a debattre

D'où viennent les corps humains de l'exposition « Our body » ?

Des scientifiques demandent la suspension de l'exposition en cours à Paris, dénonçant une opération plus lucrative que pédagogique.

Dans l'exposition 'Our body A corps ouvert', dans l'Espace Madeleine à Paris (Sophie Verney-Caillat/Rue89)

L'expo avait fait grand bruit lors de son arrivée à Lyon, comme l'avait relevé notre partenaire Lyon Capitale. Et puis la polémique s'est tassée.

Pourtant, « Our body A corps ouvert, l'expo anatomique » qui se vante de présenter « de vrais corps humains », n'a toujours pas précisé leur provenance, et le doute éthique demeure.

A l'Espace Madeleine où elle est présentée, pas un mot sur l'origine des « vrais corps » présentés et transformés selon la méthode de la Gunther von Hagens.

« On dirait des Mongols », murmurent quelques visiteurs. Renseignement pris auprès de l'importateur en France de l'événement, Pascal Bernardin, ce sont bien des corps asiatiques, chinois plus précisément. Le dossier de presse n'en dit pas plus, l'exposition non plus. Mais les visiteurs, fascinés, ne se posent pas plus de questions que ça sur le sujet. (Voir la vidéo)



Producteur de spectacles (des concerts de rock principalement), Pascal Bernardin ne cache pas ses intentions lucratives :

« Cette expo a coûté 2 millions d'euros à ma société, Encore Productions, il faudra beaucoup de monde avant de dégager des bénéfices. A Lyon, elle a fait 110 000 entrées, à Marseille 35 000, et à Paris nous atteignons 10 000 visiteurs la première semaine.

Nous visons 300 000 visiteurs minimum sur les deux lieux (elle ira au Parc floral après la Madeleine fin août). Mais nous comptons bien ne pas en rester là si nous voulons être rentables. »

L'homme reste en revanche très flou sur la manière dont il s'est procuré les corps :

« J'avais vu la même exposition à Orlando aux Etats-Unis, et je me suis dit, c'est fantastique ! J'ai alors pris contact avec l'Anatomical Sciences and Technologies Fundation basée Hongkong qui fournit les corps.

Ils m'ont montré comment ils obtiennent leurs corps, ce sont les même conditions en Chine qu'en France, des gens qui ont donné leur corps à la science. Bien sûr, le lien est coupé entre le donneur et le corps exposé, par respect pour celui qui a fait ce geste. »

Pour le comité d'éthique, la visée scientifique de l'exposition n'est pas suffisante

Contraire à l'« esprit du droit français »


Valérie Sebag, juriste et maître de conférence à Paris XII, estime que « cette exposition destinée au grand public n'est expressément interdite par aucun texte » :

« Elle contredit certainement l'esprit du droit français, qui n'admet d'intervention sur le corps de la personne décédée que dans un but purement scientifique. »

En effet, selon la loi, si le cadavre n'est plus une personne, il reste protégé sur le fondement de la dignité de la personne qu'il a incarnée. L'article 16-1-1 du code civil prévoit ainsi que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ».

Des justifications bien insuffisantes pour certains scientifiques.

D'abord au sein du Comité consultatif national d'éthique, qui a émis un avis défavorable sur l'exposition, que son initiateur aurait aimé installé à la Cité des sciences de la Villette ou au musée de l'Homme.

Pierre Le Coz, vice-président du Comité consultatif national d'éthique, explique :

« Sur 39 membres du comité d'éthique, seuls deux ont estimé qu'il n'y avait rien de répréhensible, les autres ont jugé que la visée scientifique de l'exposition n'était pas suffisante, qu'il n'y avait pas d'autre sens que de flatter le voyeurisme.

C'est abject ! Un corps peut être utilisé après sa mort seulement à des visées scientifiques, même si les personnes sont consentantes. Qu'est-ce que ça veut dire le consentement d'un Chinois quand on connaît le respect des droits de l'homme dans ce pays ? On n'aurait jamais fait cela avec des Français. »

« Je déconseille cette expo aux enfants »

Aujourd'hui, ce prof de philosophie à la faculté de Marseille appelle au boycott de cette exposition. Il ajoute :

« En tous cas, je la déconseille aux enfants, chez qui elle peut générer des troubles du sommeil. On accepte de faire à des cadavres chinois ce qu'on accepterait pas de faire pour des animaux domestiques. »

François Rastier, directeur de recherche au CNRS en linguistique, a ravivé la pétition collective qu'il avait lancé il y a quelques mois à Lyon et qui a rassemblé 785 signatures selon lui, dont le directeur de la fondation Auschwitz, le président de Paris IV, et Marie Darrieussecq.

Ce texte appelle à la suspension de l'expositon dans l'attente de garanties légales sur l'origine des corps.
Le scientifique invoque « le doute méthodique » :

« On ne sait pas si ces gens ont consenti de donner leur corps à la science et rien ne prouve qu'ils n'ont pas été tués pour ça. On utilise des cadavres pour faire du spectacle, à quand cadavres sans frontière ?

On peut entrer dans le jeu de la fascination morbide, c'est une spectacularisation de la mort à des fins commerciales, d'ailleurs le fait que ce soient de vrais cadavres est mis en avant pour attirer les visiteurs. »

« Ce n'est pas parce que ça vient de Chine qu'il devrait y avoir des doutes »

Les pétitionnaires sont d'autant plus suspicieux que la « plastination » a été inventée par Gunther von Hagens, un personnage plus que douteux. Son institut, situé à Heidelberg en Allemagne, est à l'origine de plusieurs expositions dans le monde, en Europe et en Amérique du Nord :

« Le fait qu'il s'agisse de dépouilles d'hommes dans la force de l'âge suscite d'autant plus d'interrogations que von Hagens a admis que certains des corps qu'il avait exposés en Allemagne avaient une balle dans la tête. »

Pascal Bernardin s'estime victime d'une confusion avec von Hagens :

« Ce n'est pas parce que ça vient de Chine qu'il devrait y avoir des doutes, tout est correct là-bas. D'ailleurs le musée Fragonard de Maison-Alfort expose des corps écorchés transformés avec une technique similaire et ce depuis 250 ans. »

Et pour défendre la portée pédagogique de son projet, il met en avant la présentation en libre accès sur un comptoir en fin d'exposition d'ouvrages d'anatomie, ainsi que le soutien de Marie Berry, qui fait la promotion du don d'organe depuis qu'elle a elle-même été sauvée par la greffe d'un rein.

A lire aussi sur Rue89 :
Bouchard, sculpteur collabo, met le feu à La Piscine de Roubaix
Quand Paris rend hommage à André Zucca, photographe collabo
L'exposition Picasso sème la discorde entre les musées

Ailleurs sur le Web :
Le dossier de Lyon Capitale
L'avis du comité d'éthique
La pétition collective
Un article sur le même sujet sur le blog Cinq ans en chine

Dans l'exposition « Our body A corps ouvert », dans l'Espace Madeleine à Paris (Sophie Verney-Caillat/Rue89)

6 commentaires sélectionnés

Portrait de Cyp_

De Cyp_

Zérotomane | 19H14 | 20/02/2009 | Permalien

En Inde, le business des squelettes a été l'objet d'un énorme scandale, il y a une trentaine d'années : la région de Calcutta alimentait en os humains à peu près toute la planète…

Il s'agissait de miséreux vendant leur carcasse à de sinistres maquignons de leur vivant, lesquels « préparaient » les corps en les laissant pourrir dans des cages grillagées, dans une banlieue perdue…

Là, il me semble qu'un cran de plus est franchi dans la dégueulasserie : je n'accorde pas la moindre confiance quant à la provenance des corps de ces malheureux chinois ; le prélèvement et le trafic d'organes sur des condamnés à mort est un fait avéré et monnaie courante en Chine Pop'.

Que des affairistes véreux puissent organiser ce type d'exposition en toute impunité en Europe, sans que les autorités exigent de connaître la provenance exacte de ces corps me révulse.

Et ne comparons pas à Fragonard, s'il vous plaît, ni aux exhumations à la sauvette pratiquées par les pionniers de l'anatomie à la fin de la Renaissance : ils ne faisaient pas ça pour le fric, eux.

Berk.

Portrait de Jovan

De Jovan

Nouille Orquee | 19H26 | 20/02/2009 | Permalien

J'ai ete voir l'exposition « Bodies » qui se tiens a NY. C« est une exposition fascinante. Bien sur il y un certain degout de voir ce qui est a l'interieur, mais on y apprends beaucoup. Oui elle peut impressioner de jeunes enfant, mais elle peut aussi contribuer a leur connaissance de notre corps. Voir comment et pourquoi une main bouge, voir comment un son est propage de l'oreille au cerveau…
Non definitivement cette exposition vaut le coup d'etre vue.
Apres, bien sur il faut se renseigner d'ou viennent les corps et comment ils ont ete obtenus. La je trouve la legerete des organisateur un peu coupable.
Pourquoi pas un vrai article de fond sur la maniere de recuperer et de traiter ces cadavres plutot que de rester sur notre faim a la suite d'un article uniquement polemiste ?

Portrait de C. Creseveur

De C. Creseveur

scénariste | 19H48 | 20/02/2009 | Permalien

Von Hagens est tout à fait douteux au point que sa réputation n'est plus à faire.
Il avait trouvé le moyen non seulement d'exposer ses cadavres plastinés, assez choquants en eux-même, mais de les vendre.
Il en vendait même tellement qu'il ne parvenait plus à fournir.
On arrive dans le vraiment glauque lorsqu'on apprend qu'il a été jusqu'à créer une usine de conservation des corps en Chine où il se fournissait.
Et on atteint le carrément sordide en apprenant que ses corps sont les cadavres récupérés de condamnés à mort, ce que votre article voudrait laisser entendre sans oser le dire en précisant que « Hagens a admis que certains corps avaient une balle dans l tête » !
Se rendre à une telle expo revient donc absolument à cautionner une oeuvre fondamentalement ignoble, et qui se prétend utile sur le plan scientifique alors qu'elle est délibérement provoquante dans un but strictement mercantile.

Portrait de Solale

De Solale

Etudiante | 20H19 | 20/02/2009 | Permalien

Ce qu'on oublie de dire, c'est qu'il s'agit aussi d'art.
Certains corps sont mis en scènes de manière spectaculaire et la liste d'attente de ceux qui veulent offrir leur corps à la plastination est extrêmement longue.

J'ai vu cette exposition il y a un an à Montréal ( les corps n'étaient d'ailleurs pas chinois) et elle m'a énormément appris notamment sur les conséquences que l'on voit directement sur les corps d'une mauvaise hygiène de vie.

Ce qui me dérange avec le mot éthique, c'est qu'il paralyse souvent le débat.
Et si il y a des scientifiques pour ne voir aucun apport pédagogique, et bien c'est qu'il en savent déjà trop.

Portrait de Sophie Verney-Caillat

De Sophie Verney-Caillat (auteur)

Rue89 | 00H24 | 21/02/2009 | Permalien

J'ai omis une précision qui vaut son pesant d'or : les tarifs 15,5 euros pour les adultes, tarif réduit de 2 euros pour les moins de 7 ans et tarif famille (2 adultes et 2 enfants de -16 ans) 42,00€.

Portrait de Sophie Verney-Caillat

De Sophie Verney-Caillat (auteur)

Rue89 | 00H27 | 21/02/2009 | Permalien

Valérie Sebag, la juriste interrogée nous précise que l'article 16-1-1 du code civil a été récemment complété ainsi : « le respect du corps humain ne cesse pas après la mort ». Elle nous dit bien que la dignité du corps humain (qui est un attribut de la personne) est « inconciliable avec l'idée de tirer profit d'une exposition ». Pour elle, cette expo peut échapper au droit pénal français « que parce qu'elle a été préparée sur un sol étranger ».

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