinthe Dastros
signé, localisé, daté et dédicacé: 'Ingres à sa bien bonne Madame Eugénie Fournier Paris 1834' (en bas à droite)
mine de plomb
36,5 x 27,5 cm.
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Mme H. Fournier née Eugénie Anfrye.
H. Fournier.
Arthur Georges Veil-Picard; par descendance au propriétaire actuel.
H. Delaborde, Ingres, Paris, 1870, no. 250.
A. Quantin, M. Henri Fournier, Le livre, Paris, mai 1888, p. 137.
H. Lapauze, Ingres, Paris 1911, p. 286.
H. Naef,'Eighteen Portrait Drawings by Ingres', Master Drawings, IV, 1966, pp. 266-267, no. 9, repr. pl. 9.
H. Naef, Die Bildniszeichnungen von J.A.D. Ingres, Berne, 1977-1980, III, chap. 147, pp. 171-175, fig. 1; V, no. 353, ill.
En 1833, Ingres exposa au Salon son grand Martyre de Saint Symphorien (Autun, cathédrale) que le peintre avait promis à Paris depuis 1827. Les critiques dont il fut l'objet et surtout la froide réception du public firent beaucoup de peine à l'artiste qui décida de s'installer définitivement à Rome. Il chercha à accéder à la direction de l'Académie de France à Rome qu'il obtint finalement en 1835. En conséquence, l'année 1834 fut pour lui une année de transition, pendant laquelle il ne peignit pas, mais produisit de nombreux portraits dessinés à la mine de plomb, occupation à laquelle il s'était beaucoup adonné entre 1815 et 1816, lorsque, sans travail, il avait fait du portrait son gagne-pain. Le présent portrait est l'une de ces feuilles. Hans Naef, qui en publia l'image pour la première fois en 1966, le définit comme le plus accompli de l'année 1834; le parfait état de conservation de la feuille valorise la richesse des détails.
Le modèle, habillé à la mode des années 1830 au tout début du règne du roi Louis-Philippe, est coiffé en bandeaux qui s'achèvent en boucles irrégulières sur les tempes. Le visage émerge d'un bonnet de lingerie plissée et tuyautée, garni de coques de rubans et noué sous le menton. Sur la robe que porte Mme Anfrye, les volumineuses manches dites gigot sont resserrées sur l'avant bras : cette mode est issue des peintres italiens de la Renaissance. On distingue également un petit vêtement très en vogue sous la monarchie de Juillet, le canezou : sorte de pélerine d'étoffe légère, garnie de dentelles au col qui prend ici la forme d'une collerette plissée, la fraise. Les deux pans du canezou se glissent dans la ceinture, celle-ci est ornée de motifs floraux et sa large boucle achève de souligner la taille.
La mémoire du modèle, Mme Anfrye, née Dastros, a été sauvée de l'oubli du temps grâce à l'infatigable travail de Hans Naef qui a dédié toute une vie de recherche aux portraits dessinés d'Ingres. Dans les archives de la famille Gatteaux, proches d'Ingres et ardents collectionneurs de son oeuvre, Naef découvre que Nicolas-Marie Gatteaux, père de Jacques Edouard Gatteaux grand ami de Ingres, avait épousé une Mlle Anfrye, Louise-Rosalie. Le frère de Louise-Rosalie, Jean-Jacques-Joseph Anfrye, inspecteur des monnaies à l'Hôtel des Monnaies, avait épousé Jeanne-Louise-Hyacinthe Dastros, le modèle du présent dessin. Mr. Anfrye avait fait la connaissance de sa future femme lors d'une mission à Perpignan où Mlle Dastros était née le 16 Août 1782, de Joseph Dastros, receveur au change de la Monnaie et chimiste distingué et de Louise Clavel.
Le couple Anfrye-Dastros eut deux enfants : Eugène et Eugénie. Mme Anfrye mourut le 29 Avril 1858 à l'âge de 76 ans, à Paris, dans la maison de son neveu Jacques-Edouard Gatteaux, située dans la rue de Lille, soit presque quarante ans après son mari. Elle fut enterrée au Père-Lachaise dans le tombeau familial des Gatteaux, tout proche de celui de Ingres.
Si nous ne connaissons pas l'effigie de son époux, le visage de leur fille Eugénie nous est quant à lui mieux connu par une photographie ancienne reproduisant un dessin perdu de Ingres (fig.1). L'artiste la dessina en 1834, la même année que le présent dessin, en dédiant le portrait de la fille à sa mère ('A Mme Anfrye 1834') et celui de sa mère à sa fille ('Ingres à sa bien bonne Madame Eugénie Fournier, Paris 1834'). En 1833, Eugénie avait épousé Henri Fournier (1800-1888), imprimeur à Tours. Après la mort de son époux, c'est dans la maison de son beau-fils à Tours que Mme Anfrye passa les dernières années de sa vie.
Il est difficile de connaître plus de détails sur cette bourgeoise représentée ici à l'âge de 52 ans. On peut imaginer que son rôle principal avait été d'abord d'être l'épouse d'un très distingué chimiste et inspecteur des monnaies, homme remarquable comme l'indique son nécrologue (Naef, Die Bildniszeichnungen, op. cit., III, p. 172), et ensuite mère et belle-mère dévouée. Ce portrait et son pendant représentant Eugénie Fournier étaient probablement des cadeaux offerts par Ingres aux deux dames qu'il avait connues chez les Gatteaux, et ont peut-être été exécutés dans la maison de la rue de Lille. Dans un autre dessin d'Ingres datant de 1850 et représentant la famille Gatteaux (fig. 2; Genève, collection Krugier-Poniatowski; Naef, Ibid., V, no. 417) - ultérieur témoignage visuel des leurs fréquentations régulières - nous entrevoyons à l'arrière-plan gauche, l'épouse d'Eugène Anfrye, cousine de Jacques-Edouard.
En 1833, Eugénie quitte le domicile maternel du 30 rue Saint Guillaume à Paris pour aller vivre à Tours avec son époux. L'intensité de l'expression et la tendresse avec laquelle Ingres représente ici le portrait de Mme Anfrye trahissent une attention affectueuse et amicale de l'artiste envers son modèle, comme s'il avait voulu rendre ce portrait beaucoup plus personnel et offrir à sa fille un souvenir le plus vraisemblable possible de la mère dont elle venait de se séparer quelques mois auparavant.
Quelques années plus tard, la très âgée Mme Anfrye déménage chez le couple à Tours et mère et fille sont à nouveau réunies de même que leurs portraits réciproques. A la mort de Mme Fournier, notre feuille deviendra la propriété de Mr Fournier, pour ensuite entrer dans la collection d'Arthur Georges Veil-Picard.
For an English version of this note, please visit www.christies.com.
Jean-Auguste-Dominique Ingres (Montauban 1780 - Paris 1867)
Portrait of Madame Jean-Jacques-Joseph Anfrye, born Louise-Jeanne-Hyacinthe Dastros
pencil
36,5 x 27,5 cm.
signed, located and dated : 'Ingres sa bien bonne Madame Eugénie
Fournier Paris 1834' (lower right)
Provenance, Bibliography and Exhibition: see above
In 1833, Ingres exhibited at the Salon his large Martyrdom of Saint Symphorien (Autun, cathedral) on which he had been working since 1827. Immensely disappointed by the negative reaction of the critics and the public's lack of enthusiasm, he decided to retire to Rome. Here he sought to be appointed as head of the French Academy in Rome, in which he succeeded in 1835. 1834 was therefore a year of transition for Ingres, during which he scarcely painted but executed a number of portrait drawings in graphite. Such portraits had previously secured him a living during the years 1815 and 1816. Hans Naef, who was the first to publish an image of the present drawing, considered it to be the most accomplished of all the portrait drawings from 1834.
The perfect condition of the sheet reinforces the quality of the details. The sitter, whose dress is in the high fashion of the 1830s, has her hair dressed in ringlets, a style popular during the reign of King Louis-Philippe. Her face is framed by an elaborate bonnet decorated with pleats and ruffles, and secured by ribbons tied in a bow under her chin. The leg-of-mutton sleeves of her gown are tightened with ruffles on the forearm and wrist, a style adapted from the costumes of the Italian Renaissance. She also wears a canezou, another garment typical of the time of July Monarchy: a sleeveless overdress of lightweight fabric, whose lace trimmings take the form at the neck of a soft collar surmounted by a ruff. The sitter's belt, which holds the canezou closed, is decorated with floral motifs and a large buckle which emphasises the slenderness of her waistline.
The identity of the sitter was discovered by Hans Naef, whose research on Ingres became a lifelong enterprise. He discovered, in the archives of the Gatteaux family (who knew Ingres well and were enthusiastic collectors of his work), that Nicolas-Marie Gatteaux, the father of Ingres's great friend Jacques-Edouard, had married a certain Miss Louise-Rosalie Anfrye. Her brother, Jean-Jacques-Joseph Anfrye, Inspecteur des monnaies, was married to Jeanne-Louise-Hyacinthe Dastros, the sitter in this drawing. Jean-Jacques-Joseph Anfrye had met his future wife in Perpignan, her native town. She was born on 16 August 1782, the daughter of Joseph Dastros, Receveur en charge de la monnaie and a chemist, and of Louise Clavel.
The Anfryes had two children: Eugène and Eugénie. Mrs Anfrye died almost forty years after her husband, on 29 April 1858, aged 76, in Paris at the home of her nephew Jacques-Edouard Gatteaux on the rue de Lille. She was buried in the Gatteaux family tomb in the Père Lachaise cemetery, near Ingres's own grave. If her husband's features are not known, her daughter's are recorded in an early photograph of a lost drawing by Ingres, executed in 1834, the same year as the present drawing. The daughter's portrait (fig.1, present location unknown) is dedicated to her mother: 'A Mme Anfrye 1834' and the mother's portrait is dedicated to her daughter: 'A sa bien bonne Madame Eugénie Fournier/Paris 1834'. In 1833 Eugénie had married Henri Fournier (1800-1888) a printer from Tours. With the young couple, Madame Anfrye spent the last years of her life in Tours.
It is difficult to gather more information on this bourgeoise, here aged 52. One imagines her main duty was to support her husband, an eminent chemist and a remarkable man, according to his obituary (Naef, Die Bildniszeichnungen, op. cit., III, p. 172), and to be a good mother. This portrait and its pendant representing Eugénie Fournier were probably gifts from Ingres to the two ladies, whom he had met at the home of the Gatteaux in the rue de Lille, where the portraits may have been executed. In another drawing dated 1850, showing a group portrait of the Gatteaux family (fig. 2; Geneva, collection Krugier-Poniatowski; Naef, Ibid., V, no. 417), the wife of Eugène Anfrye, cousin of Jacques-Edouard, sits in the background.
In 1833 Eugénie left her family home at 30 rue Saint Guillaume in Paris to go and live in Tours with her new husband. The intensity of Mme Anfrye's expression in the present portrait, and the tenderness with which she is portrayed, show Ingres's affection for the family, as if he wished to provide the daughter with a memorable image of the mother she had left just a few months earlier.
A few years later, when the elderly Mme Anfrye settled in Tours in her daughter's home, the two women were once again together, as were the two drawings. After the death of Mme Fournier, the present sheet was inherited by her husband and, a few years later, entered the collection of Arthur Georges Veil-Picard.